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For all mankind (saisons 1 à 3)

Une uchronie ? Youpi !

Sur le papier, les uchronies sont souvent alléchantes. Que se serait-il passé si… ? Miam… Et celle de « For all mankind » ne déroge pas à la règle. Comment aurait évolué le monde si les Soviétiques avaient été les premiers à poser le pied sur la Lune en 1969 ? Et bien peut-être que les États-Unis auraient tenté de laver cet affront en apportant de la plus-value à cette performance. Dans la série, l'échec est d’autant plus cuisant qu’après que ces derniers parviennent à leur tour à fouler le sol lunaire, leur concurrent reprend les devants en prouvant au monde entier que les femmes étaient elles-aussi en capacité de réaliser cet exploit !
A cette époque aux États-Unis, elles n’étaient toujours pas autorisées à postuler à la fonction d’astronautes. Même chose pour les homosexuels d’ailleurs. Alors, afin de redorer le blason de la nation, la NASA se voit contrainte de former puis sélectionner en urgence quelques prétendantes capables d’être envoyées dans l’espace. Et pour l’image, quoi de mieux que de pousser la logique jusqu’à intégrer dans leur rang une femme noire (l'idéal étant qu'on ne la retrouve pas dans la liste des admises bien sûr) ? A partir de là, et durant les 30 années que couvre la série, la conquête de l’espace devient une source d’enjeux venant chambouler les relations géopolitiques et interroger les rapports sociaux.

 

 

 

Les nobles causes ne font pas toujours les bons récits

Il est toujours utile d’évoquer la place des femmes et des minorités dans notre société. Mais qu’un scénario serve de prétexte pour mettre en avant ces bonnes intentions, et c’est tout l’édifice narratif qui en pâtit. C’est malheureusement ce sentiment qui domine après quelques épisodes de « For all mankind ». On en vient même à penser que la série cherche à cocher les cases susceptibles de contenter celles et ceux qui ont un attachement particulier à toutes sortes de thématiques humanistes. Mais comme le prosélytisme se dissout avec difficulté dans un scenario (quel qu’il soit), sa présence ne fait que nuire à la subtilité narrative de l’ensemble. C’est d’autant plus dommage que cette reconstruction de la réalité se base sur des faits historiques avérés qui auraient mérité meilleur sort. En effet, aux débuts des années 60, le programme Mercury 13 regroupait 13 femmes destinées à devenir astronautes… avant que celui-ci ne soit supprimé. Il faudra attendre 1983 pour qu’une américaine soit envoyée dans l’espace. Un des personnages de l’histoire porte même le nom d’une de ces prétendantes éconduites. Alors certes, on apprécie de voir ces femmes rivaliser pour se faire une place dans ce monde d’hommes, mais comme les auteurs fixent leur attention sur la parcours de quelques unes, il nous est aisé d’anticiper lesquelles d’entre elles seront les heureuses élues. Bien évidemment, comme toute bonne saga, il faut aussi compter sur LE drame indispensable et nécessaire prompt à bouleverser cette logique. L’un des plus gros reproches que l’on pourrait d’ailleurs faire à « For all mankind » est de coller à des schémas narratifs si conventionnels qu’ils annihilent beaucoup de surprises…comme distiller épisodiquement quelques morts tragiques plus ou moins inspirées, en témoigne une fin de saison 3 absolument grotesque.

 

 

Une vision politique assez pertinente

Tout cela est fort dommage car sur certains points, la série parvient à trouver de la nuance dans son propos. Certes, les relations entre les États se résument à celles entretenues par les Soviétiques et les Américains, le Vieux Continent ayant été rayé de la carte pour l’occasion. En effet, si cette histoire prend ses racines au temps de la Guerre Froide, par la suite, elle se satisfait d’une vision bipolaire de la politique mondiale. Les méthodes des gouvernants russes sont classiquement dépeintes comme violentes et tyranniques, même envers leurs propres concitoyens. Mais les dirigeants américains ne sont pas non plus montrés sous leur meilleur jour. Les présidents ont beau se suivre, ils ne savent que sermonner en cas d’échec, mettre constamment la pression sur les équipes et féliciter tout ce beau monde quand l’image du pays se trouve valorisée. La NASA, qui est une institution d’état financée par le gouvernement américain, se doit même d’accepter la présence à ses côtés de l’armée, mettant ainsi ses données scientifiques au service de la défense nationale en cas de conflit militaire avec l’URSS. Tout ceci paraît pour le moins équilibré et loin d’être absurde dans le propos...

 

 

Héros et symboles

Finalement, si le monde parvient à s’extraire de situations politiquement instables, c’est grâce aux hommes et aux femmes qui composent les rangs de la NASA à commencer par les astronautes femmes et Margo Madison, gérante d’une institution à laquelle elle consacre sa vie. Mais il y a surtout les deux familles dont chacun des membres, femmes et enfants, aura à un moment un rôle déterminant dans cette histoire : la famille Baldwin (Edward aurait pu devenir le premier astronaute à se poser sur la Lune en 1968 s’il avait désobéi aux ordres) et Stevens (Gordo avait accompagné Ed sur cette même mission). Ce que les dirigeants des puissances mises en avant ici n’arrivent pas à obtenir, les astronautes y parviennent au travers de gestes symboliques qui influent sur les relations internationales : une poignée de main opportune, des gestions de crise où l’entraide prime sur le bénéfice patriotique… Bref, ces individus perfectibles, mais tous convaincus du caractère sacré de leurs missions, agissent en leurs âmes et consciences et finissent par contrecarrer l’inévitable. Par leur intermédiaire, les avancées sociales se mettent également en place en dépit de l’opinion populaire. En effet, dans ce lieu sans frontière qu’est l’espace, les distinctions de genre, d’orientations sexuelles, ou d’intérêts nationaux n’ont plus de raisons d’être. De tout cela, il ressort que la plupart de ces aventuriers du ciel sont montrés comme des héros à l’envergure typiquement américaine dont la bravoure est appuyée par une bande-son balourde et fatigante.

 

 

Un monstre à trois têtes

Toutefois, là où la série étonne malgré tout, c’est qu’elle parvient partiellement à se sortir des griffes de ces clichés. En effet, si le bien commun finit généralement par triompher quitte à mettre en péril la réussite de certaines prérogatives, tout ne se fait pas en un claquement de doigts. Russes et Américains ne cessent de jouer des coudes pour s’attirer la gloire tant désirée quitte à se mettre en danger ou pactiser avec l’ennemi. Car lors de la dernière saison (qui en appelle une suivante), le récit incorpore une nouvelle entité dans cette lutte acharnée, ce qui aura pour effet d’augmenter encore d’un cran le niveau de compétition entre les différents partis. En effet, s’invite à ce moment dans la danse une société privée, menée par Dev Ayesa (formidable Edi Gathegi) qui rêve de damer le pion aux poussiéreuses et emblématiques institutions américaines et soviétiques. Pour le coup, la réflexion portée sur le mode de fonctionnement de cette organisation sans hiérarchie imposée s’avère tout à fait intrigante tant les motivations de ce gourou charismatique semblent plus ambiguës que ce que ses diatribes passionnées laissent percevoir. Pour ces raisons, il serait facile de désigner cette saison comme étant la plus stimulante de toutes si les auteurs n’y avaient pas intégré une composante complotiste aboutissant à un épilogue totalement irrationnel (pour ne pas dire mauvais). Pour autant, on ne s’y ennuie pas, ce qui n’avait pas toujours été le cas jusque là.

 

 

Des personnages un peu fades, sauf…

En effet, se plonger dans « For all mankind », c’est aussi entrer dans le quotidien des différents protagonistes qui composent la série : Karen, Aleida, Molly, Deke, Kelly… On les appréhende avec ce qu’ils ont d’agaçants ou de sympathiques. On est témoin de leurs aspirations, de leur évolution professionnelle, de leur vie familiale et maritale… Mais leur nombre considérable, combiné au fait que leur psychologie est trop superficiellement développée, fait que ces éléments prennent bien trop de place dans le récit. Heureusement, certains sortent du lot. La trajectoire de Gordo par exemple, quoique assez classique, est touchante car on ne s’attend pas à trouver de telles fragilités chez cette grande gueule coureur de jupons. Les auteurs nous surprennent également lorsqu’ils confrontent la figure de patriarche qu’Edward représente aux conséquences de sa « virilité » et de son intransigeance. Dès lors, il prend une toute autre dimension. De même, Margo finit par nous paraître attachante tant son interprète (Wrenn Schmidt) parvient à colorer de touches sensibles et humaines la posture rigide et non-aimable de son personnage. De fait, sans savoir qui de la poule ou de l’œuf est apparu en premier, les liens humains les plus profonds de cette histoire découlent inévitablement de ces deux personnages. En effet, d’un côté, l’amour paternel qui lie Ed Baldwin au fils de son ami Gordo (Danny Stevens) nous met dans l’embarras tant le déséquilibre affectif qu’ils éprouvent l’un pour l’autre est évident. Déséquilibre qui ronge d’angoisse le plus jeune des deux et le rend souvent antipathique. De l’autre, l’idylle platonique que vit Margo avec un de ses homologues est empreinte d’une justesse de ton et d’une douceur romantique on ne plus appréciable. Alors oui, « For all Mankind » nous émeut parfois, mais sur l’ensemble de cette longue série, elle manque de moments intenses et de tensions propres à ébranler le spectateur. Par ailleurs, il y a bien ces instants lunaires (au sens propre) où le silence occupe tout l’espace et où le temps ne semble plus exister. Ils sont visuellement très beaux. Mais comme beaucoup déchantent quand il s’agit d’occuper ses heures dans un lieu désert où il n’y a rien à faire, et bien nous aussi, on s’ennuie parfois.

 

 

Bilan

Finalement, on peut dire que le bilan de "For all mankind" est assez mitigé. Tantôt légèrement soporifique, tantôt entraînante ; tantôt conventionnelle, tantôt surprenante ; il est difficile de porter un avis tranché sur cette série. Donc, si on accepte de prendre son mal en patience devant certains passages à vide et que l’on sait profiter pleinement de thème original et de son déroulé narratif, « For all Mankind » est loin d’être ratée. Quand on en est rendu à attendre la suite pour connaître la destinée de ceux et celles que l’on délaisse temporairement, c’est que le plaisir était malgré tout au rendez-vous.

Disponible sur Apple TV+

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