Toutes les séries sont-elles bonnes à voir ?

Comme tout bon sériephile qui se respecte, quand je regarde une série, je cherche avant tout à prendre du plaisir devant une bonne histoire et une mise en scène de qualité. Cependant, si chacun est libre de se plonger dans l’univers qu’il désire selon son humeur ou ses envies du moment, certaines productions récentes et les polémiques qu’elles ont engendrées m’ont amené à me questionner sur la pertinence de leur sujet. En gros, peut-on parler de tout devant tout le monde ?

 

 

De la violence ? Et alors ?

 

Il y a quelques semaines de cela s’élevaient des voix fustigeant la dernière production de Ryan Murphy (le spécialiste du "true crime"), la bien nommée : « Dahmer ». Sa violence, disait-on, versait dans la surenchère. Elle exploiterait un filon consistant à mettre en scène des serial killer ayant réellement existé et dont les mœurs forts déplaisantes ne seraient exposées que pour satisfaire le voyeurisme d’un public avide de sensations toujours plus fortes. Toutefois, s’il serait malhonnête d’affirmer que la réputation de cette série est exagérée, elle se garde bien de montrer crûment les exactions de l’homme psychotique qu’elle met en scène. Certes, elles sont largement suggérées mais la caméra s’en écarte le plus souvent, faisant mine de soulager le spectateur qui n’a d’autres choix que de se confronter à sa propre imagination. Mais que l’on apprécie ou pas cette plongée dans les affres de l’horreur, on ne peut pas reprocher à Murphy de faire l’apologie de la figure du meurtrier. Que certains soient fascinés par le personnage, libre à eux. Mais l’auteur n’est pour le coup aucunement responsable de cette identification malsaine. Comme le suggérait Michael Haneke lors de la sortie de son magistral film « Funny games », une violence malaisante est sûrement moins nocive que celle qui se diffuse insidieusement sous couvert de divertissement.

 

 

Vous reprendrez bien un petit scandale ?

 

Alors non… Je ne vois pas en quoi la violence de « Dahmer » peut constituer un élément répréhensible artistiquement. D’autant plus que Murphy s’est toujours plu à disséquer avec élégance les rouages de l’âme humaine en prenant soin de dépeindre le milieu dans lequel elle s’inscrit. Ce qu’il y a de plus répréhensible en revanche, c’est que les proches des victimes ne tenaient pas à ce que cette histoire douloureuse, voire traumatique en ce qui les concerne, soit une nouvelle fois portée à l’écran. En ravivant ainsi des souvenirs dont elles se passeraient bien, la monstruosité de ce qu’ils ont eu à endurer leur apparaît comme un produit mercantile qu’ils ne peuvent cautionner. On pourrait également considérer que la saison 3 de son anthologie de « American Crime Story » qui retrace les dessous du scandale Monica Lewinsky serait soumise aux mêmes critiques. Mais cette fois-ci, Murphy a pris soin de s’entourer directement de la principale intéressée pour exposer son récit, ne se risquant pas à travestir les faits tels qu’ils ont été perçus par celle-ci. Après, cela signifie également se mettre à distance de la vision de Linda Tripp et de Bill Clinton qui n’ont pas les plus beaux rôles dans cette affaire. Et si la première est morte dernièrement, sa famille, elle, aurait le droit de se sentir salie. Quant à l’ex-président, aussi puissant soit-il, il n’en reste pas moins humain et donc susceptible de souffrir du portrait qui est fait de lui.

 

 

Tout est une question de temps

 

Mais alors, pourquoi autant de polémiques concernant certaines sorties sérielles ces derniers temps ? Tout d’abord, de nos jours, l’accès à la parole s’est fortement démocratisé via les réseaux sociaux, ce qui permet à tout un chacun d’exprimer son ressenti. Mais surtout, les auteurs ont pris l’habitude de traiter de sujets très, trop, contemporains. En effet, parler de personnes qui ont pu faire la une de nos quotidiens ou dont on a entendu parler quand on était jeune est forcément attractif aux yeux du grand public. Toutes ces thématiques s’avèrent donc de véritables poules aux œufs d’or pour les les studios de production. Or, il n’y a aucun problème à remanier l’Histoire dite ancienne en fonction de la sensibilité de ceux qui la mettent en scène. Il n’est pas inconvenant de traiter de l’histoire des Vikings en la déformant pour y apporter du romanesque. Aucun descendant de Ragnar risque à l’heure actuelle de se plaindre du traitement apporté à leur ancêtre dans la série « Vikings ». De même, qui viendra reprocher à Catherine de Russie de lâcher des « Fuck » à tout bout de champ dans « The great » ? Pour connaître la vérité sur ces personnages historiques, il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire ou plus simplement d’aller sur Internet. En revanche, il paraît plus délicat de porter à l’écran les péripéties de la famille royale anglaise dans « The Crown » quand une part des membres de celle-ci, ou simplement leurs proches, sont encore de ce monde. Fatalement, ceux-ci ont fait part de leur désapprobation devant certaines inexactitudes psychologiques ou factuelles. Les auteurs n’ont alors pu faire autrement que de s’emmêler les pinceaux en précisant que la série était « inspirée de faits réels ». Mais dans l’esprit du spectateur, il paraît bien compliqué de dissocier les entités fictives qui nous sont montrées, de celles, forcément plus complexes, qu’elles incarnent. On pourrait rétorquer que finalement, assez peu de voix se sont élevées contre la série pour en souligner les approximations. Mais il faut bien comprendre que dans ces cas-là, manifester son mécontentement, et mettre de l'huile sur le feu, revient à faire de la publicité aux œuvres concernées et incitent les curieux à se faire un avis par eux-mêmes. A partir de là, mieux vaut se taire, quitte à laisser errer dans la nature les images tronquées des personnes publiques dont elles ont emprunté les noms et les statuts.

 

 

Une affaire de consentement

 

Alors pourquoi évoquer maintenant le sujet ? Et bien, j’avais dans mes cartons la série « Pam and Tommy » qui relate l’affaire de la sextape entre Tommy Lee et Pamela Anderson. Obtenue de manière illégale, cette vidéo datant de la fin des années 90 est vite devenue virale et a sérieusement entaché l’image de la star sulfureuse d’ « alerte à Malibu ». Les tenants et les aboutissants de cette sombre histoire est à n’en pas douter sujette à élaborer un récit passionnant. Or, Pamela Anderson vient de faire savoir qu’elle allait sortir un documentaire pour narrer une vie parsemée de viols et de drames. La raison ? « Pam and Tommy » est sortie il y a un an environ. Elle ne l’a pas vu et ne compte pas la voir. "J'avais oublié cette affaire pour survivre", confie-t-elle dans son documentaire. "C'était un mécanisme de survie. Et maintenant que ça revient, je me sens mal. J'ai l'impression d'avoir été frappée à l'estomac. Je ne me sens pas bien. Je me sens comme lorsque la sex tape a été volée". Car elle n’a jamais donné son accord pour que son histoire soit racontée. Mais les producteurs ont choisi délibérément de ne pas en tenir compte. Personnellement, je trouve que c’est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Si je m’étais auparavant laissé aller à visionner des séries dont je ne cautionnais pas vraiment la démarche, il m’apparaît qu’il n’est pas moralement tolérable de prendre ainsi possession de la vie d’une personne sans son contentement et de la mettre en scène. Que la finalité de ces productions soit mercantile, artistique ou bien les deux, quelle que soit la qualité des produits finaux, il revient peut-être au spectateur de remettre en cause la pertinence des sujets qui lui sont proposés.

 

 

Éteignez votre télé

 

Bien sûr, il ne s’agit pas de porter un jugement moralisateur sur celles et ceux qui souhaitent regarder « Pam and Tommy ». Jusqu’à preuve du contraire, nous sommes en pays libre et il existe des sujets plus graves que celui-là. Mais avant d’allumer son poste de télévision, il ne semble pas bien coûteux de s’interroger sur la nature du produit qu’on nous propose de déguster. Que les studios fassent peu de cas du respect et de l’intégrité des personnages qu’ils portent à l’écran, ce n’est pas bien surprenant. Mais nous, simples consommateurs de ces appétissantes histoires, avons ce petit pouvoir qui est de signifier que nous ne voulons pas de ce plat-là. Un petit geste politique et moral, simple et sans danger. Alors, « Pam and Tommy » ? Non merci !

 

 

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