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The last of us (saison 1)

Champignons et morts-vivants

 

Pedro Pascal aime jouer les protecteurs. Il le fait de l’autre côté de la galaxie en prenant Grogu sous son aile dans « The Mandalorian ». Il récidive ici avec bien plus de classe (et d'expressivité) auprès de Ellie, une adolescente qu’il s’emploie à faire traverser les États-Unis malgré les dangers qui secouent un monde dévasté. Car les scientifiques avaient prévenu : si l’humain devait disparaître, ce ne serait pas en raison d’un virus ou d’une bactérie… mais d’un champignon. Or, un jour de 2003, certains adoptent soudainement des comportements violents auprès de leurs congénères. En gros, ils grognent puis sautent sur le premier individu venu dans le simple but de le dévorer. Mais qu’il soit mort ou simplement mordu, ce dernier agit désormais sous le contrôle du cordyceps, ce champignon létal qui n’a qu’un but : se propager. Bref, les victimes en question adoptent le comportement de ce que le commun des mortels a coutume d’appeler «un mort-vivant». Quoi qu’il en soit, en une nuit, le chaos s’empare du monde. Un chaos auquel Joël, entrepreneur dans le bâtiment, tente d’échapper sans qu’il parvienne à sauver sa propre fille. 20 ans plus tard, le voilà qui officie en tant que contrebandier sans scrupule dans une ville (Boston) dirigée par le FEDRA, les forces armées qui ont tenté de contenir la contagion et exercent désormais une autorité dictatoriale sur la population. Son but est maintenant de partir à la recherche d’un frère dont il n’a plus de nouvelles. Mais même quand on est en possession d’une voiture, trouver une batterie ne s’avère pas chose aisée. Il parvient à en faire le négoce auprès des Lucioles, les résistants à la FEDRA, selon une condition : apporter dans un de leur centre médical situé loin de là une jeune fille effrontée à qui ils attribuent une valeur inestimable : Ellie.

 

 

La fin d’un monde

 

Classiquement, le premier épisode, long de presque 1h30 nous dépeint la vie des citoyens américains le jour où tout s’est emballé, le temps de faire connaissance avec Joël et sa fille Sarah. Nous sommes donc en terrain connu avant que les sirènes ne hurlent progressivement dans les rues. Dès le départ de cette journée, on sait que les choses vont se gâter mais la forme prise par cette descente aux enfers nous est inconnue, ce qui crée forcément une tension. Quand cela survient, le rythme s’accélère soudainement. Des êtres effrayants et déchaînés se ruent alors sur des victimes affolées devant l’afflux grandissant d’infectés. Les immeubles brûlent, les avions s’écrasent. Sitôt passés ces moments apocalyptiques attendus mais terriblement efficaces, on enchaîne avec la vision peu réjouissante du monde tel qu’il nous est décrit en … 2023. Car comme souvent lorsque l’État n’est plus en mesure de jouer son rôle, l’armée est la seule institution à pouvoir sortir son épingle du jeu. Dès lors, hommes et femmes tentent de survivre au milieu d’une zone « sécurisée » où trônent des carcasses de voitures et des squelettes d’immeubles désertés. Tout cela sous l’œil impitoyable d’une FEDRA prête à toutes les exactions pour maintenir l’ordre précaire qu’elle est parvenue à instaurer. Dans ce contexte, lorsqu’il est question de survie, la loi du plus fort ou celle du plus débrouillard devient la norme. C’est dans cet état d’esprit sans foi ni loi que Joël et sa compagne Tess parviennent à subvenir à leurs besoins. Narrativement, c’est cohérent. Visuellement, c’est superbe (et ce, jusqu’au bout!). Mais à partir de là, il restait à « The Last of us » de nous conter une histoire digne de ce préambule alléchant.

 

 

Un duo complémentaire

 

Commence alors un road-trip dans une Amérique à l'abandon. Celui d’un homme qui s’est engagé à acheminer une adolescente pour qui il n’a aucune affection particulière. A ses yeux, elle est une monnaie d’échange qu’il se doit de remettre à bon port. Dès lors, il se comporte avec elle comme il le fait avec l’ensemble des humains qu’il rencontre. Il ne cherche pas la discussion, ne veut pas qu’on s’intéresse à lui et ne tient pas à créer du lien. C’est un homme brisé qui a perdu toute foi en l’humanité et ne semble plus croire en la sienne. Quant à Ellie, interprétée par une Bella Ramsey magnifique de naturel, elle sait se faire bavarde et gouailleuse malgré les pertes et les souffrances qu’elle a endurées au cours de sa courte existence d’orpheline. Il la rejette allégrement ; elle s’en moque. Ce tandem fonctionne parfaitement et les dialogues finement écrits rendent amusants la confrontation de deux personnalités que tout oppose. Mais malgré cette apparente désinvolture, Ellie sait également que son avenir dépend de cet homme bourru qui ne l’aime pas. Et ce que l’on ne devine pas à ce stade du récit, c’est que ce duo antinomique va petit-à-petit faire naître en nous des émotions qu’il était difficile d’anticiper au vue de la thématique post-apocalyptique de «The last of us».

 

 

Une série intense

 

Bien sûr, celle-ci comporte un bon nombre de scènes où Ellie et Joël doivent directement lutter pour leur survie. Elles sont trépidantes à souhait et c’est heureux car de leur qualité dépend presque celle la série tant elles constituent une bonne partie de la trame narrative. Mais c’est surtout lors des temps plus apaisés que, paradoxalement, la tension est à son comble. On sait en effet que si calme il y a, la tempête, plus ou moins violente, lui fera suite. C’est cette appréhension et le fait de ne pas connaître la forme de son expression qui alimente le plus nos craintes. Auront-ils à se coltiner des « infectés » voraces et effrayants ou des humains pillards et sans scrupule qui font peu de cas de la vie humaine ? On souffle alors un peu quand c’est une campagne plus familière qui leur les accueille. Mais on sait toutefois qu’il suffit d’une âme égarée pour qu'elle ne devienne cauchemardesque. Le qui-vive atteint son paroxysme dans un environnement urbain forcément plus peuplé, forcément plus létal. Ainsi, lorsqu’Ellie passe du bon temps dans un centre commercial à l’abandon en compagnie de son amie, il y aurait de quoi s’ennuyer. Mais dû au fait que, contrairement à elles, nous anticipons l’aspect tragique de son dénouement, on profite des derniers moments de joie qu’elles sont encore en mesure de partager. Finalement, c’est une des grandes forces de cette série que de servir des scènes d’action pour accentuer l’intensité de celles où le danger semble tenu à l’écart.

 

 

Inséparables

 

Par ailleurs, les différentes péripéties auxquelles le duo se trouve confronté permettent de consolider des liens de plus en plus puissants au fur et à mesure que tous deux apprennent à se connaître. Ils ne tenaient pas à s’apprécier mais l’adversité dans laquelle les circonstances les ont plongés en a décidé autrement. Par ailleurs, on savait Ellie dépendante et Joël, affectivement traumatisé. Mais c’est malgré tout un tour de force assez incroyable que de ressentir une forme d’abandon physique douloureux dès que ces deux-là se trouvent séparés. Ce qui les unit devient à ce point viscéral, qu’il fait d’eux des bêtes irraisonnées quand il s’agit de défendre l’être en qui ils ont placé tous leurs espoirs. Tout est bon (y compris la violence) pour donner du sens à une vie qui ne les a pas épargnés mais dont ils ne sont pas les seules victimes. Et si leurs actes peuvent se justifier par l’hostilité des humains qu’ils rencontrent, ils servent avant tout de prétexte à la manifestation de leur passion dévorante.

 

 

La pudeur comme arme suprême

 

Tout cela ne fait jamais de Joël et d’Ellie de belles personnes. Et pourtant, on tremble pour leur sort autant que si nous étions sur les routes désolées des États-Unis à leur place. Mais si leur relation nous paraît aussi belle, c’est que la narration fait preuve de pudeur pour nous en retranscrire la force. Ne vous attendez pas à de grandes déclarations d’amour entre ces deux êtres blessés, ni d’accolades chaleureuses appuyées par une musique outrancièrement émouvante. Trop de cadavres parsèment leur chemin pour qu’ils puissent se permettre de s’épancher ainsi. Pour l’une, l’affection se manifeste au travers de coups sur la poitrine désespérément adressés à celui qui ne veut pas voir son besoin de protection. Pour l’autre, tout se résume en un aveu synonyme d’une formule plus aimante mais qu’il aurait été grossier de déposer dans la bouche d’un homme qui a tout perdu. Lors de ces instants de douceur hors temps, la bande-son sait se faire discrète pour laisser infuser chez le spectateur le lot d’émotions qui incombent à ce genre de scènes. C’est également la pudeur qui nous laisse à la porte de la chambre de Bill et de Franck comme il est demandé à ceux qui pénètrent dans leur humble demeure. Au terme d’un magnifique épisode où les infectés n’ont pas leur place, la caméra entre bien discrètement par la fenêtre au moment de leur dire au revoir, mais elle ne s’autorise pas à aller plus avant et on la remercie pour cela. C’est encore elle qui nous épargne la fin tragique vécue par Ellie et Bethany après qu’elles ont connu le bonheur d’être bercées par un cheval de bois des temps anciens. Fidèle à cette volonté de ne pas verser dans la surenchère, la violence de « the last of us », s’il aurait été absurde de l’édulcorer tant elle est au cœur de son sujet, n’est jamais gratuite. Juste nécessaire pour appréhender les forces de vie qui découlent de sa présence.

 

 

 

Brillant

 

« The last of us » parvient dans un premier temps à mettre en images une organisation sociétale crédible dans un monde où l’ensemble des systèmes politiques est à redéfinir. Elle se permet même de dénoncer la capacité qu’ont les hommes de récupérer le discours religieux dans le seul but de justifier leurs actes, aussi atroces soient-ils. Mais dans l’ensemble, là où la série est la plus brillante, c’est dans sa capacité à émouvoir. Bien plus bouleversante qu’horrifique, elle utilise son propos pour nous balader dans les tourments de l’âme humaine. Après la superbe « Arcane » issue elle-aussi d’un jeu vidéo, on se retrouve face à une œuvre brillante et pleine qui conjugue tout un registre de genres pour se faire intimiste et poétique dans un univers de destruction et de mort auquel ses personnages participent activement. Magnifique.

 

 

 

Disponible sur Prime Video

 

 

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