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Too old to die young (1 saison)

 

Un auteur qui divise

 

 

 

« Sublime élégie crépusculaire», «une expérience unique, parfois dérangeante mais fascinante» pour certains, «réalisé avec style mais abrutissant au possible», «storytelling prétentieux» pour d’autres, la série ou « le long film de 13 heures » comme la décrit lui-même son auteur, fait plus que diviser. Soit on adore, soit on déteste l’œuvre de Refn (Drive) qui a autant d’adeptes dans le monde du cinéma que de détracteurs. Il serait en effet malaisé de clamer qu’on aime cette série tant elle fait tout pour ne pas se rendre aimable. Elle a de quoi intriguer, sidérer, choquer, rebuter, envoûter. Alors, en dépit d’une radicalité qui favorise le rejet disproportionné ou l’admiration béate, ne tombons pas dans le piège tendu par «  Too old to die young » qui incite nos émotions à entraver notre jugement et posons nous simplement la question : quelles raisons autres que le masochisme pourrait amener le spectateur à s’embarquer dans un tel univers ?

 

 

De si violents silences

 

Pour dresser le tableau de ce qui vous attend, il convient de planter le décor : dans les rues désertées d’un Los Angeles sans âme, deux flics arrêtent une jeune femme en voiture sous prétexte qu’elle a grillé un feu rouge. Le premier des deux lascars s’avère muet comme une carpe et se contente de cracher au sol en observant, serein, son collègue harceler de plus en plus explicitement la demoiselle en question. Tout cela avec un calme tel qu’il nous est impossible de prédire le dénouement de ce jeu malsain. A ce moment du récit, il apparaît déjà que les dialogues sont étirés à l’extrême. Chaque temps de latence entre les répliques semble peser une tonne, comme le calme avant une tempête que l’on ne fait que redouter… La violence est là, tapie quelque part, mais subtilement, elle ne surgit pas toujours quand on s’y attendrait. Et lorsque c’est le cas, peu de bruits, peu de fureur pour la mettre en scène. Juste la froideur implacable des êtres qui en sont les auteurs.

 

 

Des entités énigmatiques

 

 

Ainsi découvre-t-on le sympathique Martin. Mais ne vous y trompez pas : d’autres joyeux lurons de son envergure viendront rapidement lui tenir compagnie. Ainsi, Janey, la petite amie de Martin, serait psychologiquement stable si elle ne vivait pas avec un père aussi riche que détestable, vouant par ailleurs à sa fille une admiration sans borne. Mais ce duo apparaîtra moins létal que celui formé par le mutique Jésus (ce choix de prénom n’est pas dû au hasard), jeune chef de gang d’origine mexicaine dont la mère a été assassinée par des policiers, et Yaritza, étrange créature vénéneuse subitement sortie du désert qui l’a vue naître. A cette liste s’ajoutera la mystique Diana qui use de son métier d’avocate pour débusquer des pédophiles. Ne lui reste plus qu’à prononcer la sentence mortelle pour que Viggo, un ex-agent du FBI, se charge de l’exécuter.

 

 

Une structure narrative désarçonnante

 

A la lecture de ce synopsis décousu, difficile d’imaginer que ces différents arcs narratifs puissent se rejoindre pour finalement constituer un seul et unique puzzle où chaque pièce serait dépendante de ses voisines. Cependant, penser l’on ait affaire à des histoires indépendantes serait également illusoire car trop schématique. Certaines se rejoindront, d’autres pas. Ce procédé stylistique, très déroutant, laissera tout d’abord le spectateur perplexe et incrédule devant un épilogue qui ne respecte en rien les schémas narratifs traditionnels. De même, n’imaginez pas qu’un héros (ou plutôt un anti-héros) vous accompagnera tout le long du chemin car là aussi, vous risquez de ne pas comprendre ce qui vous arrive. En réalité, bien malin celui ou celle qui arrivera à déceler, parmi les différents protagonistes, lesquel(le)s sortiront indemnes de ce jeu de massacre et parviendront à nous communiquer leur vision du monde.

 

 

L’amour et ses conséquences

 

 

Car finalement, c’est bien de messages dont il est question. Un message d’amitié ? Clairement non ! Cette histoire en est totalement dépourvue. Un message d’amour alors ? Non plus. Mais pour le coup, il en est énormément question. Entendons-nous bien : l’amour tel que la plupart d’entre nous le concevons n’a pas sa place dans « Too old to die young ». Son incursion dans le récit pourrait apporter au spectateur une lueur réconfortante, un espoir auquel se raccrocher. Mais de fait, elle est brutalement réduite à néant, rattrapée par une violence destructrice qu’elle n’avait pas vue venir. Paradoxalement, il s’agissait là d’une relation légalement condamnable, sombre ironie d’une histoire qui n’a de cesse mettre en lumière l’iniquité de la justice humaine. En effet, dès lors que ses gardiens s’avèrent corrompus ou partisans d’idéaux fascistes, de quels apparats autres que la torture, la vengeance sanglante ou les exécutions sommaires peut-elle bien se revêtir ? Dès lors, l’amour et ses conséquences émotionnelles agissent comme les catalyseurs impitoyables de pulsions destructrices faussement réparatrices. Ainsi, tous retirent de la douleur qu’il engendre le goût prononcé du sang et de la perversion. Cependant, même les souffrances légitimes induites par ce sentiment à double tranchant ne permettent de cautionner les exactions dont les personnages se rendent coupables. Alors, quoi de mieux que de se plier à une forme d’invocation divine pour effectuer ce que la morale tendrait à bannir ? A ce stade, il est étonnant de constater que les femmes, blondes ou brunes, anges ou sorcières, sont les principales commanditaires de ces entreprises spirituelles presque messianiques tandis que les hommes ne sont que des pions consentants à leur réalisation. Ainsi portés par une voix qui transcende leur volonté, chaque personnage clôt sa partition par un monologue glaçant qui démontre si c’était nécessaire à quel point leur désir de destruction semble total. Et malgré des aspirations divergentes, leurs discours ont cela en commun qu’ils ne prônent que le chaos. De cette façon, le final que l’on avait pu trouver mal ficelé, prend soudainement tout son sens.

 

 

Une photographie somptueuse au service du malaise

 

De plus, la vision nihiliste du monde que Refn nous dépeint est esthétisée de manière à nous la rendre encore plus radicale. Car il n’y pas que les silences qui sont longs. Les épisodes le sont tout autant, approchant parfois les deux heures. Deux heures de scènes qui ne semblent jamais se terminer. On regarde ces monstres se débattre, se torturer sans qu’aucune joie ne les parcoure jamais. Pas de sourires, pas d’emphase victorieuse. Chez Tarantino, on tue dans la bonne humeur et le sang est joyeux ! Ici, même les truands restent impassibles, déshumanisés. Alors, on a parfois envie de se soustraire de cette lenteur morbide. On n’est pas forcément ravi de se lancer dans un nouvel épisode. On sait qu’on va souffrir, que certaines secondes paraîtront des minutes. Mais on sait aussi que de cette expérience, on en gardera une trace assez puissante. Alors, on maintient l’effort. D’autant plus que la photographie somptueuse de Darius Khondji nous aide à surmonter les moments de lassitude. Durant 5 épisodes, il est en effet difficile de ne pas être transporté par la beauté de ces lents travellings latéraux inondés de néons multicolores qui mettent en valeur la beauté de ces visages inexpressifs et immobiles. Que ce soit lors d’une exécution où le pistolet, énorme, vole la vedette au visage flouté de son détenteur, ou dans une boîte de nuit où chaque silhouette semble figée dans une posture chorégraphiée, nous sommes plongés dans un torpeur angoissante et moite que la musique inclassable de Cliff Martinez rend électrisante. Tous ces éléments confondus  participent au climat hypnotique de la série tout en lui apportant une plus-value onirique assez sidérante. Dommage toutefois que la qualité de cette photographie finisse par décroître au fur et à mesure des épisodes, car ce faisant, à mi-parcours, certains épisodes deviennent physiquement plus éprouvants.

 

 

Bilan

 

Alors, on peut détester « Too old to die young ». Il y aurait de nombreuses raisons à cela. On peut l’adorer évidemment. Mais on peut simplement reconnaître qu’il s’agit surtout d’une œuvre aride, élitiste, prétentieuse, passionnante, ennuyeuse… mais en tous points unique.

 

Disponible sur Prime Video

 

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