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partie 2 : Scenes from a marriage

...Et qui d’autre que Hagai Levi aurait pu avoir l’idée saugrenue de remettre au goût du jour une œuvre à priori plus adaptée au théâtre qu’à la télévision  ? On connaît l'attrait du réalisateur israélien pour les huis clos psychologiques. C’est en effet lui qui, avec « Betipul », a réussi à rendre passionnants les entretiens d’un psychanalyste avec ses patients, tant et si bien que « In treatment » aux USA puis « En thérapie » en France allaient naître de ce concept. On espérait donc de ce passionné d’introspection et de psychologie humaine qu’il tire le meilleur des longs échanges verbaux qui constituent la base de « Scènes de la vie conjugale ». Alors, avant de commencer le visionnage, il était intriguant de savoir par quels bouts Levi allait tenter de relever cette gageure.

 

 

En premier lieu, il se devait d’être accompagné de deux excellents acteurs. Sur ce plan, la moindre défaillance aurait réduit à néant les aspirations de n’importe quel metteur en scène, aussi brillant soit-il. Or, en optant pour Oscar Isaac et Jessica Chastain, Levi ne s’est pas trompé. Très rapidement, Jonathan et Mira s’imposent à nous sans que Marianne et Johann viennent leur faire ombrage… Et ce alors même que le premier épisode s’avère être un copié/collé de celui de Bergman. L’interview, le dîner catastrophique entre amis… Et aussi surprenant que ça puisse être, il en sera ainsi jusqu’au bout, chaque scène de l’original retrouvant son pendant dans cette adaptation plus que fidèle. Levi adopte ainsi un parti pris certes louable mais également contrariant. Ce faisant, il montre à quel point il tient à ne pas dénaturer une œuvre pour laquelle il a une immense estime. Mais d’un autre côté, la portée créatrice de son récit s’en trouve forcément affectée. Certains dialogues sont même quasiment repris à l’identique. Et quand ce n’est pas le cas, quelques détails passés sous silence diminuent la profondeur du propos.

 

 

Mais alors, qu’est-ce qui fait que « Scenes from a marriage » se distingue de son homologue suédois ? La réponse est simple : sa réalisation. En effet, Bergman concentrait toute son attention sur ses acteurs et épiait leurs émotions à l’aide d’un cadrage souvent serré. Et si aucune expression de visage ne semblait pouvoir nous échapper, cette mise en scène figeait la narration dans un décor très théâtral et statufiait volontairement les personnages. A l’inverse, Levi choisit de les laisser circuler dans le décor de sorte que si chaque début d’épisode n’était pas là pour nous le rappeler, on en oublierait presque qu’il s’agit d’un huis clos. Il insère également des plages de respiration animés par les gestes banals du quotidien, sortes de soupirs musicaux intercalés entre deux séquences plus bavardes. Ainsi, l’ensemble s’avère à la fois plus vivant et moins étouffant que l’œuvre originelle. De surcroît, il en devient plus accessible pour le spectateur.2022 qui apprécie généralement le mouvement. C’est aussi pour cette raison que Levi fait l’impasse sur le deuxième épisode de la série de Bergman. D’ailleurs, ce dernier s’en était lui aussi affranchi lors du montage qui avait abouti à la sortie de son film dans les salles en 1974. Pourtant, non seulement cet épisode permet de mieux appréhender le désastre à venir, mais il comporte aussi une séquence terrifiante où une femme expose les raisons qui la pousse à demander le divorce après un vie passée auprès d’un mari qu’elle n’a jamais aimé. Toutefois, si pour ces raisons, il paraît dommage que Levi en ait totalement fait l’impasse, on peut comprendre que l’aspect statique des scènes qui le constituent l’ait dissuadé de le porter à l’écran.

 

 

La surprise et le coup de génie de Levi intervient lors de l’annonce de l’infidélité et du désir de départ en inversant les rôles préalablement attribués. Jonathan aurait dû tromper Mira… Et bien ce sera l’inverse ! Et cela change tout ! Tout d’abord, cela évite aux acteurs d’être comparés à leurs illustres prédécesseurs, ce qui, pour Jessica Chastain notamment, aurait été un poids assez lourd à porter. De plus, il paraît important de mentionner les paroles de Levi au festival Series Mania en 2021 : « Le problème, c'est que je déteste le mec dans la version originale. Je ne le supporte pas. » Il est « froid, misogyne, c'est un gros con ». Ni plus ni moins. De fait, sur l’ensemble du récit, difficile de lui donner tort. L’arrogance de Johann, la manière rabaissante avec laquelle il parle à Marianne, la violence physique dont il fait finalement usage, n’auraient pu être portées à l’écran aujourd’hui. A notre époque, le spectateur ne veut plus avoir affaire à ce type d’hommes sauf s’il s’agit de dénoncer une forme de domination masculine. De même, il ne peut plus accepter la soumission de Marianne devant de tels comportements. Rester fidèle au rapport homme/femme de « Scènes de la vie conjugale » aurait abouti à prendre définitivement parti pour la victime et jeter l’opprobre sur la virilité toxique de Johann. Or, sur le fond, ce n’est pas ce que souhaite Levi. Il tient à instaurer des rapports de force équilibrés entre ses personnages pour mettre l’accent sur les ressorts psychologiques de leurs prises de décision. Et en cela, sa pirouette narrative est d’une rare intelligence.

 

 

Ainsi, c’est la femme qui a une liaison extraconjugale et c’est l’homme qui en subit les conséquences. On s’éloigne des clichés qui voient ce dernier classiquement tromper sa femme avec une jeunette (même s’il s’agit là d’une situation qui est loin d’avoir disparu). Ici, c’est lui qui subit et c’est aussi lui qui aura à prendre en charge les enfants qui, de fait, deviennent un élément central du récit alors qu’en 1973, ils semblaient n’être qu’un élément décoratif de la problématique du couple. Cette différence n’est clairement pas anodine et démontre à quel point les enfants ont pris une place prépondérante dans l’équilibre familial moderne. Tout cela aboutit à deux portraits dépourvus de manichéisme : l’un de femme indépendante et déterminée, l’autre d’homme largement investi dans sa fonction paternelle. Et cela fait du bien. Pour autant, comme Levi nous confronte à deux adultes plutôt mesurés dans leurs propos, les situations ne nous procurent pas toujours les émotions que l’on serait susceptibles d’éprouver dans de telles circonstances. Car oui Johann était violent, mais sa détresse nous sautait aux yeux. Oui Marianne était soumise, mais sa douleur nous nouait le bide. Or, il manque parfois ici le ressenti intérieur de sentiments destructeurs nés d’une séparation amoureuse. Serait-il possible d’envisager qu’une telle mise à l’écran serait susceptible d’entraîner des polémiques devant le sort réservé à Mira et Jonathan et que cela pourrait réfréner n’importe quel réalisateur dans ses intentions ?

 

 

Vous l’aurez compris, malgré leurs similitudes narratives, les deux œuvres sont complémentaires et méritent d’être toutes deux regardées. Certes, celle de Bergman est plus intense physiquement et les propos y sont également plus profonds. Mais Levi ne démérite pas. Il réussit par un fameux tour de passe-passe à moderniser la forme pour la rendre plus attractive sans pour autant délaisser le fond. Et si la première citée semble plus éprouvante, le dernier épisode de chacune d’elles n’apportera pas du tout le dénouement auquel on aurait pu s’attendre…

 

Disponible sur OCS

 

Et du "côté séries", ils en pensent quoi ?

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