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Sambre

Un sombre matin d’automne

 

A l’aube d’une journée ordinaire en cet automne 1988, une femme reprend connaissance au bord de la Sambre, une paisible rivière s’écoulant près de la frontière belge dans le département du Nord. Son pull et son soutien gorge sont relevés au-dessus de sa poitrine. Une gouttelette de sang perle de son nez tandis que des marques rouges recouvrent son visage et son cou. Difficile de ne pas penser à une agression à caractère sexuel voire à un viol. Pourtant, lorsqu’elle vient déposer plainte au commissariat, l’incident est classé dans la catégorie « tentative de vol avec violences ». Le policier qui lui fait face n’est pas un mauvais bougre. Il l’écoute sans la prendre de haut. Mais les faits sont les faits. Elle est vivante et rien ne lui a été volé. Que demander de plus ? « Elle a eu de la chance »lui fait-il remarquer car, de son point de vue, les préjudices sont nuls. Pourtant, 30 ans plus tard, alors que « le violeur de la Sambre » comme il a été surnommé vient seulement d’être appréhendé, Christine peut enfin pleurer et avec elle, les dizaines de femmes qui ont eu le malheur de croiser son chemin.

 

 

Des inconséquences majeures

 

Quand on sait que « Sambre » est inspirée d’une histoire vraie, on se demande comment il a été possible d’en arriver là. Comment se fait-il qu’il ait fallu attendre aussi longtemps pour mettre la main sur un homme dont le modus operandi n’a pas varié d’un iota et qui sévissait dans un périmètre pour le moins restreint ? C’est à cette épineuse question que la série cherche à répondre. On peut tout d’abord dire que c’est la faute à pas de chance étant donné qu’aucune des victimes, pourtant nombreuses, n’a pu clairement l’identifier. Mais passé ce constat, la série n’hésite pas à pointer du doigt les défaillances diverses qui ont abouti à ce désastre humain. Et sur ce plan, la police locale n’est pas exempte de reproches. La légèreté avec laquelle elle traite les différentes plaintes recensées sans parvenir à établir le moindre lien entre elles est sidérante. S’il n’est pas question de malveillance, personne ne prend réellement la mesure de la gravité des actes relatés. Il apparaît d’ailleurs que les hommes dans leur ensemble ont eu tendance à passer à côté des souffrances des victimes. Cela vaut pour les fonctionnaires de l’état mais c’est aussi vrai pour les maris. Pourtant, la série réussit à ne pas les blâmer. Ils ne sont jamais montrés comme des salauds insensibles. A leur décharge,on perçoit que pendant longtemps, l’ensemble de la société faisait peu de cas de la parole des victimes et des conséquences psychiques causées par le viol. Il faut ainsi attendre 2012 pour qu’un homme daigne enfin plaider assidûment leur cause. Quant au profilage qui a été fait du violeur, le problème ne vient pas du fait qu’il était erroné (l’erreur est humaine), mais des certitudes dont fait preuve la psychiatre à son sujet.

 

 

Une histoire rondement menée

 

Car d’Enzo, puisque c’est le nom qui a été attribué au violeur dans la série, on fait vite connaissance. On partage en effet une partie du quotidien de ce citoyen « modèle »apprécié par ses pairs pour sa bonhomie et ses qualités humaines indéniables. Non pas que les auteurs cherchent ainsi à le dédouaner de ses actes, mais plutôt à nous à montrer que le Mal peut prendre un visage familier et qu’il est susceptible de trouver refuge en n’importe qui. C’est perturbant car on aimerait que de telles monstruosités soient l’apanage de détraqués associables et antipathiques. Par ailleurs, cela procure à l’ensemble un air de chasse à l’homme plaisante qui voit la cible des investigations se jouer, sans forcer outre mesure son talent, des pistes qui pourraient le mener jusqu’à lui. Est-ce que la série respecte avec exactitude les faits tels qu’ils se sont réellement passés ? Sans doute pas mais qu’importe. « Sambre »est une fiction qui s’assume comme telle et se destine donc à nous raconter une histoire haletante, dût-elle s’écarter de la réalité. Il est ainsi peu probable que 30 années après son agression, Christine se soit retrouvée en présence de son bourreau lors d’un anniversaire pour soudainement être prise d’un malaise dont la cause lui échappe… Mais hormis cette séquence plus que dispensable, on peut dire que la série remplit sa mission avec talent. Déjà, l’idée de porter à chaque épisode la focale sur des personnages différents en prenant soin de respecter l’ordre chronologique des événements s’avère pertinent. Cela permet de dresser des portraits réussis de figures ayant joué un rôle dans l’enquête proprement dite (une scientifique, une juge, le commandant) tout en gardant un œil sur la vie d’Enzo et de Christine. Les interprètes sont tous formidables et retranscrivent à leur manière le caractère obsessionnel qui s’empare d’eux au fur et à mesure qu’ils consacrent leur temps à tenter de mettre la main sur le coupable. Une obsession, certes communicative auprès du spectateur, mais qui prend une tournure un peu trop conventionnelle quand elle empiète sur l’équilibre relationnel des personnes concernées. Elle tend cependant à mettre en avant leurs difficultés à trouver du soutien dans le combat qu’elles mènent pour découvrir la vérité.

 

 

Une voix puissante

 

Mais outre l’enquête proprement dite et de la tension qui en découle, « Sambre » excelle dans le regard qu’elle porte sur les victimes et sur la manière dont il est possible de leur venir à l’aide. Et sur ce point, l’épisode qui met en scène la maire de la ville, portée par une Noémie Lvovsky impeccable, est le plus original et le plus poignant. On constate à quel point elles sont envahies par la honte de ce que la peur les a incitées à faire ou à subir. Deux émotions prégnantes qui émanent de l’interprétation magnifique des actrices qui ont eu à endosser le rôle de ces femmes bafouées.Des femmes qui, pendant longtemps, ont refusé de témoigner pour ne pas être pointées du doigt. Devant l’incrédulité du quidam à admettre la réalité des faits nous vient une question à laquelle la série se garde bien de répondre : qu’est-ce qui pousse l’humain à systématiquement récuser l’insupportable, à ne pas vouloir s'y confronter, à s’en défendre comme si son intégrité psychique en dépendait ? Les proches, eux, peuvent entendre et compatir. Mais ils désirent avancer, passer à autre chose tandis que les victimes se trouvent sans cesse ramenées à leurs traumatismes et à leur incapacité de s’y soustraire. « Qu’est-ce qu’il a fait de moi ? » s’interroge une Christine qui a cherché dans le déni un moyen pour se reconstruire. En traitant de cette dure réalité, la série aurait largement pu verser dans l’apitoiement ou encore dresser un bilan accusateur. Mais jusqu’au bout, elle fait preuve de pudeur et de bienveillance, ce qui lui confère une tonalité d’une grande justesse. Le service public peut s’enorgueillir de porter à l'écran une production au sujet sensible avec délicatesse et humanité. En cela, il remplit complètement son rôle et c’est tout à son honneur.

 

Disponible sur France TV

 

 

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