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The spy

D’origine anglaise, Sacha Baron Cohen est avant tout connu pour les personnages corrosifs qu’il a jusque là interprétés tout au long de sa carrière. Ce Juif pratiquant s’est particulièrement illustré en Ali G où il campe une sorte de rappeur gangsta ridicule puis en Brüno, un présentateur autrichien gay. Dans chaque cas, son objectif était le même : paraître ingénument détestable en adoptant des discours racistes et homophobes pour révéler la personnalité ambiguë des grands de ce monde. Sous l’ère Trump, il répétera cette formule dans la série « Who is America ? » où des people iront jusqu’à chanter les bienfaits du port des armes par des enfants de 3 ans. Entre temps, déguisé en Borat, il avait réalisé un faux documentaire, « Borat, leçons culturelles sur l'Amérique au profit glorieuse nation Kazakhstan », où il traversait les États-Unis dans le but de se marier avec Pamela Anderson. De manière provocatrice, ce reporter kazakh puisait ses valeurs ultra-conservatrices dans le peu d’éducation et la pauvreté de son pays d’origine, mais on découvrait rapidement que les représentants de la première puissance mondiale ne valaient guère mieux que lui. Comme on pouvait s’y attendre, en interprétant de tels personnages satiriques qui prenaient à défaut l’intégrité de ceux qui avaient affaire à lui, Cohen ne s’est pas toujours attiré les faveurs de ses victimes et il a eu dû faire face à de nombreux procès. Mais ces incidents n’ont jamais porté ombrage au talent de ce faux clown charismatique engagé.

 

 

Le retrouver ainsi dans une série d’espionnage « historique » tout à fait sérieuse relevait donc autant de la curiosité que de l’envie de découvrir Cohen sous un jour nouveau, beaucoup plus dramatique. Le voici donc interprétant l’espion le plus populaire d’Israël, Eli Cohen, qui était parvenu dans les années 60 à s’infiltrer au sein des hautes sphères du pouvoir syrien pour communiquer au Mossad (les fameux services secrets israéliens) des informations concernant les capacités et les intentions militaires de la Syrie à l’encontre d’Israël. On sait maintenant à quel point ces renseignements devaient être capitaux puisqu’ils ont participé à la victoire d’Israël sur ses voisins arabes lors de la guerre des 6 jours en 1967. Auparavant, Eli avait vécu au Caire où il avait déjà contribué à l’émigration illégale de nombreux Juifs dans leur pays d’asile. La série débute après que lui et sa femme Nadia ont dû revenir contraints forcés en Israël en 1957. Celui-ci travaille comme employé de bureau et mène une vie sans histoire dans un petit appartement de Tel-Aviv. Mais lorsque des mouvements suspects de l’armée syrienne commencent à inquiéter les autorités israéliennes, le Mossad se voit dans l’obligation de former un agent en urgence pour entrer sur le territoire syrien. De fait, en raison de ses anciennes activités, Eli Cohen, formé par l’agent Dan Peleg, est finalement choisi pour tenter de remplir cette délicate mission.

 

 

Au vue des origines et des croyances religieuses de Sacha Baron Cohen, on pouvait craindre que « The spy » entreprenne de transformer cette histoire inspirée de faits réels en une promotion sans retenue et un peu gênante du pays Israël. Il est certain que l’ambiance répressive que les autorités syriennes, quel que soit le parti au pouvoir, faisait subir à ses opposants idéologiques ne nous est pas épargnée. Mais de son côté, dès lors qu’il s’agissait d’assurer sa sécurité, il nous apparaît qu’Israël accordait une importance toute relative à la valeur d’une vie humaine. Réalités d’une époque qui ne semblent pas avoir énormément évolué avec le temps. De manière générale, la série nous expose plutôt efficacement l’instabilité politique qui régnait alors au sein des pays arabes et les leviers stratégiques sur lesquels s’appuyaient les deux camps pour affaiblir leur adversaire. Aidée en cela par une reconstitution crédible et agréable de ce que devait être le quotidien dans cette partie du monde, « The spy » nous gratifie également d’anecdotes propres à enrichir le récit. Et si la rencontre fortuite avec Oussama Ben Laden et son père relèvent sans doute du fantasme narratif amusant, l’épisode des eucalyptus plantés sur l’initiative d’Eli Cohen (ou plutôt Kamel Amin Thabet, son nom d’emprunt) pour faire de l’ombre aux soldats syriens est historiquement assez succulent.

 

 

Dans ce contexte politique forcément mouvementé, on admire les capacités d’adaptation de cet espion aussi brillant que séducteur et on s’étonne que le sourire enjôleur et les costards rutilants qu’endosse Sacha Cohen lui siéent si bien. De plus, il parvient à rendre compte de la détresse psychologique de son personnage installé dans deux univers distincts qui lui confèrent des statuts sociaux diamétralement opposés. Intelligemment, ce contraste vécu comme insupportable par Eli, nous est rendu visible par le parti pris photographique de la série qui utilise, selon le lieu dans lequel il se trouve, d’un côté des couleurs vives et colorées, de l’autre un noir et blanc tendance sépia beaucoup plus terne mais visuellement esthétique. De plus, le personnage fictif de Dan Peleg, ange gardien d’Eli et de sa famille, contribue lui aussi à rendre palpable la situation intenable dans laquelle se trouve son protégé. On peut d’ailleurs noter que si la prestation de Sacha Cohen est plus que convaincante, celle de Noah Emmerich dont émane une gentillesse naturelle, ne l’est pas moins. Lui qui nous avait déjà beaucoup ému dans « The Americans » possède le don rare de rendre touchants les personnages qu’il incarne. Il représente en tout cas à lui seul la principale source d’émotion d’une série qui en est un peu dépourvue.

 

 

En effet, malgré toutes les qualités évoquées « The spy » peine parfois à nous transporter. Peut-être que pour tenir le spectateur en haleine aurait-il fallu que l’on ne découvre pas dès les premières images qu’Eli avait fini par se faire attraper. En effet, si l’ « affaire Cicéron » de Mankiewicz (inspirée également d’une histoire vraie) est considérée comme une œuvre aussi magistrale, c’est que jusqu’au bout, on ne sait pas ce qui va advenir de l’espion interprété par James Mason ! A l’inverse, dans le cas présent, l’enjeu narratif réside dans le fait de savoir quelle erreur sera commise pour qu’Eli se retrouve en prison. C’est un peu maigre. Les auteurs ont bien tenté de placer leur héros dans quelques situations tendues mais la volonté manifeste de pimenter le récit devient alors trop voyante. De plus, la cause pour laquelle Eli se démène avec tant de zèle nous est éloignée, ce qui limite l'investissement qu'on pourrait lui porter. Par conséquent, son arrestation n’est pas vraiment vécu comme un crève-cœur… On est juste peiné pour lui. Une fois encore, pour contrecarrer notre ingratitude, les images finales cherchent réveiller en nous une empathie qui tarde sérieusement à se manifester. Mais les mêmes causes entraînant les mêmes effets, non seulement ça ne prend pas, mais au contraire, ça agace.

 

 

En résumé, « l’affaire Cicéron » mettait en scène un espion qui travaillait au service du 3ème Reich et dont les intentions étaient détestables. Mais pris au piège par le machiavélisme de cet anti-héros, on se surprenait à espérer qu’il s’en sorte ! Ce dilemme moral éprouvé par le spectateur était délicieux ! Et curieusement, on le retrouve à un degré moindre dans une des meilleures séries d’espionnage de ces dernières années : « The Americans ». Alors, s’il ne s’agissait pas de retrouver dans « The spy » les mêmes ingrédients qui ont fait de ces œuvres des modèles du genre, on peut regretter que le scénario finisse par rendre plutôt conventionnelle une histoire pourtant habilement mise en scène et portée par des acteurs en tous points convaincants.

 

Disponible sur Netflix

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