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Succession (saison 3)

 

Une lutte de … succession

 

Vous reprendrez bien une petite dose d’immoralité et de trahisons ? Ça tombe bien, « Succession » est de retour et l’ambiance familiale n’est toujours pas au beau fixe. Car pour rappel, Logan Roy, magnat des médias (inspiré du milliardaire Ruppert Murdoch), est vieillissant et semble en passe de céder la main à l’un de ses trois enfants. Oui, mais lequel ? Kendall est celui qui connaît mieux la boîte mais il semble un peu fragile et manque de poigne. Sa fille Shiv est compétente mais s’est lancée comme conseillère politique auprès d’une élue démocrate (!)… Et c’est une femme... Le plus jeune, Roman, paraît trop immature pour avoir de si grosses responsabilités. Ah, en présence de ces trois loups, il serait facile d’oublier l’aîné de la fratrie : Connor. Mais ce dernier vit dans un ranch avec ses chevaux, ses vignes et une prostituée qu’il paye et considère ainsi comme sa conjointe. Dans ce contexte, malgré une santé défaillante, Logan choisit de faire du zèle. Mais pour combien de temps ? Débute alors une lutte sans merci pour s’attirer les faveurs du paternel en espérant devenir l’heureux(se) successeur(e). Et quand cela semble inefficace, quoi de mieux que de tenter de défier Dieu lui-même droit dans les yeux au risque de tout perdre ?

 

 

Sans scrupules

 

Acclamée par la critique, le plébiscite de « Succession » n’était pas acquis d’avance car pour l’apprécier, il faut être légèrement masochiste. En effet, si cette série est dépaysante, c’est qu’elle nous plonge au cœur d’un univers inconnu pour la quasi totalité de la population : celui des ultra-riches. Des gens qui ne savent pas se déplacer sans chauffeur et pour qui l’hélicoptère est un moyen de locomotion comme un autre, qui n’ont aucune notion de la valeur de l’argent, qui ne supportent pas la frustration et qui pensent que le monde est à leurs pieds car pourquoi ne le serait-il pas ? Et si chacun des enfants a sa personnalité, ils ont en commun le cynisme que leur statut leur confère. Ainsi, on a assisté durant deux saisons à un jeu de massacre où tous les coups sont permis, même les plus humiliants.

 

 

Humains, mais pas trop

 

La qualité de la série repose en premier lieu sur ses dialogues aussi violents et grossiers qu’hilarants. Car dans Succession, on rit beaucoup. Et si l’humour est (très) noir, il ne ressemble à aucun autre grâce à une qualité d’écriture hors norme incarnée par des acteurs exceptionnels. A tel point qu’ils arrivent à humaniser des personnages pour le moins odieux. Et s’ils nous apparaissent parfois touchants, c’est aussi que, paradoxalement, leur éducation les a broyés. Sans repères dans un monde sur lequel ils portent un regard biaisé, en permanence tournés sur eux-mêmes, ils n’ont pas accès aux codes sociaux leur permettant d’établir des liens humains qui ne soient pas uniquement des marche-pieds susceptibles de servir leurs intérêts. Ils se retrouvent également confrontés à leur manque béant d’affection qui les poussent encore et toujours à adopter une attitude de nantis, la seule qui leur permette de se sentir vivants et en adéquation avec leur milieu. On en vient donc à les apprécier … avant de revoir notre jugement une énième fois devant une réplique ou un comportement consternants de bassesse. Mais sur un court instant, ils ont réussi à nous faire oublier que ces puissants de fortune entretiennent un rapport au monde d’une incommensurable toxicité. En gros, ils se fichent comme de l’an quarante du bien commun.

 

 

Lieux et manigances

 

On retrouve bien sûr tous ces éléments dans cette saison 3. Chaque épisode nous plonge une nouvelle fois au cœur d’enjeux de pouvoir où les rapports de force sont constants : que ce soit au sein de la famille, avec les actionnaires ou les concurrents, la bataille fait rage et les dégâts causés, à défaut d’être mortels, n’en sont pas moins dévastateurs. Certains réussiront à sortir leur épingle du jeu (personne n’est innocent et le faible n’est parfois qu’un loup qui attend son heure à l’orée du bois) mais d’autres en ressortiront provisoirement anéantis. Et inutile de résister, on reste une nouvelle fois sidérés par les multiples coups fourrés et les retournements de situation que nous procure cette saga. Et si New-York et ses buildings restent le cadre privilégié de cette tragédie théâtrale, on a pris part à une conversation dissonante dans une chambre d’enfants en compagnie de musiciens incapables de s’accorder sur la partition à adopter. On s’est promené en bord de mer pour apprendre qu’il était dangereux de s’émouvoir devant les souffrances d’un animal blessé. On a fêté un anniversaire gargantuesque où l’excitation a progressivement fait place à la désillusion puis au désespoir devant l’absence du seul cadeau qui aurait vraiment compté. On est resté au bord d’une piscine où deux crocodiles ont poliment tenté de se dévorer l’un l’autre. Et en clôture de ce troisième acte, on a participé à un mariage en Italie, lieu d’un magistral coup de théâtre (moins impressionnant que le final de la saison 2 mais tout aussi brutal) qui n’a jamais si bien porté son nom.

 

 

Une réalisation et une bande son de qualité

 

La dramaturgie si efficace qui émane de « Succession » tient aussi au fait qu’elle est portée par une mise en scène nerveuse et haletante qui utilise le zoom brutal pour subitement pointer une expression de visage laissant paraître l’incompréhension ou la peur. A l’inverse, le cadrage peut tout à coup desserrer son étau pour afficher des détails d’arrière-plans souvent savoureux : un geste obscène de Roman, un haussement de sourcils de Shiv, un sourire narquois de Kendall. La réalisation se met au service de ses interprètes et les bonifie tout en renforçant la tension narrative. Et enfin, parler de « Succession » sans évoquer sa musique (composée par Nicholas Britell qui avait déjà magnifiquement sévi dans « The underground railroad ») serait impardonnable tant elle est un élément dont le monde sériel se souviendra. Impossible de sauter le générique : ces quelques notes de piano sont indissociables des événements à venir et les variations qui en découlent donneront une couleur très singulière à l’ensemble du récit. Elles insufflent une ambiance qui ne sert qu’à attiser notre désir de voir encore et toujours s’entre-déchirer une famille dont la cruauté n’a d’égal que le désespoir qu’elle engendre.

 

 

Bilan

 

Alors oui,  Succession » est incontestablement la meilleure série dramatique de ces dernières années. Et si cette troisième saison reprend grosso modo les mêmes ingrédients qui ont contribué à sa notoriété, elle reste bien au-dessus du lot de ses concurrentes en restant fidèle à son ton et en ne maltraitant jamais son histoire et ses personnages. Alors, si aller dans un restaurant haut de gamme pour reprendre le plat si savoureux qui vous avait ravi les papilles ne vous déplaît pas, vous en sortirez heureux et repus.

 

Disponible sur OCS

 

Et du "Côté séries", ils en pensent quoi ?

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