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Chloe

Becky

Becky occupe un petit appartement à Bristol en Angleterre avec sa mère atteinte de la maladie d’Alzeihmer. Le jour, cette jeune femme dépourvue de vie sociale apparente effectue des remplacements en tant que secrétaire personnelle auprès de divers dirigeants d’entreprises. Avec ce maigre salaire et une personne à charge nécessitant des soins à domicile, elle n’aurait aucune raison de côtoyer l’aisance et le luxe si, à la nuit tombée, elle n’aimait se fondre dans le gratin de la haute société locale.
Pour cela, cette opportuniste de talent sait s'intégrer dans les soirées mondaines en empruntant temporairement l’identité de convives n'ayant pas pu se rendre aux festivités. Mais à ce petit jeu, l’erreur est interdite. Pour éviter le désagrément d’être démasquée, elle se voit dans l’obligation de se renseigner sur les personnalités présentes sur les lieux et récupérer suffisamment d’éléments sur leurs vies pour parvenir à faire illusion dans le milieu. Et quoi de mieux que les réseaux sociaux pour connaître l’emploi du temps et les fréquentations de ceux qui aiment les exhiber, ce qui est souvent le cas lorsque l’on a de l’argent et que l’on tient à ce que les autres le sachent… Mais s’il y a quelqu’un dont elle suit assidûment les faits et gestes, c’est bien Chloe Fairbanks, le belle jeune épouse d’un conseiller municipal de la ville. Cependant, un matin, alors qu’elle mange tranquillement ses céréales en faisant son petit check-up routinier sur Instagram, un post intriguant de Chloe attire son attention. « To die by your side is such an heavenly way to die ». Les commentaires, eux, ne laissent aucune part aux doutes : Chloe est morte… Visiblement choquée par cette nouvelle, Becky va de plus se rendre compte que celle-ci a cherché à la joindre deux fois par téléphone avant de sauter dans le vide vers 3h du matin. Dès lors obsédée par cet événement, elle va chercher à entrer en contact avec les proches de la défunte.

 

 

Troublante Erin Doherty

A la lecture de ce pitch et aux vues des forces en présence, une question va rapidement pointer le bout de son nez. En effet, quel lien pourrait unir une diva aussi lumineuse que Chloe à cette Becky revêche et asociale tant tout semble les opposer, à commencer par leur milieu social respectif ? Lorsque la réponse nous parvient enfin, de nouvelles interrogations ne tardent pas à supplanter la première, certaines mettant même en cause l’implication délirante de Becky dans le jeu de dupes qu’elle met progressivement en place. A la voir repousser toujours plus loin les limites du raisonnable, on finit parfois par douter de sa santé mentale, ce qui n’incite guère le spectateur à lui faire confiance. Il nous arrive en effet de penser que derrière les desseins apparents de Becky s’en cachent peut-être d’autres, bien plus inavouables. Mais connaissant les risques auxquels elle s’expose en agissant de la sorte, jamais elle ne prend le risque de communiquer la moindre information à ce sujet. Alors, il ne nous reste plus qu’à supputer… En ce sens, la construction du récit nous permet simplement de constater la faculté sidérante qu’a Becky de passer en une fraction de seconde d’un sourire franc et enjoué à une mine grave, voire menaçante. Si l’exemple de cette transition soudaine suffit à rendre compte du caractère inquiétant de la jeune femme, elle se révèle trop schématique pour faire honneur à la qualité d’interprétation d’Erin Doherty. Son personnage nous apparaît tour à tour fragile, bougon, inquiet, calculateur, avenant… Selon qu’elle soit ou non en représentation dans le milieu mondain qui lui sied si bien, c’est l’ensemble de ses postures corporelles, jusqu’aux traits mêmes de son visage, qui s’en trouvent chamboulé. En un mot, cette prestation protéiforme est tout simplement sensationnelle. Becky a beau être de tous les plans, il émane d’elle une ambivalence qui fait naviguer le spectateur dans les eaux troubles de l’incertitude. Quant à ses tenues vestimentaires, elles mériteraient tout simplement de passer à la postérité...

 

 

Chloe et ses amis


Par ailleurs, quelle que soit la cause réelle des manigances auxquelles elle se livre, on trépigne à l’idée de savoir vers quel chemin elles nous conduisent. Alors, on appréhende l’erreur, celle qui mettra un terme définitif à sa mission. Fatalement, on tremble lorsque l’étau se resserre sur elle. Effet de scénario classique mais terriblement efficace quand il s’agit de maintenir le spectateur en haleine ! En attendant, on côtoie plus intimement des proches de Chloe : Eliott, son mari conseilleur municipal ; Livia, sa meilleure amie travaillant dans l’événementiel ou encore Richard, l’écorché vif… Tous semblent apparemment secoués par une mort qu’aucun ne semblait avoir vu venir. Mais en entrant dans leur intimité, on apprend à les connaître et à en savoir davantage sur Chloe, sur les rapports que son entourage entretenait avec elle et sur les circonstances de sa mort… Ce faisant et parce que l’on vit auprès de Becky et de ses obsessions, on pressent que certains ne sont pas très à l’aise quand il s’agit d’évoquer le sujet. Auraient-ils des choses à se reprocher malgré l’apparente irréprochabilité que leur confère leur statut social ou sommes-nous juste influencés par le regard paranoïaque de notre guide ? L’incertitude, toujours… Dès lors, l’ombre et les secrets de la belle femme rousse qui illuminait les réseaux sociaux de son sourire angélique se répand petit-à-petit sur la série comme ils envahissent le cerveau de Becky. Une chose est sûre cependant : chacun des personnages qui peuple son nouvel univers se voit attribuer un rôle d’une grande justesse psychologique. Tous ont leur place dans cette terrible histoire, jusqu’à la maman de Becky, absolument bouleversante dans son combat contre une maladie qui l’amène à adopter des attitudes ambivalentes envers sa fille. Car même dans le rapport souvent tendre et aimant qu’elles entretiennent, on devine qu’il nous manque des éléments de compréhension. A l’évidence, quand elles sont ensembles, Becky ne triche plus et sa fragilité n’en est que plus émouvante.

 

 

Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple

Cependant, s’il est agréable d’être suspendu à une intrigue dont on attend le dénouement avec un réel engouement, on craint que les réponses attendues brillent plus par leur volonté d’épater la galerie que par leur crédibilité. En d’autres termes, on est malheureusement abreuvé ces derniers temps de scénarios volontairement alambiqués, conçus essentiellement pour remporter le concours du récit le plus abracadabrantesque. Heureusement, « Chloe » ne tombe pas dans ce piège. Certains regretteront le manque de surprise d’une histoire qui suit fidèlement sa logique sans vouloir sombrer dans le sensationnel. Tout doucement, étapes par étapes, le puzzle s’assemble jusqu’à prendre sa forme définitive sans tambour ni trompette. Rien de spectaculaire peut-être, mais son impact n’en est que plus puissant. Puissant par sa cohérence et sa triste plausibilité mais également par sa subtilité. Car sans en avoir l’air, on constate à rebours que le chemin que Becky s’était évertuée à se frayer en dépit du danger et des obstacles avait déjà été emprunté et qu’il ne débouche que sur une prison dont elle n'a pas la clé.

 

 

Classique et beau à la fois

On obtient un thriller psychologique d’une remarquable tenue. Certes, « Chloe » emprunte à un genre maintes fois porté à l’écran. Et sur ce plan, elle ne prétend pas révolutionner quoi que ce soit. Mais son déroulé fluide ainsi que la qualité de son scénario et de ses interprètes la placent au-dessus de la concurrence. Ajoutons-lui une mise en scène travaillée, une superbe photographie, une bande son impeccable et on obtient indéniablement une excellente série. Car si Becky a été ici qualifiée d’ « obsessionnelle », c’est que l’on revit encore et encore les échanges téléphoniques qu’elle et Chloe auraient pu avoir à 2h45 du matin. S’il a été dit qu’elle était paranoïaque, c’est que les anonymes qu’elle côtoie se retournent sur son passage, la toisent et la raillent, comme si le rejet dont elle a toujours été victime se devait de perdurer. Si on sent un poids dans son âme lorsque sa mère la regarde tendrement, c’est qu’il est anormal de voir ce bébé joufflu barboter dans son bain. Ces images récurrentes nous imprègnent des émotions qui traversent une héroïne en incapacité de poser des mots sur ce qu’elle ressent. Quant à la bande-son, essentiellement électronique, elle instaure au travers de mélodies étouffées ou de nappes sonores oppressantes (mais jamais invasives), une tension que les images ne suggèrent pas forcément. Et lorsque le rideau tombe, les auteurs nous gratifient du magnifique « The Rip » de Portishead. Et on se dit qu'en effet, il n'était pas de choix plus intelligent que celui de clore ce récit par la musique envoutante du groupe emblématique de Bristol tant il reflète à merveille l’atmosphère de cette série sobre, inquiétante et sensible. Écoutez-le et constatez vous-mêmes que « Chloe » ne comporte aucune fausse note.

Disponible sur Prime Video

"The Rip"  Portishead

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