The expanse, quelle idéologie ?

Roman Vs Série

 

 

Là où la science-fiction est souvent passionnante, c’est dans sa capacité à parler du présent dans la représentation qu’elle se fait de notre futur. Et en cela, « The Expanse » n’échappe pas à la règle. Certes, pour une analyse plus fouillée, il faudrait pouvoir comparer cette adaptation télévisuelle avec son roman originel composé de 9 volumes et dont l’écriture a débuté en 2014. (Cette saga écrite par 2 américains a même reçu le prix Hugo en 2020.) Il ne sera pas question ici de pointer les différences entre ces deux œuvres. Pour seule comparaison, on peut noter que pour Wikipédia, «si le déroulement de l'intrigue est, dans les grandes lignes, équivalent entre le roman et la série, de nombreux événements y trouvent des approches différentes. La série apporte un complément d'informations sur l'intrigue du roman, et le roman une approche technique et socio-économique supplémentaire sur la société dans le système solaire.»

 

Une décentralisation bienvenue du pouvoir

 

Ce qui frappe en premier lieu lors du visionnage, c’est que l’Amérique n’est pas totalement au centre de la gouvernance de la Terre puisque ce sont les Nations-Unies qui la président. Ceci est une évolution notable quand on sait que bon nombre de films dans les décennies précédentes présentaient les États-Unis comme les principaux garants de la stabilité mondiale… aucun autre pays n’était d’ailleurs évoqué et ce, alors que le sort de l’Humanité tout entière était en jeu. Et même si le siège des Nations-Unies se situe à New-York et que les principaux protagonistes de la série sont empreints de valeurs occidentales qu’un Américain ne renierait pas, il est indéniable que la série tente d’insuffler un discours de paix et de tolérance bienvenu. Elle reconnaît par exemple que si terrorisme il y a, il découle de violences générées par des populations favorisées envers d’autres plus démunies dans le but de satisfaire leurs besoins personnels. De fait, elle fait également le vœu pieu que les peuples dont sont issues ces rebellions compréhensibles mais assassines rejettent les exactions d’extrémistes qui ne les représentent pas dans leurs revendications. La série semble donc prôner une mondialisation (utopiste ?) plus respectueuse des nations qui la composent. Elle met en tout cas en scène une décentration d’un impérialisme américain qui a connu un virage moins intéressé et « colonialiste » sous la présidence d’Obama, quitte à fuir parfois ses responsabilités.

 

Des humains défaillants

 

Comme métaphore d’un monde plus tolérant, le Rossinante est le vaisseau où Terriens, Martiens et Ceinturiens forment un microcosme censé symboliser un monde affranchi des différences culturelles et individuelles. Un monde uni dans un désir commun de vivre ensemble et de faire front quand le besoin s’en fait ressentir. Malheureusement, si leur vaisseau se nomme le Rossinante (la monture du valeureux Don Quichotte qui rêve de l’amour suprême auprès d’un être issu de son imagination : sa belle Dulcinée du Toboso), c’est que ces personnages sont en quête d’un idéal chimérique que l’humain ne saurait atteindre seul. Car l’homme est faillible et qu’il ne peut se détacher de ses intérêts propres.

 

 

Un messie comme réponse à tous les maux

 

Pour remédier à des faiblesses qui ont de tout temps mis l’humanité en péril, la série joue cartes sur table en nous proposant sa solution : recourir au divin et particulièrement au message porté par le christianisme. Car, qu’il le veuille ou non, James Holden est la clé de la résolution du conflit. En effet, il est celui qui, en conservant la vue, guide les aveugles, les ignorants, dans l’obscurité. Il est celui qui a des visions auxquelles les autres ne peuvent accéder. Lors de l’épilogue, il est celui qui, nimbé de lumière au milieu de ses 12 apôtres habillés de noir, tranchera et montrera la Voie à des mortels incapables de se mettre d’accord. Et par une ultime pirouette, il redonnera une place équitable à chacun des partis. L’humain ne pouvant résoudre seul ses problématiques, il faudra qu’à travers Holden, la justice divine intervienne pour que l’harmonie reprenne ses droits.

 

Le don de soi comme repentance

 

Et si ce dernier nous apparaît comme un guide spirituel pour ses semblables, il l’est tout autant pour ses compagnons de route qui finissent par ne plus remettre en cause sa parole. Ainsi, il apporte à Naomie la foi en l’amour alors que celui-ci avait été jusque-là source de destruction. Il participe à refonder une famille qui fait défaut à Alex depuis que ce dernier a délaissé la sienne pour parcourir l’espace. Quant à Amos, incapable de choisir lui-même la voie de la bonté, il n’aura d’autres choix que de s’en remettre à l’éthique irréprochable de son chef. Par ailleurs, comme si cela ne suffisait pas et pour étayer encore le poids de la religion sur leur rapport au monde, notons que tous les trois (sans compter Peaches et Drapper) sont dans la repentance d’actions ou de ressentiments passés qui semblent entacher leur âme. En suivant alors la chemin proposé par leur leader, ils sont clairement en quête d’une absolution qui nécessitera le sacrifice de soi comme ultime acte de repentance. Ainsi, dans cette quête spirituelle qui les anime et à part Holden qui a « choisi » son Élue, point de sexe sur le Rossinante. Leur mission est de l’ordre du sacré et ne doit pas être entravée par les plaisirs de la chair. A l’inverse, le groupe pourtant soudé mais aux mœurs plus libérées qui compose le vaisseau de Drummer, finira par voler en éclats.

 

Le chemin est encore long

 

Comme on peut le voir, « The Expanse » a bien du mal à se détacher de la figure « héroïque » chère à un pays qui a souvent misé sur les personnages iconiques de son histoire pour le représenter. Certes, il ne s’agit pas ici d’un héros qui se place au-dessus des lois pour se faire justice lui-même tel qu’Eastwood aime les mettre en scène. De même, Holden ne se dresse pas (comme pouvait le faire John Wayne en son temps en repoussant symboliquement les Mexicains dans « Alamo ») en rempart de peuples susceptibles de nuire à l’intégrité des valeurs américaines. Non. Ici, le message porté est beaucoup plus ouvert à l’altérité et c’est tout à l’honneur de ses auteurs. Mais si la paix est rendue possible, c’est qu’un ambassadeur divin issu de la chrétienté a porté un message inaccessible pour des mortels aveuglés par leur condition. En cela, s’il parait juste de penser que l’idéal américain d’impérialisme politique est en retrait dans les productions contemporaines, celui qui touche à la religion semble encore avoir de beaux jours devant lui. Une religion qui, ne l’oublions pas, est l’un des socles fondateurs de la Constitution des États-Unis d’Amérique.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0