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Sur ordre de Dieu

Crime chez les Mormons

 

C’est dans une petite ville de l’Utah devenu au fil du temps le fief de la communauté mormone que Jeb Pyre exerce son métier de flic. Mais le quotidien de cet homme pieux va se trouver chamboulé le jour où il doit enquêter sur le double meurtre d’une femme et de son bébé de 15 mois retrouvés égorgés à leur domicile. Or, celle-ci était l’épouse d’un des membres du clan des Lafferty, une famille très influente dans la région. Et si l’apparition du mari, couvert de sang laisse envisager le crime passionnel, l’explication à cette affaire va s’avérer évidemment plus complexe qu’il n’y paraît, mettant en cause bon nombre de membres de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours à laquelle les Lafferty appartiennent au même titre que la plupart des habitants de la cité. Dans son désir de chercher à démêler les nœuds sous-jacents à ces horribles homicides, Jeb va ainsi découvrir qu’entre la croyance religieuse et le fondamentalisme irraisonné et destructeur, il n’y a qu’un pas.

 

 

 Une mise en scène maladroite

 

D’un point de vue narratif, « Sur ordre de Dieu » respecte l’ensemble des codes qui régissent la plupart des intrigues policières. On est même dans du vu et revu pas déplaisant mais franchement routinier. Bien sûr, pour paraître plus intense et plus humaine, la série s’est pourvue d’un héros qui fait partie de la communauté sur laquelle se portent les soupçons ce qui l’amènera à douter de sa propre foi. Cette liberté prise avec la réalité des faits est assez bien vue sur le papier mais s’avère laborieuse quand il s’agit de la mettre en scène. En effet, pour bien nous faire comprendre que tout se bouscule dans la tête de Jeb, les auteurs ponctuent leur récit de flashs incessants et rapidement agaçants : l’horreur du crime commis ou le visage de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ont pris part au drame… Des flashs dont on ne perçoit pas toujours la cohérence et qui viennent s’ajouter à une bande-son pompeuse lorsqu’à la fin de chaque épisode, on tient à nous faire ressentir le danger encouru par certains protagonistes de cette histoire. Mais à force de systématiquement nous faire craindre le pire, on finit par ne plus vraiment s’inquiéter de leur sort.

 

 

Les multiples facettes du mormonisme

 

Heureusement pour elle,la série s’appuie sur d’autres éléments que son suspense modérément efficace pour séduire, à commencer par la crédibilité de son histoire inspirée d’un événement tragique datant de 2004. En effet, son principal atout réside dans l’illustration plutôt plausible de ce qui a amené des individus, certes endoctrinés mais apparemment inoffensifs, à passer à l’acte. Et elle le fait d’autant plus habilement qu’elle se garde bien d’affirmer que la religion mène inéluctablement au fanatisme. Elle tend même à montrer qu’en se détournant des messages archaïques des textes fondateurs, il existe des voies modérées qui permettent de concilier la pratique de sa foi à une relative modernité de mœurs. Toutefois, si on s’en réfère à l’histoire des Mormons au sein des États-Unis, il s’avère que si ces chemins sont tout à fait praticables, ils n’en demeurent pas moins très étroits.

 

 

Un peu d’histoire

 

En 1823, dans l’État de New-York, Joseph Smith eut une révélation : un ange lui demandait d’extraire du sol des peintures et des textes à l’origine de la pensée et de l’histoire mormone. En effet, le livre que Smith va tirer de leur« traduction »dépeint l’installation sur les terres américaines d’une famille hébraïque ayant émigré aux États-Unis plusieurs siècles avant Jésus-Christ. Ainsi, pour parachever l’histoire de ces anciens colons, Smith entreprit de fonder une communauté sensible à ses croyances sur le royaume de Sion, autrement dit, sur une terre où leur présence n’engendrerait pas l’hostilité de ses habitants. Car sur ce plan, en dépit du nombre grandissant d’adeptes dans ses rangs, celle-ci eut bien du mal à s’intégrer dans le paysage américain de l’époque. Dans un premier temps persécutés par les Chrétiens traditionalistes, Smith et les siens se virent dans l’obligation de fuir vers l’Ouest. Puis survint la mort du leader après que celui-ci a supprimé des dissidents à sa propre institution. Graham Young prit alors les rênes du pouvoir et s’installa dans le futur état de l’Utah dont il espérait prendre la gouvernance. Mais parce que celui-ci souhaitait instituer la polygamie, cela lui fut logiquement refusé. Pour cette raison et pour bien d’autres encore, s’ensuivit une série d’incidents meurtriers dont cette communauté fut tantôt l’auteure,tantôt la victime.

 

 

La petite dans la grande

 

Baser sa pratique religieuse sur les préceptes mormons originels revient donc à décliner le climat de violence dont ils sont issus. Dans cette optique, et afin que l’on comprenne bien l’évolution des apprentis prophètes que « Sur ordre de Dieu » met en scène, les faits et gestes de ces derniers ont été mis en parallèle avec ceux de leurs défunts maîtres spirituels. Pour l’occasion, les auteurs ont eu la bonne idée de faire renaître John Smith et ses disciples. A l’aide de reconstitutions historiques presque didactiques, les correspondances d’actions et de pensées entre ces deux générations de fondamentalistes nous sautent à la figure malgré les 150 années qui les séparent. C’est habile et c’est également un tour de force que de nous restituer chronologiquement ces événements anciens au fur et à mesure que l’enquête progresse. Malgré tout, ces digressions narratives ne sont pas exploitées de manière optimale. A l’instar de certains documentaires historiques, elles viennent simplement illustrer les explications théologiques des différents intervenants. Elles se succèdent donc sans prendre la forme attractive d’un récit autonome susceptible d’être apprécié en tant que tel. Elles amènent même parfois une forme de confusion dans la mesure où leur déroulé est mené sur un tel rythme que les images censées nous apporter des éclaircissements finissent par parasiter notre bonne compréhension des faits. Et des discours, il y en a beaucoup dans « Sur ordre de Dieu ». Ça parle beaucoup, ça explique, ça dénonce mais il ne se passe pas grand-chose.

 

 

Les conséquences des dérives sectaires

 

Tout cela aboutit à une œuvre instructive à défaut d’être toujours palpitante. La preuve en est que plus le récit avance, moins on se soucie de connaître l’identité du tueur. En effet, la série permet avant tout de nous immerger dans le milieu spécifique du mormonisme, de son patriarcat cruel et de sa structuration hiérarchique basée sur un l’idée d’un Dieu s’adressant à ses Élus au travers de Révélations. Il est exaltant (et terrifiant) de faire connaissance avec ses coutumes d’un autre âge et d’appréhender les dérives sectaires que ses textes fondateurs sont susceptibles d’engendrer chez des hommes prêts à tout pour assouvir leurs désirs. Il se dégage alors une ambiance poisseuse qui se marie à merveille avec la musique, ou plutôt avec les nappes sonores étouffées qui accompagnent la narration. Et il y a son acteur, Andrew Garfield, qui jamais ne surjoue les doutes qui assaillent son personnage. Il parvient à nous communiquer le vide ressenti par celui dont la foi finit par s’émousser alors que l’ensemble de son quotidien était régi par ses commandements. Tout est alors à reconstruire et cela paraît effrayant. Mais s’il ne s’agit pas de renier son héritage culturel, tracer sa route en dehors des sentiers balisés de la religion semble être un moyen efficace de se prémunir contre l’intégrisme vers lequel elle a vite fait d’entraîner ses membres.

 

Disponible sur Disney+

 

 

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