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Shogun

Seul contre tous

 

Un navire décharné surgit du brouillard. A son bord, quelques matelots ont survécu à la maladie et au manque de vivres découlant de leur interminable périple. Parmi eux, seul le pilote anglais John Blackthorne garde encore espoir d’accoster sur les rives d’un pays, le Japon, dont cet équipage était chargé de découvrir l’emplacement. En 1600, date à laquelle se déroule cette histoire, les catholiques Portugais faisaient déjà commerce avec le Pays du Soleil Levant mais ceux-là s’étaient bien gardés d’en dévoiler la position à leurs ennemis protestants néerlandais et anglais. Quand l’Erasmus finit par s’échouer sur ses côtes, l’accueil réservé aux êtres sales et malnutris qui le composent n’est dès lors pas des plus cordial. Les « Barbares » sont immédiatement retenus prisonniers avant de recevoir la visite du seigneur Yabushige, un vassal du régent Toranaga. Avec quatre autres de ses pairs, ce dernier fait partie des régents qui, à la mort du Taïko, gouvernent le royaume jusqu’à ce que l’héritier légitime ait atteint la maturité et soit ainsi apte à exercer sa fonction. Au moment où Blackthorne et ses hommes croupissent dans un trou en attendant d’être fixés sur leur sort, Toragana se rend à la capitale Osaka où il se voit reprocher son goût prononcé du pouvoir. Il le sait : ses rivaux, en premier lieu Ichido, le plus influent d’entre tous, veulent sa peau. En allant à leur rencontre, il a conscience de se jeter dans la gueule du loup. Ayant appris qu’un marin anglais est retenu sur ses terres, il décide, au grand étonnement de ses proches, de faire venir cet étranger pour échanger avec lui. Il charge de fait sa fille adoptive Mariko (inspirée de Hosokawa Gracia, la première femme japonaise à s’être convertie au catholicisme)de traduire les paroles de cet hérétique grossier et arrogant.

 

 

Toragana

 

Adaptée du roman de James Clavell,« Shogun » se base sur l’existence avérée de plusieurs de ses protagonistes pour laisser libre cours à une trame narrative qui n’a pas pour but de décrire avec exactitude les faits tels qu’ils se sont réellement passés. Néanmoins, en cette année 1600, un navigateur anglais du nom de William Adams a débarqué au Japon et s’est rapidement attiré les faveurs du Daïmo Ieyasu Tokugawa qui a su apprécier ses connaissances en navires et en constructions navales. Deux figures historiques donc à qui les noms de Blackthorne et Toragana ont été attribués dans la série. Et si on pense d’abord que le premier cité sera le personnage central du récit, on réalise assez rapidement qu’il ne constitue qu’un pion dans le jeu d’un homme dont on sait qu’il est, in fine, devenu Shogun. L’intérêt du scénario réside donc dans l’exposition des manœuvres stratégiques et diplomatiques dont Toragana fait usage pour s’extraire de situations à priori désespérées. Les amateurs de combats de samouraï ou de batailles épiques en seront donc pour leur frais. Sans cesse acculé à la reddition, ce dernier fait constamment preuve d’un calme et d’une apparente sagesse qui contrastent avec l’envie manifeste de ses rivaux de lui régler son compte. Pour ces raisons et parce que la performance d’Hiroyuki Sanada, son interprète,confère à ce redoutable chef de guerre un charisme exceptionnel, le spectateur prend naturellement fait et cause pour sa personne. Une fois sous son emprise, on assiste durant 10 épisodes à une cruelle et fascinante partie d’échec où Toragana, sans jamais paniquer, ne cesse de s’adapter aux coups du sort qui s’abattent sur lui et son armée. Toutefois, au moment de faire le compte des pièces sacrifiées sur l’autel de sa survie et du pouvoir, on réalise, à l’instar de ses adversaires, à quel point on s’est, nous aussi, fait duper. Sur ce point, la fiction rejoint habilement une réalité qui, si elle crédite Ieyasu Tokugawa de l’unification politique du Japon,ne fait pas non plus l’impasse sur la cruauté de ce dirigeant réputé impitoyable.

 

 

Dame Mariko

 

S’il nous est aussi difficile d’anticiper les décisions prises par Toragana pour tenter de parer l’inévitable, c’est qu’elles s’inscrivent dans un modèle sociétal et politique qui nous est totalement étranger. De fait, le personnage de Blackthorne constitue le regard occidental par lequel on appréhende ce Japon du début de 17ème siècle. Et le premier obstacle auquel celui-ci doit se confronter est naturellement celui de la langue et de ses convenances.Pour cette raison, il se voit attribuer les services de dame Mariko qui lui sert d’interprète. A ce titre, il faut un peu de temps au spectateur pour accepter qu’en lieu et place du Portugais, les auteurs aient délibérément opté pour la langue anglaise. Fort heureusement, le Japonais a été conservé ce qui aboutit à de nombreuses scènes de traductions dont on pourrait légitimement questionner l’intérêt. Si leur fonction première est de permettre à Blackthorne et à ses hôtes d’entrer en relation, il est passionnant de noter la manière avec laquelle Mariko se plie à l’exercice. En effet, que l’indélicat anglais fasse part de ses ressentis en des termes peu convenables et elle n’hésite pas à nuancer ou reformuler ses paroles afin de les rendre acceptables pour son auditoire. De plus, ses interventions éclairent le spectateur sur la nature des sous-entendus qui jalonnent des propos issus d’une culture différente de la nôtre. Par ailleurs, c’est souvent au travers de sa fonction que se révèle la personnalité de cette femme foncièrement attachante. Que ce soit dans l’intonation de sa voix, dans le choix de ses mots ou dans ses expressions de visage, tout chez elle témoigne de sa loyauté envers son seigneur ainsi que d’une affection coupable pour l’étranger. A ce titre,la mise en scène nous fait rapidement comprendre quelle sera la teneur des relations à venir entre Mariko et Blackthorne. Fort heureusement, celles-ci échappent à toute logique narrative traditionnelle, car dans ce Japon-là, il est des interdits qui, pour peu qu’ils soient enfreints, conduisent irrémédiablement au déshonneur.

 

 

Un autre monde

 

« Shogun »nous dresse ainsi une peinture d’un Japon féodal régi par des règles de savoir-vivre et des codes d’honneur auxquels les personnages n’ont d’autres choix que de se soumettre. Même Yabushige, ce fantasque (et formidable) samouraï toujours prompt à offrir sa dévotion au plus offrant, ne cherche pas à s’y soustraire. Alors certes, la propension qu’ils ont tous à émettre l’hypothèse d’un seppuku (le traditionnel suicide consistant à s’éventrer) dès que leur intégrité morale se voit menacée peut décontenancer. Toutefois, si la série tend à exagérer l’impact du poids des traditions qui pèse sur Mariko et les siens, elle se base néanmoins sur des éléments culturels dont on sait qu’ils ne relèvent pas de la légende. Alors forcément, de cette manière singulière (à nos yeux) d’appréhender le monde découlent des actes auxquels on ne s’attend pas. Par ailleurs, à l’instabilité politique ambiante s’ajoutent des réalités commerciales et religieuses, historiquement fondées, que l’arrivée de l’anjin (pilote) vient passablement perturber. De fait, il résulte de ces problématiques une intrigue certes parfois confuse, mais toujours surprenante. Quoi qu’il en soit, Blackthorne reste circonspect voire irrité devant le spectacle qui s’offre à lui et dont il peine à saisir les enjeux. Toutefois, il se plie au mode de vie qu’on lui impose pour finalement y trouver sa place comme William Adams l’avait fait en son temps. Ainsi, plus on avance dans le récit, plus il devient délectable d’assister à un service de thé dont on admire le raffinement. Les moments de vie et d’échanges dans cet univers codé et dépaysant se parent progressivement d’une beauté à laquelle il est difficile de rester insensible.

 

 

Bilan

 

Certains pourront voir en « Shogun » une œuvre froide, lente et bavarde. Néanmoins, pour peu que l’on adhère à son parti-pris quasi-théâtral, elle se révèle passionnante dans sa capacité à explorer un schéma narratif innovant, essentiellement guidé par les mœurs de l’époque et du pays qu’elle s’emploie à dépeindre minutieusement. Que ce soit par l’intermédiaire de ses décors ou de la musicalité de la langue, la série transpire le Japon du 17ème siècle. Une fois imprégné de son atmosphère unique, le spectateur peut pleinement profiter d’une histoire parfois complexe mais toujours tournée vers ses personnages. Au même titre que Blackthorne, nous partons alors, sans carte ni boussole, à leur rencontre, le temps d’un voyage exaltant où il nous est permis de les aimer, de les mépriser ou de les craindre.

 

Disponible sur Diney +

 

 

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