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Heartstopper (saison 1)

Il était une fois un lycée de Grande-Bretagne

Portée à l’écran par Alice Oseman, cette petite série anglaise est à l’origine une BD de 4 tomes dont le 5ème est en cours d’écriture. Écriture et illustrations que l’on doit à … Alice Oseman. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. On y fait la connaissance de Charlie Spring, un jeune lycéen dont l’homosexualité est connue de tous dans le bahut de garçons où il fait sa scolarité. Car oui, outre le célèbre uniforme typique des élèves de Grande-Bretagne, les écoles non-mixtes sont encore très répandues. Là-bas, Charlie entretient une relation avec un de ses camarades, ce qui revient à échanger un petit baiser à la dérobée, là où personne ne serait susceptible de surprendre leur « liaison » ! A la vue de tous, ils ne sont même pas censés se connaître. Voilà la règle quand on tient à sa réputation. Cela heurte évidemment Charlie mais il comprend qu’il n’est pas simple d’assumer son homosexualité et que le regard des autres garçons peut vite devenir un poids lourd à porter. Alors, il accepte, même si c’est un peu humiliant. Comme lui, ses amis ne sont pas les plus populaires de établissement. Isaac est un peu grassouillet. Il parle peu et lit beaucoup. Pour le reste, il est bien mystérieux mais qu’importe : voilà un compagnon sur lequel on peut compter. Pour Tao au sombre regard, l’amitié est un lien sacré ! On ne touche pas à ceux qu’il aime ! En contrepartie, il leur réclame une loyauté sans faille. Quant à Elle, depuis son changement de sexe, elle a intégré l’école pour filles mais peine à s’intégrer. Heureusement, elle croise le chemin de Tara et Darcy, le couple lesbien de la classe qui met naturellement fin à son isolement. Cet équilibre amical va se trouver chamboulé le jour où Charlie se retrouve en classe à côté d’une des « stars » de l’école, le séduisant Nick, célèbre pour être l’un des meilleurs joueurs de l’équipe de rugby de l’établissement. Mais tous les tacleurs du monde ne sont pas des brutes épaisses et Nick en est l’exemple parfait. Sa gentillesse et sa sensibilité séduisent rapidement Charlie qui tombe sous le charme du beau gosse de l’école. Les deux garçons vont alors se rapprocher, semant le trouble dans les sentiments que Nick porte sur son nouvel ami.

 

 

Reste à ta place !

Amateurs de cliffangers haletants, d’action survitaminée et de drames poignants, passez votre chemin. Ici, il s’agit juste de narrer le quotidien d’adolescents anglais à la recherche d’affection. Pour eux, il convient simplement d’exister au sein de l’écosystème lycéen dans lequel ils passent la majorité de leur temps. Chez les garçons, être bon en sport, qui plus est en rugby, c’est s’assurer un début de « popularité » qu’il s’agit de faire fructifier. Être homosexuel(le), c’est de facto être amené(e) à fréquenter les atypiques, les "étranges", ceux qu'il est bien difficile de définir
. Cette position figée dans laquelle chacun de ces jeunes se trouve cantonné n’est régie que par le sempiternel regard de l’autre. C’est lui qui, insidieusement, se charge d’élaborer une organisation sociale où chacun se voit attribuer une place qu’il n’a pas forcément choisi d’occuper. Alors, que Nick prenne conscience d’une possible homosexualité, et le voilà propulsé dans le « no man’s land » de ceux qui ne savent plus où se situer. C’est le propos de cette série et elle le traite avec beaucoup de délicatesse et d’intelligence.

 

 

En apparence...

Pourtant, pour s’en rendre compte, il convient de passer le cap d’une mise en forme trompeuse quant au public visé par la série. Déjà, la crainte que l’auteur s’adresse uniquement aux adolescents est réelle. Ils semblent être les destinataires des problématiques soulevées et les adultes, s’ils ne sont pas totalement absents, restent en marge des enjeux relationnels qui nous sont racontés ici. Ça parle donc d’amour, de garçons, « Est-ce que je peux lui plaire ? Ou pas ? »... Par ailleurs, l’aspect général de ces gentils lycéens, bien propres sur eux, avec leurs uniformes standardisés n’autorisant toujours que le port de la jupe pour les filles, procure à l’ensemble un aspect suranné typiquement british qui prête parfois à sourire. Ajoutez à cela les inserts de petits cœurs dessinés qui explosent comme des bulles de savon lorsque l’amour pointe le bout de son nez, des pétales de fleurs rosés traversant l’écran pour souligner la beauté ingénue d’une parole libérée et il est vite fait de se dire que trop de mignonneries ne peuvent qu’aboutir à de la mièvrerie. Ce sentiment se fait encore plus tangible au moment de supporter une bande son mettant à l’honneur une pop FM si acidulée qu’elle donne envie d’écouter dans la foulée un bon album de Metallica (« Kill ‘em all » de préférence!). Quant aux couleurs délibérément kitch qui habillent les couloirs de l’établissement, elles nous confortent dans l’idée qu’associer un pull bleu pétrole avec un pantalon jaune moutarde relève de l’atteinte aux bonnes mœurs !

 

 

Ne jamais se fier aux apparences

Et pourtant, passé ces moments de doute, tous ces éléments assemblés parviennent à créer une atmosphère au charme indéniable dont il serait dommage de se priver. Enfin, entendons-nous bien, tout sauf cette infernale musique, surcharge en sucre dispensable dans la recette d’une confiserie qui en est suffisamment pourvue. Mais pour le reste, si la sauce prend aussi bien, c’est que l’ensemble dépasse largement le cadre du simple divertissement feel-good auquel on aurait pu s’attendre. Tout d’abord, la psychologie des protagonistes est d’une grande finesse, à commencer par Nick dont la difficulté qu’il éprouve à assumer ses sentiments puis à les rendre publics devient touchante. Dans sa situation, s’assumer, c’est accepter d’être perçu différemment, ce dont souffre Tara qui «n’était pas préparée à cela ». D’un individu lambda, on devient un gay ou une lesbienne et c'est tout un univers social et des nouveaux repères qu'il faut reconstruire.
Grâce aux performances de Kit Connor et Corrina Brown à la justesse de ton admirable, on prend pleinement conscience de la force que cela nécessite d’affronter l’entourage et les réseaux sociaux, ce lieu privilégié où il est possible de conspuer ce qui nous est étranger en toute impunité. Quant à Charlie, sa croyance en l’amour et son optimisme nous sont exposés au travers de son large sourire rêveur qui peut au final s’avérer un brin agaçant. Cependant, ce n’est pas parce qu’il accepte son homosexualité, au même titre que Darcy mais pas avec la même assurance, que sa vie est forcément plus facile que celle de ses camarades. En effet, sans le vouloir, il place ses proches en situation de remise en cause douloureuse dont il se sent coupable. Loin de ces considérations genrées, entre Tao et Elle, il n’est question que de douceur, d’ambiguïté et de tendresse et on se prend nous aussi à espérer que leurs mains s’effleurent enfin. On les aime tous ces petits jeunes : leurs doutes, leurs fragilités... On aime les voir effacer mille fois leurs textos avant de les envoyer puis attendre impatiemment la réponse tant désirée. C’est plus que mignon. C’est touchant et cela sonne très juste. Seul le personnage d’Isaac est un peu délaissé mais on espère qu’il trouvera consistance lors d’une seconde saison déjà en préparation.

 

 

Un ensemble fédérateur...

Si ces problématiques deviennent nôtres (alors même que l’on n’a pas forcément eu à y faire face), c’est qu’Alice Oseman a pris le parti intelligent de nous raconter cette histoire sans qu’aucun doigt accusateur ne vienne froisser le spectateur. Il n’y a aucune agressivité des personnages envers quiconque. Globalement, on constate que la rancœur ne fait pas partie de leur processus de construction, ce qui est un positionnement certes utopiste, mais assurément fédérateur. Ce que désirent avant tout Charlie, Tara et les autres, c’est de pouvoir aimer qui ils veulent sans que cela n’affecte le regard de leur entourage. Il veulent juste « vivre leur vie ». Alors certes, il y a ce personnage détestable de Harry Greene. Celui qui provoque, se moque, raille et débute ses phrases par « Je ne suis pas homophobe mais... ». Cependant, la série semble nous dire que ce type d’individus, il y en a et il y en aura toujours.
Le problème, c’est qu’ils entraînent dans leur sillage une foule anonyme qui perçoit bien que traiter la différence avec mépris  lui permet de conserver une position dominante. Avec un tel fonctionnement, qu'elle accepte l’autre et le considère comme son égal ne semble pas la voie la plus gratifiante, mais c’est sans conteste la plus vertueuse. Ce serait donc elle, plus que la bêtise de leur leader, qu’il convient d’éduquer pour qu’éventuellement, ils se choisissent un autre berger comme gardien de leur troupeau.

 

 

et universel

De fait, on peut reprocher à « Heartstopper » son côté trop gentil, trop coloré, trop tout… Mais au final, grâce à ses acteurs et à la justesse de son écriture, il n’est pas honteux d’en ressortir ému et touché, quand bien même on se délecte de « Game of Thrones » et qu’on fuit les « teen drama ». En outre, on se dit que sa forme naïve, ses épisodes courts, et même (j’ose le dire!) sa musique, pourraient ramener à elle un public adolescent qui aurait beaucoup à apprendre de son visionnage. Peut-être qu’il se rendrait compte que l’amour revêt une forme universelle, que l’on soit hétérosexuel, homosexuel ou transgenre. Et si le combat du mouvement LGBTQIA+ peut sembler parfois vindicatif, c’est qu’il n’est toujours pas simple d’en faire partie.
Dès lors, à défaut d’être la série du siècle, « Heartstopper » nous rappelle qu’il revient à tous de briser les clivages nuisibles qui entravent nos relations et divisent inutilement notre société. Et rien que pour cela, on peut franchement lui dire merci !

 


Disponible sur Netflix

Allez, pour le fun ! Pour vous faire du bien entre les épisodes.

 

Metallica "Whiplash" sur l'album Kill 'em all.

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Commentaires: 2
  • #1

    Yûto - 38 ans (jeudi, 02 mars 2023 18:11)

    Une critique très intéressante qui reflète ma vision de la série - saison 1. Regardée en un soir et ressorti ému alors que je la voyais comme une énième série avec des ados, mais comme il est dit ci-dessus le jeu des acteurs, la finesse de l'écriture ainsi qu'une certaine pudeur donnent envie de la faire visionner à un maximum de monde, notamment aux jeunes hors milieu LGBT, car malheureusement c'est le genre de série qui reste cantonnée à une catégorie de classement.

  • #2

    Pierric (jeudi, 02 mars 2023 19:49)

    Merci pour votre retour. J'espère qu'en étant diffusée sur Netflix, la série puisse toucher un public assez large.