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We own this city

Un regard lucide mais désabusé

 

Par un long, très long discours. Ainsi commence la dernière série de David Simon qui nous ramène à Baltimore sur les traces de la série « The Wire », ce chef-d’œuvre qui avait contribué à faire de cet auteur engagé une référence absolue dans le monde télévisuel. Il nous invitait à suivre le quotidien de policiers en lutte contre les trafics de drogue sévissant au sein des quartiers pauvres de Baltimore, ville bien connue de Simon puisqu’il y a travaillé 12 ans en tant que journaliste. Il y dressait alors un état des lieux désolant de l’ensemble des institutions américaines, qu’elles soient judiciaires, politiques, scolaires ou policières. Par la suite, Simon avait posé ses valises pour un voyage musical et sociétal à la Nouvelle-Orléans après qu’elle a été ravagée par le passage de l’ouragan Katerina. S’était ensuivie une halte aux abords de la 42ème rue de New-York dans « The Deuce ». Simon nous décrivait alors le milieu violent de la prostitution dans les années 80 ainsi que les méfaits de la pornographie sur la vie de femmes qui comptaient sur ce nouveau mode d’expression pour gagner en « confort ». Mais quel que soit le lieu, dès lors que ces problématiques se confrontaient aux divers conflits d’intérêt qu’elles ne manquaient pas de susciter, le constat était sans appel : lutter contre de tels fléaux, engageant à eux seuls une économie à part entière,revenait, au mieux, à déplacer les problèmes, au pire, à brasser du vent. Pourtant, à l’aube de « We own this city », le discours passionné du Sergent Jenkins envers ses collègues constituent une lueur d’espoir à laquelle Simon ne nous avait pas habituée.Ne pas réagir aux provocations, rester digne et imposer la loi dans les quartiers sans céder à la tentation de la violence, tout cela paraît sensé et constructif. Alors, quelle n’est pas sa surprise (et la nôtre par la même occasion !) quand ce beau parleur, chaleureusement applaudi par ses pairs, se retrouve menotté et conduit en cellule par des membres du FBI. Mais il nous revient à l’esprit que l’on a affaire à une série de David Simon : on se prépare donc à déchanter.

 

 

Freddie Gray, un cas de jurisprudence

 

Pour construire « we own this city », adapté du livre-enquête éponyme de Justin Fenton concernant l'arrestation de 8 flics corrompus (1), Simon s’est appuyé sur un fait véridique qui a considérablement marqué la pratique policière à partir de 2015 dans les rues de Baltimore. En effet, la mort tragique de Freddie Gray, un jeune afro-américain de 25 ans décédé sous les coups de policiers qui avaient visiblement envie d’en découdre, avait à l’époque engendré de violentes émeutes (2). Suite à ces incidents, les forces de l’ordre hésitaient à procéder à la moindre intervention pour peu qu’un geste déplacé de leur part soit immortalisé par la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux et mette à nouveau le feu aux poudres. Leur intégrité professionnelle risquant par là-même d’être soumise à rude épreuve, les policiers ne tentaient plus le diable et se résignaient à laisser grimper le cours du taux de criminalité dans les quartiers de la ville.Alors pour peu que quelques cow-boys se permettent de faire régner l’ordre sans se soucier des conséquences que leurs actes pourraient porter à leur image, et c’est toute une hiérarchie qui baisse la tête devant la moralité de leurs pratiques.

 

 

Un monstre et ses larbins

 

En effet, on comprend vite que Jenkins et sa bande adoptent une attitude sur le terrain diamétralement opposée à celle que celui-ci prônait brillamment en introduction de la série. Voleurs, extorqueurs, magouilleurs : on a affaire à de vraies crapules. Certes, le métier de policier n’est pas une sinécure. Au sein d’un milieu franchement hostile, leur maigre salaire de fonctionnaire ne fait pas honneur à la difficulté de leur mission. En cela, on comprend que la tentation d’enfreindre les règles soit grande quand on débusque des pactoles aussi conséquents que ceux auxquels ils ont accès. Hormis son collègue Hersl, vraiment détestable, la plupart d’entre eux savent bien que leurs actions sont illégales mais après tout, ils effectuent le travail que d’autres ne font plus. Et ils ont surtout l’aval de leur chef, ce qui, mentalement, les affranchit d’une forme de culpabilité. Ce sont des malfrats, mais des malfrats conscients. A l’inverse, ce qui frappe chez Jenkins, c’est le déni constant dans lequel il se réfugie complaisamment. Lui est persuadé d’être dans son bon droit. Il se sent au-dessus des lois et de l’institution qu’il représente. Jusqu’à ses remords dont on ne sait s’ils sont sincères, tout chez lui est insupportable, que ce soit sa démarche de voyou, sa vulgarité affichée ou son égocentrisme exacerbé… Vic Mackey de « The shield » était lui aussi un ripou, mais il avait un charisme qui nous le rendait sympathique. Jenkins, lui, n’a même pas cela pour lui. Dégager une telle antipathie sans paraître caricatural n’est pas chose aisée. Et en cela, on peut affirmer que la performance de Jon Bernthal dans ce rôle est assez formidable. Il parvient en effet à nous persuader que des salauds comme lui, il en existe forcément et que leur grande goule fait bien du tort aux causes qu’ils disent servir.

 

 

Savoir faire simple quand cela s’avère nécessaire

 

Cependant, pour en arriver à cette conclusion, Simon se plaît à rendre compte de l’ensemble des détails qui ont pu amener à ce que ce type de personnages sévissent dans la police. Et c’est en partie sur ce point que le bât blesse. On connaît le soin que cet auteur engagé porte aux détails. On sait qu’il ne déteste rien de plus que de vulgariser des mécanismes complexes et souvent inextricables. Sur plusieurs saisons, l’aspect tentaculaire des problématiques soulevées fascine. Sur six épisodes, il embrouille. Pour une fois, on a envie de lui dire qu’il n’est pas utile de nous lancer des noms auxquels le spectateur tarde à associer les visages ou de nous abreuver de flash-back dispensables. On s’accroche malgré tout car, comme toujours avec Simon, le propos est intéressant, mais le plaisir pâtit fortement du manque de lâcher-prise que sa narration prodigue. Se faisant, on en vient même à penser qu’il cherche à coller fermement à l’image d’auteur exigeant, voire élitiste, qui lui est souvent associé. Et c’est bien dommage car des détails, des intrications entre les différentes affaires, il n’en reste pas grand-chose.

 

 

Un propos parfois désincarné

 

L’autre désagrément qui découle de ce parti-pris, c’est qu’elle restreint les émotions censées découler des exactions de Jenkins. Car en agissant comme il le fait, ce dernier entraîne dans sa chute une partie de ceux qui ont, à un moment de leur vie, succombé même passivement, aux sirènes alléchantes du banditisme. Mais à trop emberlificoter son récit, à trop tomber dans la démonstration, Simon nous empêche de profiter pleinement des drames humains qui se jouent devant nous. Alors, au final, « We own this city » n’est pas un mauvais David Simon. Que ce soit le sujet, la direction d’acteurs, l’ambiance de la rue qu’il décrit si bien, celui-ci reste toujours aussi impactant. Mais on a toutefois le sentiment d’avoir en face de nous un Simon qui n’a pas su s’adapter au court temps qui lui était imparti pour traiter son sujet. Dans ce format, il lui aura sans doute manqué une simplicité qui aurait contribuer à rendre sa série plus puissante mais aussi plus sensible. Dommage.

 

Disponible sur MyCanal

 

1 : https://www.lemonde.fr/international/article/2018/02/08/a-baltimore-le-proces-de-huit-policiers-ripoux-depasse-la-fiction_5253982_3210.html

 

2 : https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/freddie-gray-ce-que-l-on-sait-sur-la-mort-du-jeune-homme-qui-a-declenche-les-emeutes-a-baltimore_54827.html

 

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