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The Underground Railroad

"The Underground Railroad" est, à l’origine, un roman très réputé de Colson Whitehead écrit en 2017 qui base son récit sur l’existence d’un chemin de fer souterrain (mis en scène ici au premier degré pour les besoins du récit, celui-ci n'étant historiquement ni ferroviaire, ni souterrain)  ayant permis à plusieurs milliers d’afro-américains de fuir l’esclavage. La série est une adaptation du livre mais elle ne sera jugée dans cet article qu’en tant que simple création télévisuelle.

 

Cora est une esclave noire des champs de coton de Géorgie. Confrontée aux sévices incessants des colons blancs, celle-ci se décide à fuir en compagnie de Caesar, un frère de misère, vers les États libres du Nord grâce à un chemin de fer souterrain. A vrai dire, elle n’a que peu à perdre dans cette aventure car fort longtemps avant elle, sa mère avait déjà quitté l’exploitation agricole pour échapper à sa condition, laissant derrière elle une enfant orpheline. Traquée par Ridgeway, un terrifiant chasseur d’esclaves, Cora part ainsi en quête d’une vie meilleure. En traversant une partie des États-Unis, son voyage nous permet de ressentir la souffrance du peuple afro-américain durant cette sombre période.

 

 

Disons-le tout net : cette série n’est absolument pas facile d’accès et comporte bon nombre de défauts mais elle se distingue tellement des productions habituelles qu’elle en devient fascinante. Le premier élément sur lequel on peut se heurter est la violence. Car il n’est pas question ici d’une violence récréative à la "Squid Game" (quoi que celle-ci soit porteuse d'un message) ou à la "Walking Dead". Non. Ici, il s’agit de maltraitances psychologiques et physiques insoutenables envers tout un pan de l’humanité. Harcèlement, tortures… On assiste impuissant aux conséquences d’une autorisation légale pour l’homme blanc de marquer sa prétendue supériorité sur d’autres humains en toute impunité.

 

 

Ce qui renforce la dureté de certaines scènes est qu’elles sont accompagnées d’une photographie absolument superbe. D’ailleurs, si on peut trouver la série trop esthétisante, c’est malgré tout son principal atout et en premier lieu, l’utilisation récurrente du contre-jour. Celui-ci accentue les contrastes et couvre les personnages d’une aura christique saisissante. De même, les statues de cire figées et graves qui nous apparaissent par flashs tout au long du récit deviennent à nos yeux les martyrs non consentantes d’une cause qu’elles représentent à leur insu.

 

 

Les scènes d’intérieur utilisent quant-à-elles les sources d’éclairage non naturels. Ainsi, tels des tableaux de Vermeer, les bougies servent de point d’ancrage à l’image sans réussir toutefois à éclairer la noirceur et l’obscurantisme des lieux que Cora traverse. Mais paradoxalement, la nouvelle lune est le meilleur gage de sécurité pour des fugitifs et le train souterrain en est son symbole. A l’inverse, le feu représente la mort, la destruction et la barbarie. Présent partout où Whitehead pose ses bottines, il est l’élément naturel de ce fils de forgeron. Le Diable se déplace ainsi à cheval dans sa belle redingote noire au milieu d’amas de cendres grisâtres, d’arbres décrépis et de restes d’anciens brasiers. Un Diable qui agit, comme la plupart des hommes blancs présents à l’écran, sous couvert de la justice divine. Et dont le suppôt n’est autre qu’un petit ange déchu logiquement sous emprise et sans libre arbitre.

 

 

Dans le même esprit, la série n’hésite pas non plus à user de ralentis et d’effets de caméra sophistiqués. L’horreur n’est jamais aussi glaçante que quand on l’habille de ses plus beaux apparats. En revanche, la bande-son, elle, ne ment pas : les cordes et les cuivres, tantôt répétitifs, tantôt dissonants (mais toujours magnifiques et à-propos), imprègnent le récit de manière aussi inquiétante que la tempête apparaissant au loin. Dans cet enfer, le visage juvénile de Cora transpire la souffrance et la résilience. Elle endure vaillamment ce qu’il ne paraît pas humain d’endurer. Elle est belle…

 

 

Tout ce travail formel n’est donc jamais gratuit et le format lui-même des épisodes s’adapte aux besoins du récit. Ainsi, la série incorpore des épisodes assez courts, spécifiquement dédiés à quelques tranches de vie servant le récit. Épatant ! Et ce qui est aussi très agréable, c’est que les ambiances et les décors sont changeants selon les lieux que Cora traverse. On se terrera avec elle dans un village de Blancs où les Noirs sont bannis. Le simple fait de leur venir en aide est un crime. On traversera dans une charrette des terres désolées où seuls les corbeaux semblent trouver refuge. On s’intégrera dans une communauté Noire confrontée à des dilemmes moraux concernant sa collaboration avec des Blancs qui n’acceptent sa présence que par intérêt… Et si un des épisodes détonne au départ par son atmosphère urbaine et colorée, sa conclusion s'apparente fortement à une glaçante dystopie... qui a malheureusement des fondements historiques avérés même s'ils sont ici "romancés".

 

 

En revanche, pour appuyer le formidable travail esthétique effectué, la série use et abuse d’une vraie lenteur narrative. Si elle contribue à nous faire ressentir encore plus intensément la violence de certaines scènes et la souffrance des protagonistes, elle s’avère aussi parfois très artificielle. C’est par exemple le cas lorsqu’elle prend la forme de rêveries poétiques ratées ou quand elle accompagne des discours tortueux qui boursouflent la narration. Que « The Underground Railroad » se veuille exigeante, c’est tout à son honneur. Mais qu’elle se fasse bavarde en s’écoutant parler était malheureusement un écueil prévisible auquel il aurait été préférable de se soustraire. Les images se suffisaient à elle-même pour illustrer un propos assez conventionnel. Et si les relations entre les personnages sont intéressantes en soi, l’écriture, trop alambiquée pour être passionnante, ajoute une lenteur superflue qui nous plonge parfois dans une torpeur frôlant l’ennui.

 

 

Malgré ces défauts, « The Underground Railroad » mérite amplement le Globen Globe de la meilleure mini-série de l’année 2021 aux dépens de « Mare of Easttown » ou « Maid », beaucoup plus classiques dans leur traitement. Cette fois-ci, la forme l’a emporté, nous rappelant ainsi qu’indépendamment du sujet, le cinéma est avant tout une histoire composée d’images et de sons.

 

Disponible sur Prime Video. 

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Commentaires: 2
  • #1

    Guitton (mardi, 01 février 2022 20:19)

    Ça donne vraiment envie, malgré les longueurs que tu signales.

  • #2

    Pierric (mardi, 01 février 2022 20:49)

    Merci pour ce commentaire ! Si ça donne envie, c’est déjà pas mal !