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Poker Face (saison 1)

Natasha Lyonne et ses concepts

 

Natasha Lyonne est une sacrée énergumène. Depuis qu’elle a fait irruption dans « Orange is the new black », elle s’est crée un personnage haut en couleur inauguré dans la formidable série « Poupée russe ». Affublée d’une touffe capillaire pour le moins ébouriffante, elle promenait sa dégaine nonchalante et sa voix de fumeuse invétérée avec une désinvolture délectable. Durant deux saisons conçues par ses soins, elle usait de scenarii conceptuels pour se mettre en scène. Dans un cas, elle passait son temps à mourir pour réapparaître inlassablement dans la salle de bain de l’appartement où se fêtait son anniversaire. Dans l’autre, il lui suffisait de prendre le métro pour se retrouver plongée dans un passé où elle n’était pas encore de ce monde. Et chaque fois, on était happé par la sensibilité qui se dégageait de ces histoires improbables où le temps se distordait pour mieux vivre en paix avec soi-même. « Poker face » ne déroge pas à la règle de ces incongruités paranormales puisque cette fois-ci, Natasha Lyonne prête ses traits à Charlie Cale qui possède le don de déceler les mensonges dès l’instant où ils sont prononcés. Ce don n’est cependant pas vécu par elle comme un cadeau du ciel. Cela revient en effet à constater que l’humain passe son temps à mentir, même pour des choses qui n’en valent pas la peine. Dans son cas, travailler dans un salon de coiffure relève donc du supplice. Pour autant, il existe des situations où ce qui s’apparente quotidiennement à une malédiction peut s’avérer bénéfique comme lorsqu’il s’agit de remporter la mise dans des jeux de bluff. Malheureusement pour elle, à forcer d’user de son talent, Charlie est devenue persona non grata dans la plupart des casinos du pays. La voilà donc réduite à servir les clients dans un de ces établissements où le patron a fait preuve de mansuétude à son égard.

 

 

Drôle de Columbo !

 

Toutefois, elle reprend du service lorsque le fils de son employeur lui propose, en contrepartie d’une somme conséquente, de plumer un client au cours d’une partie de poker. Or, dans le même temps, une de ses amies est assassinée après qu’elle a eu accès à des images compromettantes sur l’ordinateur de ce richissime individu. Les choses ne vont dès lors pas prendre la tournure escomptée, amenant Charlie à fuir et à prendre la route au volant de son vieux tacot. Comble de malchance, quelque soit le coin perdu des États-Unis où le hasard lui fait poser ses valises, une mort suspecte vient systématiquement perturber son séjour. Mais comme il lui est naturel de démêler le vrai du faux dans les propos tenus par les proches des victimes, sa nature curieuse l’incite à faire la lumière sur des affaires évidemment plus complexes qu’elles en ont l’air. Ainsi, chaque épisode est découpé de telle sorte que l’on prend connaissance des circonstances des différents homicides avant de découvrir que Charlie se trouvait inopinément dans les parages au moment des faits. Celle-ci mènera donc sa petite enquête et rétablira la vérité avant de voguer vers de nouveaux horizons.

 

 

Des situations et des personnages ubuesques

 

En usant de schémas narratifs aussi répétitifs, on se dit d’abord que la lassitude risque rapidement de pointer le bout de son nez. Pourtant, le fait que ce parti pris soit aussi assumé procure au contraire un sentiment de bien-être réconfortant. A la fin de chaque chapitre, on est en réalité curieux de connaître la teneur du suivant. On découvre ainsi que le barbecue devient un art quand il est sublimé par le bois qui le compose ; on fait connaissance avec des acteurs de théâtre sur le déclin qui entreprennent de monter une pièce alors qu’ils ne se supportent pas ; on suit la tournée de musiciens de métal à la recherche de leur inspiration perdue ; on passe un séjour en maison de retraite auprès de femmes âgées ayant conservé l’esprit frondeur et rebelle de leur jeunesse. Toutes ces histoires particulièrement cocasses possèdent des univers propres dans lesquels il est plaisant de se plonger durant une petite heure, d’autant plus que la galerie de personnages qui les composent leur assure une plus-value qualitative conséquente. En effet, c’est peu dire que la distribution assez classieuse (Adrien Brody, Nick Nolte, Chloë Sevigny entre autres) se prête volontiers au jeu avec une justesse de ton toujours appropriée. Le mot d’ordre semble être le même pour tous : s’amuser et amuser le téléspectateur sans jamais cabotiner. En cela, la direction d’acteurs est impeccable. Un batteur de rock à l’énergie dévorante, des mamies sadiques, un créateur d’effets spéciaux grandeur nature… Toute cette faune contribue à rendre ces courts récits particulièrement attrayants. Dans « Poker Face », il y a même de la place pour des chiens néo-nazis !

 

 

Natasha…Toujours et encore

 

Avec le même esprit ludique, chaque intrigue distille tout au long du récit de multiples indices, à priori insignifiants, qui trouvent leur raison d’être lors de la résolution finale. Sur ce plan, le plaisir communicatif qu’ont dû prendre les auteurs à élaborer leurs petits scenarii finement ciselés se fait largement sentir. Bien sûr, chacun est libre de préférer tel ou tel volet du périple mouvementé de Charlie, mais force est de constater que tous sont dotés d’un charme qui les distingue des séries à enquêtes traditionnelles. Déjà, ils nous font voyager à travers les plaines désertiques et les montagnes enneigées des États-Unis ce qui leur confère une atmosphère particulière. Par ailleurs, ils ont pour eux d’être agrémentés d’une bande son hétéroclite et originale qui renforce leur caractère unique. En effet, qu’un épisode s’ouvre sur la voix rocailleuse de Tom Waits et nous voilà plongés dans une Amérique qui sent bon la cigarette, le whisky et les vieilles berlines. Regarder une production de Natasha Lyonne, c’est ainsi accepter de se laisser entraîner dans le sillage de son univers artistique, qu’il soit musical ou cinématographique. Que son alter ego se nomme Charlie Cale ou Nadia Vulvokov dans « Poupée russe », on y retrouve non seulement son bagage culturel, mais aussi son bagou, sa diction, sa démarche... On pourra évidemment lui reprocher de ne pas savoir jouer autre chose que ce qu’elle laisse transparaître d’elle-même. C’est un peu vrai, mais Woody Allen ou Louis de Funès se sont longtemps mis en scène de la sorte. Pourtant, au moment de les retrouver, notre bonheur n’en est pas moins intact. Bien au contraire. Or, à l’évidence, le personnage qu’elle s’est ainsi appropriée ne ressemble en rien à ce qui nous a été donné de voir à l’écran. Il apporte un vent de fraîcheur dans le monde télévisuel qui fait du bien à l’âme et aux zygomatiques. Par ailleurs, s’il est un autre point commun entre « Poupée russe » et « Poker Face », c’est que toutes deux brillent par leur modestie. A partir de concepts scénaristiques simples mais à la finesse de traitement indéniable, elles n’ont d’autres prétentions que de nous servir de chouettes histoires dotées d’identités les rendant particulièrement attachantes et artistiquement abouties. Alors, « Poker Face », une série ennuyeuse et rébarbative ? « Bullshit ! »

 

 

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