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Dahmer : Monstre - L'histoire de Jeffrey Dahmer

Dahmer au fil du temps

 

28 ans après sa mort, Jeffrey Dahmer fait encore couler beaucoup d’encre. Son arrestation en 1991 et les découvertes macabres retrouvées dans son appartement avaient à l’époque fait la une de la presse américaine. Il faut dire que celui-ci n’était pas un serial killer ordinaire puisqu’il avait pour habitude de démembrer ses victimes après les avoir tuées. Il lui arrivait aussi de percer leur boîte crânienne puis d’y introduire de l’acide sulfurique dans le but de les transformer en zombies. Il pouvait également manger la chair des malheureux qui avaient eu la malchance de tomber dans ses filets. Toutes ces atrocités étaient suffisantes pour faire les gros titres, mais les exactions de Dahmer et le fait qu’il ait pu sévir aussi longtemps avaient soulevé bien des questions. En effet, comme celui-ci vivait dans un quartier principalement occupé par des personnes d’origines étrangères, la plupart de ses cibles étaient noires ou asiatiques. De plus, à l’instar de Dahmer lui-même, elles étaient homosexuelles. Il avait en effet pour habitude de se rendre dans des bars gays afin d’y séduire ses proies et de les ramener chez lui pour les droguer et s’adonner à ses coutumes barbares. Or, bien que les voisins (surtout sa voisine, Glenda, qui ne l'était pas réellement), aient à maintes reprises tenté d’alerter les autorités pour se plaindre du bruit et de l’odeur qui émanait de son appartement, celui-ci n’a jamais été inquiété. A ce jour, il est à noter qu’aucune plaque commémorative n’a été érigée en l’honneur des victimes.

 

 

Murphy, l’homme qui aimait les tueurs

 

Ryan Murphy, le créateur de la série s’est en partie fait connaître pour avoir plutôt brillamment porté à l’écran des faits réels à travers son anthologie « American crime story ». Le premier volet traitait de la fameuse affaire O.J. Simpson tandis que le suivant narrait les circonstances de l’assassinat de Gianni Versace. Dans chaque cas, il était parvenu à relier efficacement la véracité historique de ces événements avec leur contexte sociétal. Murphy semblait donc bien armé pour mettre en scène la folie meurtrière de Dahmer. Cependant, il ne s’agissait plus ici de relater de simples faits divers mais de décrire l’horreur. La question de l’angle à adopter pour retranscrire l’innommable a donc dû forcément se poser. Malgré tout, à sa sortie, les reproches et les interrogations ne se sont pas faits attendre. Accusé de repousser encore d’un échelon les limites du supportable, Murphy ne devrait son succès qu’au voyeurisme exacerbé d’un public en attente de spectacles horrifiques de plus en plus malsains.

 

 

Il y a de la tension dans l’air...

 

Alors oui, la série est éprouvante. Très éprouvante ! Cependant, cela a peu à voir avec sa violence intrinsèque. Des découpages à la chaîne, des mares de sang, vous ne verrez pas. En revanche, l’ambiance morbide et la pesanteur des situations procurent un malaise certain chez le spectateur. Toutefois, il n’y a rien de ludique ni d’attractif dans ce que montre Murphy. De cela, on ne peut clairement pas l’accuser. On accompagne Dahmer au bar, on le voit choisir ses victimes potentielles puis les convaincre de se rendre dans son appartement, lieu de ses macabres rituels. Tout cela et plus encore ne nous est pas épargné. Et pour accentuer l’effet de tension, Murphy compte sur la lenteur de sa narration. En effet, les scènes sont longues, très longues. On a le temps de s’imprégner de l’atmosphère mortuaire qui emplit l’antre misérable de Dahmer. Une fois la porte close, aucun éclairage ne parvient à réchauffer un intérieur d’où émane essentiellement l’odeur pestilentielle de la chair en décomposition. A force d’y faire référence, on finirait même par la sentir. Dès lors, Dahmer boit des bières, parle peu, prend son temps... Parfois, devant les réactions inattendues et angoissées de ses « invités » ou par le biais d’éléments extérieurs salutaires, la panique semble le saisir momentanément. On en vient alors à espérer, souvent à tort… Mais comme les épisodes ne suivent pas toujours la chronologie réelle des événements, il nous est parfois difficile de cerner l’issue de ces différents face-à-face… En cela, la série est très intelligemment construite.

 

 

Evan Peters, parfaitement effrayant

 

Tout cela est d’autant plus glaçant que Dahmer prend pour l’occasion les traits du formidable Evan Peters, époustouflant de mutisme et d’inexpressivité. La qualité de son interprétation saute surtout aux yeux dès lors qu’il s’agit de briser, même imperceptiblement, l’apparente impassibilité de son personnage. Car au-delà de l’étiquette de monstre que le titre de la série lui attribue, Dahmer n’en est pas moins humain. Aussi, tout au long du parcours peu enviable qui est le sien avant de commettre ses méfaits, on est impressionné par la manière avec laquelle Dahmer subit, sans vraiment broncher, les multiples humiliations endurées au cours de sa jeunesse. Usant d’un ton monocorde d’où ne transparaît aucun sentiment, celui-ci ne cesse de s’exprimer avec affabilité, accumulant cependant les mensonges éhontés pour justifier son attitude, comme le ferait un enfant pris en faute. De fait, impossible pour lui de ne pas percevoir l’immense déception qu’il génère dans le regard de ses proches; en retour, il semble simplement désolé d’exister. Pourtant, derrière cet effacement de façade, Evan Peters parvient à nous faire ressentir le bouillonnement intérieur que provoquent en lui des émotions sans cesse refoulées. Ainsi, lorsque ses plans se voient contrariés, l’entendre soudainement exprimer sa colère de manière irrépressible ou juste constater la valse des rictus qui déforment son visage suffisent pour prendre la mesure de la force destructrice qui l’habite. Mais dans le même temps, on est presque heureux pour lui lorsque, durant un temps, il semble avoir trouvé en autrui une véritable source d’apaisement… Sentiment malheureusement vain dès lors qu’il se confronte à l’envie irrépressible d’enlacer sensuellement le corps inerte de l’être désiré. Alors, pour l'ensemble des courants émotionnels qu'Evan Peters parvient à nous restituer, on peut dire que « Dahmer », c’est un acteur époustouflant qui sait donner corps au personnage complexe qu’il incarne. Mais attention : que «le monstre» soit humanisé, c’est indéniable ; qu’il nous devienne sympathique, assurément pas !

 

 

Un final qui fait flop

 

Cependant, Murphy ne pouvait se contenter d’une simple introspection de son sujet et de son mode opératoire. Il se devait de concentrer son attention sur ceux qui, d’une quelconque manière, avaient eu affaire à lui : ses parents, sa voisine, certaines familles des victimes mais également les forces de l’ordre ayant dû gérer son cas. Malheureusement, à partir de ce moment, les enjeux narratifs ne s’avèrent plus assez consistants pour éveiller l’intérêt. Bien sûr, cette partie appuie sur le fait que l’origine raciale des cibles de Dahmer a impacté la capacité d’intervention d’une police locale fortement xénophobe. Évidemment, on imagine la tristesse incommensurable des familles endeuillées ainsi que la colère de Glenda. Mais peut-être par obligation morale, Murphy s’appesantit sur ces sujets alors qu’il n’a visiblement pas grand-chose à en dire. Et si la lenteur des premiers épisodes contribuait à entretenir une atmosphère étouffante à souhait, elle perd ici son sens et se fait désormais plus ennuyeuse qu’autre chose. Pour emplir le vide, on a alors le droit a des effets de mise en scène lourdingues dont quelques apparitions fantasmées de Dahmer surlignant, si ce n’était pas suffisant, les traumatismes causés par ce dernier. Un sentiment d’indigence apparaît ensuite quand la religion et la notion de pardon s’immiscent dans le récit… Le réalisateur s’autorise alors un parallèle catastrophique entre une éclipse solaire, une scène de mise à mort et un baptême… En terme de symbolique, on a connu plus subtil… Heureusement, il reste de ces dernières heures la relation entre Dahmer et son père, formidable d’humanité, et la stupéfaction de constater qu’un tel criminel ait pu attirer à lui une foule d’admirateurs se reconnaissant dans son « œuvre »… Et quand on sait que les déguisements de Dahmer se vendent actuellement comme des petits pains, cela interroge...

 

 

Pourquoi s’infliger cela ???

 

Après, il est de bon ton de se sentir exister au travers de provocations indécentes, irrespectueuses et vulgaires. De cela, Murphy aurait bien tort de s’excuser. Il n’a pas la main sur la manière dont certains esprits tordus travestissent l’idéologie de son travail. Toutefois, la question peut se poser de savoir quel intérêt peut trouver le spectateur à s’intéresser à ce type d’individus ? Certes, la non prise en compte de la parole des minorités (qui est encore d’actualité) est clairement évoquée. Toutefois, d’autres séries traitent de cette thématique sans que l’on ait à subir le spectacle de tant de monstruosités… On est en effet bien loin de la puissance dénonciatrice d’un livre comme « De sang froid » de Truman Capote qui parvenait à nous faire apprécier le meurtrier d’une adorable famille, de sorte que son exécution nous apparaissait d’une cruauté sans nom. Alors ? Et bien, peut-être est-il parfois nécessaire de se confronter à ce type de personnages. Ce n’est pas très réjouissant. Cela gratte et dérange quand d’autres productions réchauffent le cœur et permettent de croire en la fraternité. Mais s’intéresser à l'homme, c’est aussi accepter qu’il soit susceptible de commettre des atrocités inédites chez les autres espèces vivantes. Et si le savoir est une chose, le ressentir en est une autre. Par ailleurs, ce qui peut relever de la curiosité malsaine paraît louable dès lors qu’elle n’a d’autre but que de chercher à comprendre l’incompréhensible. Alors non, "Dahmer" n’est pas une série agréable. Mais cela ne l'empêche pas d'être malgré tout intéressante et terrifiante ! Par ailleurs, bien aidée en cela par son formidable interprète principal, elle peut se targuer d'avoir su développer une atmosphère anxiogène à nulle autre pareille. Et si on devait retenir un message de "Dahmer : Monstre - L'histoire de Jeffrey Dahmer", c'est qu'on ne naît pas "monstre", on le devient. 

 

Disponible sur Netflix

 

 

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