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Squid Game

Des jeux meurtriers

 

 

Qui n’a pas entendu parler de « Squid game » ? La série Netflix qui cartonne et effraie les parents tout autant que l’Éducation Nationale pour ses potentiels effets négatifs sur la jeunesse. Pour être honnête, il est vrai que ces 9 épisodes ne sont pas accessibles à tous les âges.

 

Dans le Séoul moderne, Seong Gi-Hun, un trentenaire divorcé, au chômage et vivant chez sa mère, s’est mis dans de sales draps. Criblé de dettes de jeux qu’une vie d’ouvrier standard ne pourrait couvrir, il se fait tabasser avec in fine, un ultimatum de remboursement imminent. Les possibilités d’aider sa mère malade ou de pouvoir accueillir un jour sa fille dignement quand il en a l’opportunité s’écroulent donc soudainement. Alors, quand on lui propose de participer à un jeu obscur qui lui permettrait d’être à l’abri du besoin pour le restant de ses jours, il s’inscrit… et se retrouve avec 455 autres participants (aussi désespérées que lui) à jouer sa vie pour passer les 6 épreuves proposées et encaisser un énorme pactole. Car le principe est simple : dans ces jeux enfantins, chaque participant éliminé est tué.

 

 

Entre jeux violents et peinture de la société coréenne

 

On voit donc que la narration de « Squid game » va se placer sur deux tableaux. En premier lieu, l’histoire dépeint une société coréenne où le capitalisme exacerbé règne en maître. Par ailleurs, et c’est ce qui attire les jeunes comme les plus âgés, on assiste aux défis que devront passer les candidats, véritables jeux de massacre où chacun devra donner le meilleur (et le pire) de soi-même pour survivre. Dissocier les deux est impossible et la construction du récit va dans ce sens. Certains des 9 épisodes seront centrés sur la vie des protagonistes tandis que d’autres le seront sur les jeux. Si vous voulez voir un flot d’hémoglobine continu, vous serez déçu.

 

 

Où est la véritable violence ?

 

Mais quel lien unit ces deux composantes et quelles sont les volontés de son auteur ? Tout d’abord, plusieurs pans de la société coréenne sont décrits : chômage ou mauvais investissements aboutissant à des endettements ahurissants, familles brisées par la séparation politique entre le Nord et le Sud, difficultés d’intégrations d’immigrants attirés par la richesse inhérente au pays et la corruption mafieuse qui profite du désespoir découlant de ces situations… Dans ce climat, les protagonistes vivent en enfer comme l’indique le titre de l’épisode 2. Cette violence est dès lors à comparer avec la bestialité des jeux, évidemment choquante et brutale même si elle est courante dans le cinéma coréen. Car ici, comme il est dit, chaque participant a les mêmes chances de gagner que son voisin, quelque soit son statut social dans la vie extérieure. Ils sont sur un pied d’égalité qu’une société capitaliste est incapable de leur fournir. Tous sont d’ailleurs volontaires pour s’entre-tuer car on leur offre "miraculeusement" une dernière opportunité de s’en sortir. Et s'en sortir signifie tout simplement avoir de l'argent.

 

 

Du haut de leur tour d’ivoire

 

Bien évidemment, ces jeux du cirque sont des divertissements suprêmes pour les puissants qui les organisent et trompent ainsi l'ennui que l'accumulation de richesses leur procure. Cliché me direz-vous ? On peut en effet faire ce reproche. Mais il faut voir « Squid game » comme une allégorie : celle du dysfonctionnement d’une société régie par des puissances sans visages qui poussent les exclus à s’entre-déchirer. (On peut par ailleurs noter que ceux qui jubilent de ce spectacle sont des hommes, de type caucasien, plaçant la Corée comme une succursale de leur domination.) Ceux-ci détruisent leur compagnon de mauvaise fortune, considéré comme le rempart principal à leur éventuel succès, incapables de voir que les responsables de leur situation les regardent de haut, en souriants, inaccessibles. Ils ne perçoivent même pas le côté infantilisant des jeux qu’on leur propose ce qui renforce le sentiment d’humiliation qu’on veut leur faire vivre : mourir pour un 1, 2, 3 soleil raté, c’est tout de même le comble de la loose… Que l’on soit d’accord ou non avec ce message que l’on peut trouver manichéen, une allégorie doit être simple et efficace pour que le discours passe. Ici, elle l’est et ne s’encombre pas de discours abscons et pompeux pour illustrer sa thèse.

 

 

Visuellement abouti

 

Toutefois, il s’agit aussi d’une fiction, et pour que la série soit de qualité, il lui faut aussi une identité visuelle. Et c’est encore le cas. Car si la vie de Séoul est très réaliste, les jeux de Squid Game se passent à l’écart, sur une île inconnue. Dans une ambiance colorée, alliant le rose et le vert flashy, on voit les participants déambuler dans des escaliers inspirés d’Escher. Les décors ludiques de carton-pâte sont frais et chaleureux. La musique classique, très présente sur les lieux, inciterait aussi à la bonne humeur. Mais cet élément, comme ceux cités précédemment, accroît le climat de violence sauvage quand celle-ci éclate. Enfin, il y a ces soldats rouges, muets, et sans visage, serviteurs d’une idéologie où l’individu cède la place à la mission qu’on leur a confiée. Car eux aussi sont des humains et se doivent de nourrir leur famille.

 

 

Des jeux au service de l’humain

 

Mais en quoi les jeux en eux-mêmes servent-ils le propos ? Si le 1, 2 3 soleil est terrifiant et met en scène un massacre de foule dont l’histoire humaine a le secret, la plupart sert avant tout à sonder la personnalité des joueurs. En cela, le jeu de billes est un moment d’une rare puissance et permet d’entrer plus profondément dans la vie de chacun d’eux. Il met en valeur leur humanité, leur histoire, leur capacité à manipuler leur semblable ou à profiter de leurs faiblesses. La cruauté du dénouement de chaque partie renforce l’émotion qui émane de ces rapports. Elle met aussi les vainqueurs face au sentiment de culpabilité qu’ils pourraient éprouver quant aux choix parfois douteux qu’ils ont utilisé pour arriver à leurs fins. Tout cela dans un décor de carte postale où rougeoie un superbe coucher de soleil dans un village typique de Corée. C’est juste brillant.

 

 

Quelques réserves pour conclure

 

« Squid Game » n’est pas non plus une série parfaite, loin de là. La fin, particulièrement le dernier coup de minuit, plonge le récit dans une fable peu crédible. Mais elle a le mérite d’appuyer sur le fait qu’il ne faut pas totalement désespérer du genre humain. L’intrigue policière et familiale qui lui est associée tombe totalement à plat. A moins que celle-ci n’anticipe une saison 2 que l’on sait inévitable. Et c’est le principal problème : une série aussi conceptuelle ne doit pas se prolonger sur plusieurs saisons. Et si son succès est justifié, il serait dommage qu’elle devienne un nouveau « Casa de Papel » (dont la notoriété reste incompréhensible au vue de son contenu et de sa mise en scène).

 

Quoiqu’il en soit, malgré toutes ses qualités, il ne fait aucun doute que « Squid Game » est bien trop complexe et violente pour qu’elle soit regardée par un enfant de 11 ans. 15 ans avec accompagnement parental recommandé, selon la sensibilité et la maturité du jeune en question.

 

Disponible sur Netflix

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Guitton (mardi, 19 octobre 2021 15:25)

    Ça partait bien. Clarté de l'intrigue, action sans répit, esthétique léchée et acteur principal épatant. Mais la promesse n'est pas tenue. Dès le second épisode, cela devient rasoir, psychologisant et besogneux. Je crois que je me suis endormi avant la fin de cet e.2. Une chose est sûre, nonobstant l'onction médiatique superlative dont bénéficie cette série, je n'y reviendrai pas.