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The english game

Comme son nom l’indique, le football est un sport né en Grande-Bretagne et pratiqué au départ dans certaines universités, principalement Oxford et Cambridge. Il était donc réservé à la haute société anglaise du Sud du pays. En 1863, naît la Fédération anglaise de football qui unifie ses règles. Ainsi, en interdisant le jeu à la main, une scission se crée et une activité parallèle, également très prisée outre-Manche, se développe alors : le rugby. A cette époque, la tactique en vigueur consiste à se ruer en direction du but adverse pour tenter de dribbler les défenseurs et marquer (le dribbling game). Mais dans les années 1870, le football amateur gagne le Nord, notamment l’Écosse, pour être adopté par des villes beaucoup plus industrielles. Les équipes ouvrières qui voient alors le jour développent une nouvelle manière de jouer consistant à multiplier les passes entre joueurs afin de provoquer des failles dans les défenses adverses et de s’y engouffrer (le passing game). Ainsi, à la fin des années 1870, des équipes comme celles de Darwen AFC ou de Blackburn commencent à défier les traditionnelles équipes de la riche banlieue londonienne. A ce stade de son histoire, le football devient le théâtre d’enjeux dépassant le cadre purement sportif. Car si le 19ème siècle a vu le champ des innovations technologiques et scientifiques exploser, il reste surtout celui qui a donné naissance à une classe ouvrière cherchant à vivre dans la dignité. Le contexte social tendu participe à opposer des patrons désireux de garder l’esprit originel d’un sport dont ils ont inventé les règles à un peuple à leur service qui doit composer entre sa passion pour le jeu et une vie quotidienne d’une profonde âpreté.

 

 

Nous voilà donc en 1779. Le club de Darwen est le premier club ouvrier à atteindre les quarts de finale de la Coupe d’Angleterre. Il doit y affronter la terrible équipe des Old Etonians dont le capitaine n’est autre que Arthur Kinnaird qui remportera trois fois cette compétition au cours de sa carrière. De son côté, Darwen signe deux joueurs, Fergie Suter et Jimmy Love, payés au frais du directeur de l’usine dont sont issus les membres de l’équipe. Ces éléments de talent, recrutés pour faire jeu égal avec les grosses écuries aristocratiques, remettent de facto en cause l’amateurisme censé représenter le jeu, ce qui fait éthiquement parler au sein même de l’équipe de Darwen. Ils vont de surcroît porter haut les couleurs de la classe ouvrière à travers un sport que celle-ci s’est progressivement approprié, première étape vers le statut de « principal loisir populaire » dont il actuellement le représentant. Sur un temps très court, « The english game » nous retrace le parcours de ces deux personnages historiques à une époque charnière de l’évolution de leur discipline, et à travers eux, l’histoire d’une réalité sociale en (très) lente évolution.

 

 

En rédigeant cette chronique, il m’a fallu faire des recherches assez importantes sur le football et son origine. Et ce qui en ressort, c’est que les faits présentés sont en tout points historiquement exacts. Jusqu’aux résultats des différents matchs qui, pour une fois, sont filmés de manière assez réalistes, ce qui est particulièrement plaisant ! Le scénario se permet toutefois de ne pas systématiquement mettre en scène l’ensemble des matchs, même les plus importants ! Ces ellipses volontaires procurent à l’ensemble un bon équilibre entre scènes sportives et narration traditionnelle. Ainsi, si on aperçoit de manière furtive comment la pratique du jeu a évolué pour se rapprocher du football moderne, ce point relève de l’anecdotique tant la série se penche prioritairement sur l’état social du pays.

 

 

Comme évoqué précédemment, le développement industriel a engendré une cassure nette entre les riches actionnaires et le milieu ouvrier. L’incompréhension et le déni de la caste dirigeante concernant les conditions de vie du peuple n’est d’ailleurs pas sans rappeler une réalité encore bien présente actuellement. On comprend ainsi comment, par souci d’équité, le professionnalisme s’est finalement immiscé dans un sport servant à couvrir de prestige les différentes entreprises représentées. Mais comment combattre à armes égales quand des riches oisifs pouvant s’entraîner sans contrainte ni fatigue se confrontent à des pauvres bougres harassés par des journées de travail éreintantes ? Ainsi, les règles « nobles » instaurées par une poignée de nantis perdent toute leur intégrité quand elles deviennent un prétexte pour conserver des privilèges. En cela, la série met habilement en scène le parallèle existant entre enjeux sportifs et sociétaux.

 

 

Malheureusement, le personnage principal, Fergus Suter, dont l’itinéraire retracé ici a lui-aussi subi quelques retouches, ne possède pas le charisme naturel de son rival. A vrai dire, l’interprétation de Kevin Guthrie plombe le récit à chacune de ses apparitions, c’est-à-dire souvent. Sa droiture physique et son manque d’expressivité, caractérisé par un air grave monolithique, nous sortent trop souvent de la narration pour que cela n’affecte pas la qualité générale de la série.

 

 

Par ailleurs, comme souvent chez Netflix, la reconstitution de cette époque (jusqu’aux accents, jubilatoires !) est si travaillée qu’elle permet au spectateur de s’immerger pleinement dans l’univers proposé. Mais à contrario, on ressent trop souvent cette impression désagréable que la série remplit le cahier des charges propre à cette labellisation. La musique omniprésente, de qualité médiocre et sans aucun thème récurent, alourdit le récit. Et si le premier épisode manque cruellement de connecteurs logiques, les événements s’enchaînant presque dans l’urgence, la structure narrative paraît tellement conventionnelle qu’elle en devient prévisible : quelques drames en son cœur pour émouvoir le spectateur, une fin des plus consensuelles… Dans l’esprit, on pense à « The Crown ». Mais la formule, déjà quelque peu ampoulée dans la saga de la famille royale, ne peut pas être systématiquement reproduite avec succès. Ici, elle manque tout de même de souffle et ne permet pas à la série de trouver sa propre identité narrative et visuelle malgré les efforts de reconstitution manifestes. Et c’est bien dommage tant le sujet qui traite de l’évolution d’une société au regard d’enjeux sportifs historiquement avérés était intéressant et original. Qui a dit que le sport n’était pas politique ?

 

Disponible sur Netflix

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