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Maid

Alex, jeune femme sans emploi, vit avec son conjoint et sa fille Maddy dans un bungalow aux abords de Miami. Une nuit, après une énième dispute avec son compagnon ivre, elle part sans le sou (ou presque) avec son enfant et trouve un emploi de femme de ménage sur l’île de Fisher Island. Comble de malchance, dans cette situation plus que précaire, sa famille ne semble pas en mesure de lui apporter une aide quelconque. Elle refuse de voir un père aux abonnés absents dès lors que sa mère avait fui en Alaska avec sa fille sous le bras. Quant à Paula (la mère en question), elle brille surtout par son irresponsabilité, vivant également dans une caravane où elle s’imagine devenir une artiste peintre reconnue. Dans ces circonstances, cette femme égocentrique et exubérante, fuyant la réalité de la vie et se comportant comme une enfant, ne peut être une personne ressource pour Alex qui va dès lors entamer un véritable chemin de croix.

 

 

« Maid » est une série très intéressante qui met en lumière bon nombre de sujets passionnants. En premier lieu, il y a cette description d’une Amérique qui ne fait pas de cadeaux à ses exclus. On constate une nouvelle fois ce que l’on savait déjà mais qu’il n’est jamais inutile de rappeler, qu’il est bien difficile pour une femme seule, sans qualifications et avec une enfant à charge de s’en sortir, surtout quand les liens familiaux sont dysfonctionnels. D’un point de vue administratif, pas les bons papiers, pas de voitures et les portes se ferment devant la possibilité d’accéder à un logement décent. Quant aux conditions de travail soumises à la volonté de clients capricieux (plus ils sont riches et plus ils le sont), elles se résument à un salaire misérable qui se réduit comme peau de chagrin au moindre pépin ou contre-temps que des conditions de vie difficiles peuvent facilement engendrer. Garder sa dignité malgré le traitement institutionnel imposé aux plus démunis est évidemment essentiel mais demande une résilience de tous les instants. En ce sens, la série traite avec justesse d’une réalité qu’il serait bien osé de remettre en cause.

 

 

Dans un second temps, « Maid » soulève la question de la maltraitance conjugale quand celle-ci ne se présente pas directement sous forme de violences physiques ou sexuelles. C’est clairement le point fort de la série. Et si l’amour est une chose magnifique, il faut parfois accepter les souffrances qui l’accompagnent. Alors, à quel moment peut-on affirmer que la barrière de la violence conjugale a été franchie ? Une relation amoureuse comporte son lot de gestes déplacés ou de paroles blessantes que chaque individu percevra plus ou moins intensément selon son vécu et sa sensibilité. Ainsi, les émotions éprouvées et l’emprise psychologique qu’une personne peut exercer sur une autre sont des éléments difficilement quantifiables.

 

 

De fait, il n’est pas aisé pour la justice de statuer sur ce genre de situations. Et si les faits auxquels le spectateur assiste laissent peu de place au doute quant à d’éventuelles violences, elles ont indéniablement un contexte qui, à défaut de les justifier, permet tout de même de les comprendre. Par ailleurs, certaines prises de position d’Alex peuvent également être sujettes à caution. De ce point de vue, la série réussit la prouesse de ne pas verser dans le manichéisme. La complexité des rapports est abordée avec subtilité, l’homme ne se résumant pas à une bête féroce violente et manipulatrice. Il est justement décrit comme un animal blessé qui peut certes perdre contrôle, mais sait aussi se montrer aimant et doux. Cette difficulté à juger de situations rarement noires ou blanches se trouve résumée lors d’une confrontation où deux regards s’opposent et nous interrogent : l’homme responsable de violence n’est-il qu’un coupable qui doit payer sa dette ou doit-il être avant tout considéré comme une personne en souffrance qui a besoin d’aide ? Et si la vérité se trouve certainement entre les deux, les conséquences juridiques engendrées par ces situations contraignent les protagonistes impliqués à une radicalité de point de vue inconciliable. Au spectateur de se faire sa propre opinion, ce qui est une très bonne chose.

 

 

Et puis il y a cette opposition entre Alex et Paula, aussi bien fille et mère à l’écran qu’à la ville. Si l’ensemble du casting est irréprochable, la performance d’Andy McDowell en mère fragile mais exaspérante est à souligner tant elle campe à merveille cette femme qui, à l’inverse d’Alex, est dans un déni constant de sa situation et reproduit inlassablement ce contre quoi sa fille se bat. La relation qui unit ces deux êtres si dissemblables nous apparaît touchante et crédible. Et de manière générale, la difficulté pour les femmes de se sortir de situations de soumission et d’emprise est évoquée sans jugement. Quant à la reproduction de schémas familiaux éprouvés, si elle est au cœur du récit, c’est qu’elle est malheureusement statistiquement reconnue.

 

 

Toutefois, si le propos de « Maid » est de qualité, la trame narrative en revanche est vraiment trop convenue. Tout est prévisible et le scénario ne comporte aucun effet de surprise. On sait par avance ce qui va advenir d’Alex et on devine le chemin que Paula empruntera. Et si la vie dans ce genre de circonstances est peut-être peu propice au suspense, on anticipe facilement le parcours en dents de scie que Sean fera subir à son entourage. Ce manque d’enjeux narratifs amoindrit l’intérêt porté aux événements. De plus, leur déroulé correspond fortement à l’esprit des productions américaines classiques : malgré les épreuves traversées et les questions délicates soulevées, l’Amérique reste le lieu de tous les possibles. Les riches sans cœur, en proie aux aussi à leurs démons, ne sont pas si cruels qu’ils n’y paraissent. Les frontières sociales se rompent et les puissants viennent au secours des plus faibles. Cette vision édulcorée de la société prive la série d’une rugosité, voire d’une violence, qui l’aurait rendue plus intense. Sans faire du Ken Loach, il y avait matière à vibrer un peu plus, à se sentir secoué par le destin des personnages. Les partis pris de mise en scène possèdent aussi ce petit goût sucré qui s’avèrent efficaces lorsqu’Alex effectue quelques jolis pas de danse ou qu’elle ne comprend que les dérivés du mot « légal » au tribunal. Mais ce serait faire l’impasse sur l’ambiance légèrement « teenager » qui ressort de l’ensemble et que la bande-son très « pop » reflète parfaitement.

 

 

En conclusion, portée par des acteurs à la hauteur du rôle qui leur a été confié, « Maid » traite de sujets douloureux et graves avec beaucoup de pertinence et de sensibilité. Mais elle fait l’erreur d’adopter un fil narratif et une tonalité manquant cruellement de maturité, ce qui créé un décalage inapproprié entre le fond et la forme.

 

Disponible sur Netflix.

 

 

Cette chronique est dédiée à toutes les personnes, hommes ou femmes, qui ont été victimes de violences conjugales dans leur vie. Soyez forts !

 

 

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