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Slow Horses (saisons 1 et 2)

Une équipe de bras-cassés

 

 

Une erreur quand on fait partie du MI5  et c’est la relégation dans les limbes du célèbre service de renseignement britannique. Le petit-fils du renommé David Cartwright, anciennement directeur de l’agence, pourrait vous en parler. En effet, lors d’un exercice grandeur nature, Richard Cartwright reçoit des consignes erronées qui l’obligent à improviser, provoquant ainsi la mort de plus de 150 civils. Celui-ci se retrouve donc condamné à traîner ses guêtres dans « l’Étable » où sont perclus les Veaux, ces parias ne méritant plus d’exercer leur fonction aux côtés de leurs collègues du Park. Qu’il s’agisse de l’informaticien insupportable dont l’égo démesuré (entre autre) l’empêche de comprendre ce qu’il fait là ou de celui qui cherche lourdement à créer du lien contre la volonté des membres de l’équipe, l’ambiance n’est jamais bien joyeuse à l’Étable. Et surtout, il y a Jackson Lamb, cet agent autrefois réputé mais désormais fervent adepte du whisky bon marché, des pets malodorants et du fumage ininterrompu de cigarettes…. Pieds engoncés dans d’horribles chaussettes trouées négligemment posées sur son bureau où s’entassent les dossiers, celui-ci n’hésite pas à donner ses prérogatives à des subalternes qu’il méprise allégrement. Prérogatives qui se comptent sur les doigts d’une main puisqu’elles ne consistent qu’en une seule chose : ne rien faire ! Pourtant, voilà qu’il leur est demandé de surveiller les faits et gestes de Hobden, un journaliste mis au placard pour ses connexions avec l’extrême-droite anglaise. Il faut dire que celui-ci semble ces derniers temps passablement agité, suggérant au passage à ceux qui veulent bien l’entendre (c’est-à-dire personne), que du sang sera bientôt versé. De la part de quelqu’un qui n’a plus aucun pignon sur rue au sein de sa profession, cela pourrait sembler anecdotique. Toutefois, le fait que le Park s’intéresse à son cas amène Richard à se questionner sur la teneur du « problème » Holben. L’occasion pour lui de tromper son ennui et de pousser un peu plus loin ses investigations.

 

 

Des ingrédients bien dosés

 

En matière d’introduction, on peut dire que « Slow horses » a su se donner les moyens d’appâter le spectateur puisque la série nous gratifie d’une poursuite terriblement efficace en plein cœur d’un aéroport bondé. Les vifs enchaînements de plans illustrent bien la nervosité qui assaille les rangs du MI5 au moment d’interpeller le suspect. Puis, lorsque des événements contraires viennent bouleverser le bon déroulé des opérations, la gestion du temps imparti à ceux qui tentent de neutraliser leur cible devient impérieuse. Dès lors, les passagers se muent en de potentiels obstacles se dressant sur la route du seul homme encore capable de mettre un terme à cette course contre la montre haletante. Tout cela pour aboutir à un dénouement aussi tragique qu’inattendu. « Slow Horses » démontre en quelques minutes l'étendue de sa maîtrise quand il s'agit d'orchestrer les multiples péripéties qui font la force des polars réussis. Adaptée des romans « Slough Houses » de Mick Herron, on devine que la série saura s’appuyer sur les codes propres au récit d’espionnage pour nous tenir en haleine tout en n’hésitant pas à surprendre le spectateur quand le besoin s’en fera sentir. Et en effet, le temps de deux saisons de 6 épisodes, elle maintient un rythme qui, sans tomber dans la frénésie, ne laisse que peu de place à l’assoupissement. Se faisant, les auteurs prennent bien soin de ne jamais nous noyer sous une multitude d’informations ; l’intrigue s’avère ainsi ni trop alambiquée, ni trop simpliste. Certes, il est parfois difficile d’adhérer à certains éléments scénaristiques tant ils semblent improbables. Mais au diable les réserves : tant que le plaisir ludique est là et que l’ensemble ne souffre d’aucune disharmonie, il serait dommage de pointer du doigt ces quelques invraisemblances.

 

 

Seuls contre tous

 

Par ailleurs, qu’il est agréable d’avoir affaire à des malfrats presque moins machiavéliques que ceux qui les combattent ! Car dans « Slow Horses », il n’y a pas deux camps constitués des gentils et des méchants. Mais si ces deniers restent les ennemis dont il faut prioritairement se débarrasser, ils ont pour eux d’emprunter leur comportement à celui d’autres grandes figures du genre sans qu’ils ne tombent pour autant dans les clichés. On a ainsi affaire au mystérieux dont on ne connaît pas l’identité et qui agit dans l’ombre, au fou qui semble prêt à dépecer son prochain pour peu que l'envie lui en prenne subitement ou au clinique qui tue sans scrupule dès qu’on lui en donne l’ordre. Quand ils sont si subtilement écrits et qu’ils s’inscrivent naturellement dans la narration, croiser la route de vilains aussi typés s’avère être une bonne nouvelle. Mais malgré le plaisir que ces derniers nous procurent, il paraîtrait logique que l’ensemble du MI5 s’élève d’une seule voix contre ces crapules à la dangerosité plutôt élevée. Mais les choses ne coulent pas de source quand des cadavres croupissent dans les placards et que chacun, au sein des plus hautes sphères des institutions de l’État, agit selon son propre intérêt. A ce titre, et même s’il s’agit ici d’une fiction, au travers des différents complots et coups-fourrés dont il est l’instigateur, le MI5 ne sort pas grandi des affaires qui nous sont narrées ici. Avec comme cible principale une Kristin Scott Thomas parfaite dans la peau d’une directrice manipulatrice et opportuniste, la série se plaît en effet à égratigner sans vergogne l’image du légendaire service de renseignements britannique (ainsi que celle des hommes politiques par la même occasion). Alors, devant de tels manquements, qui pour rétablir l’ordre ? Et bien ceux dont on se sert pour essuyer les plâtres, les inutiles, les mal-aimés. Ceux qui n’ont plus de dignité à perdre, que l’on peut sacrifier à loisir s’ils deviennent trop embarrassants : les Veaux et leur Berger. On peut penser ce qu’on veut du message délivré ici (que les puissants sont corrompus, que la justice ne peut être portée que par ceux qui ont connu l’injustice dans leur chair…), pour s’attacher à des personnages, il n’y a pas mieux que de confier les clés du camion aux reclus et aux « ratés ».

 

 

Des portraits à affiner

 

Pourtant, ces ratés ne le sont que parce que d’autres les ont désignés comme tels et pour des raisons dont l’objectivité reste à définir. Certes, Catherine Standish est une ancienne alcoolique que Lamb a prise sous son aile, mais son allure de vieille fille ne l’empêche pas de se montrer fichtrement débrouillarde et intelligente. Oui, Roddy est insupportablement hautain mais il est aussi un expert dès qu’il entre en contact avec un ordinateur. Et puis, il y a Louisa, Sid, Min et bien sûr Richard dont on connaît les antécédents et qui, contre son gré, nous a ouvert les portes de l’Étable. Lui se rapproche du héros traditionnel auquel il est possible de s’identifier. Mais malgré sa belle gueule et sa volonté manifeste de bien agir, il ne verse jamais dans la caricature du sempiternel surhomme gentil, musclé et insubmersible quand il faut se frotter au danger. Pour les autres, on a affaire à une galerie de personnages dont on espère qu’il gagneront en profondeur au fil des saisons au même titre que les relations subtilement ambiguës qui les unissent.

 

 

Lamb. Jackson Lamb...

 

Mais soyons honnête, s’il y a en a un dont on attend impatiemment d’en connaître davantage, c’est bien Jackson Lamb, leur chef à tous ! Magnifiquement interprété par un Gary Oldman époustouflant, son personnage vulgaire mais irrésistiblement drôle constitue la plus-value incontestable de cette histoire. A travers le mépris apparent qu’il affiche envers ses Veaux et l’aspect négligé qui est le sien, se cache un professionnel brillant dont on se plaît à découvrir le passé au fur et à mesure que le récit avance. Sans doute servi par le texte de Herron, il bénéficie de diatribes sarcastiques désopilantes donnant le ton à une œuvre qui possède le grand mérite de ne jamais se prendre au sérieux. On a beau rapidement percevoir ce qui l’a amené à poser sa valise dans l’Étable, on a encore tant à apprendre de ce flegmatique trublion au langage fleuri. Dès lors, on ne peut que saliver devant ce que la suite du récit pourra nous apprendre le concernant. Il imprègne même de son aura décadente des locaux d’où transpirent la sueur et la crasse. On ressent presque au travers de notre téléviseur les émanations de vieux mégots laissés en jachère dans un bureau où même la lumière chaude du soleil ne parvient que partiellement à faire son apparition. Se plonger dans « Slow Horses », c’est naviguer entre les standards d’une classique série d’espionnage et cet air vicié dans lequel sévissent de tendres losers aux aventures parfois rocambolesques, parfois violentes, toujours addictives.

 

Disponible sur AppleTV+

Plutôt que de vous déposer la bande-annonce de "Slow Horses", j'ai choisi de vous faire découvrir le formidable titre qu'a composé M. Mick Jagger himself et qui sert de générique à cette formidable série !

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