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The sinner (saison 3)

Un concept stimulant

 

«The sinner» est une série singulière : en effet, chaque saison nous propose un crime dont on connaît rapidement l’auteur, ce qui va à l’encontre de la plupart des séries policières actuelles. Ici, peu importe le coupable : l’intérêt réside dans la compréhension d’un contexte qui amène des individus lambda à soudainement commettre des actes d’une violence qui leur était étrangère. Ainsi, alors qu’elle passait un moment à la plage avec sa famille, une jeune femme poignarde sauvagement et sans raison apparente une homme installé à quelques pas devant elle. On sera alors confronté à des événements passés si traumatiques que l’esprit humain les refoulera dans le but de mener une vie « normale »… jusqu’à ce qu’une étincelle ne vienne rallumer une flamme d’autant plus ardente qu’elle était profondément enfouie. Dans ce cadre, cette première saison est très efficace même si elle abuse de flash-back assez réussis mais très conventionnels. Lors du chapitre suivant, un couple meurt dans d’atroces souffrances sous les yeux effarés de l’enfant qui les accompagne. On intègre alors l’esprit communautaire d’une secte dirigée par une femme (Carrie Coon, magnifique) aux comportements très troublants… Lors de ces huit épisodes, l’osmose (le duel?) qui oppose cette dernière à l’inspecteur Harry Ambrose est assez magistral.

 

 

Harry Ambrose

 

Et si ces deux saisons ont en commun une ambiance angoissante particulièrement travaillée, c’est bien ce curieux inspecteur qui en est le principal trait d’union. Il fallait un homme assez torturé lui-même pour que le « pourquoi » prenne le pas sur l’aspect factuel des événements. Il fallait quelqu’un prêt à sonder la noirceur de l’âme humaine pour mieux apprivoiser les démons qui le hantent. Son histoire personnelle est intimement liée à ces enquêtes et c’est aussi ce qui fait leur force et les rend passionnantes. De fait, l’idée d’impliquer encore plus Ambrose dans la relation qu’il noue avec les protagonistes de ces histoires était sur le papier très tentante. La saison 3 s’y est donc risquée et la qualité de la série s’en est trouvée ébranlée.

 

 

Une trouble amitié

 

 

Ainsi donc, dans ce troisième volet, nous faisons la connaissance de Jamie Burns, enseignant à la fac, qui partage sa vie avec Leela, sa femme. Ils semblent d’autant plus heureux que celle-ci est enceinte et le terme de sa grossesse arrive à grands pas. Mais Jamie reçoit la visite impromptue de Nick, un ancien camarade de fac qui adopte envers lui une posture assez énigmatique, voire provocatrice, qui le met très mal à l’aise. Et lorsque Nick perd la vie dans un accident de voiture sur une petite route de campagne, Ambrose est missionné pour reconstituer les faits. Avec Jamie comme passager s’étant chargé d’appeler les secours, il s’avérera que ces simples événements cachent une réalité bien plus complexe qu’il n’y paraît.

 

 

Nietzsche et la notion de surhomme

 

Derrière ce pitch, la série va confronter ses personnages à la difficulté que l’on peut tous éprouver un jour de donner un sens à sa vie. Être assez traditionnel dans ses aspirations (avoir un emploi, fonder une famille), c’est peut-être faire sien un mensonge imposé par les règles de la vie en société. Cette dernière tendrait à réprimer la vraie nature humaine pour n’aboutir au final qu’à la castration de l’identité individuelle. Alors, la découverte de soi comme œuvre d’art, détachée de toute contingence religieuse, sociale et morale n’est-elle pas légitime et louable ? Nietzsche, avec sa notion de surhomme, ne dirait sans doute pas le contraire… S’appuyer sur ce concept philosophique permet à la série de traiter de questionnements bienvenus, d’autant que Nietzsche a ses émules et qu’il n’a pas dit que des âneries. De plus, au vu de ce que l’on connaît d’Ambrose et de ses névroses, il ne nous paraît pas incohérent que la rhétorique exposée aie une résonance toute particulière chez lui. Et que cette dialectique soit énoncée par un Chris Medina excellent de sobriété inquiétante dans le rôle de Nick, renforce le sentiment de malaise qui se dégage des premiers épisodes.

 

 

Rien ne va plus

 

Mais les choses dérapent soudainement quand il s’agit de sortir du discours pour entrer dans la démonstration concrète de ce que ce type de raisonnements peut engendrer. On nous expose alors à une sortie new-yorkaise qui a comme clou de spectacle une séance de spiritisme totalement invraisemblable dans un récit jusque là soucieux de traiter son sujet avec réalisme. Réalisme qui s’envole définitivement quand on assiste au manque de professionnalisme irrationnel qui s’empare tout à coup d’Ambrose. Que celui-ci soit perméable à une certaine rhétorique, soit. Mais qu’il paraisse à ce point sous l’influence d’un gourou sans réel charisme jusqu’à négliger toute déontologie ne colle vraiment pas au personnage. Sa fragilité émotionnelle se retrouve aussi dans la relation qu’il entretient avec Fiona à qui il confie des points importants de l’enquête. Comment les auteurs ont-ils pu perdre ainsi le fil de leur figure principale ? En conséquence, les liens qu’il entretient avec son entourage perdent toute crédibilité. On subit alors les épisodes suivants comme un spectateur en retrait qui assiste à des scènes qu’il ne comprend plus.

 

 

Un final heureusement réussi

 

Les pérégrinations psychologiques des personnages se poursuivent ainsi jusqu’à ce qu’Ambrose redevienne Ambrose et que Jamie perde la consistance toute relative qui l’habitait. Dès lors, l’humanité qui se dégage de ce celui-ci (grâce notamment à une excellente partition jouée par un Matt Bomer, irréprochable de bout en bout), redonne de l’intensité à l’intrigue. Passé un point de non-retour, il en devient subitement touchant et on se surprend à attendre le face-à-face final que l’on savait inéluctable. Et il se trouve que ce dernier, particulièrement réussi, va étonnamment apporter un sens nouveau à des événements antérieurs que l’on avait regardé avec circonspection. Et s’il s’avère lors de cet épilogue que les rôles qui étaient logiquement dévolus aux différents protagonistes de cette histoire sont respectés, les enseignements que chacun d’eux pourra retirer de ce passage de relais sont bien éloignés de ceux auxquels on avait été témoin précédemment. Cette trouvaille scénaristique apportant une profondeur psychologique inattendue est très âprement mise en scène ce qui renforce sa cruauté. Malheureusement, cela ne parvient pas à compenser le détachement ressenti durant une bonne partie d’une troisième saison bien en deçà des précédentes.

 

Disponible sur Netflix

 

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