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American Crime Story : Impeachment

C’est pas beau de mentir

 

 

A part les plus jeunes d’entre nous, qui n’a jamais entendu de l’affaire « Monica Lewinsky » ? Ce scandale tonitruant a eu son importance à la fin du 20ème siècle puisqu’il a abouti à une procédure de destitution contre Bill Clinton, le président américain en poste à cette époque. Celle-ci n’avait jusque-là été lancée qu’une seule fois dans l’histoire des États-Unis et c’était en 1868 ! Autant dire qu’il est raisonnable de penser qu’elle a fait suite à des événements d’une exceptionnelle gravité. Et en effet, lors du procès pour harcèlement sexuel qui l’opposait à Paula Jones, Clinton a nié avoir avoir eu des relations intimes avec une stagiaire du nom de Monica Lewinsky. Mais sur ce point, des preuves vont rapidement disqualifier la parole du chef-état. Or, au pays de l’Oncle Sam, un mensonge sous serment revient non seulement à mentir aux institutions juridiques mais aussi à Dieu lui-même. Et selon la loi américaine, il s’agit ni plus ni moins d’un crime.

 

 

Un acte et ses symboliques

 

Malgré cela, ce qui le plus choqué les Américains, ce ne sont pas les parjures de Clinton, mais bien le fait qu’il ait trompé sa femme ! On ne rigole pas non plus avec les « liens sacrés du mariage » au pays des libertés (libertés qui tendent à trouver leurs limites dès lors qu’elles se confrontent à la religion). Mais pour être honnête, c’est aussi cette infidélité et ce qu’elle symbolisait qui, à l’époque, faisait les gros titres des journaux français. Car, il ne s’agissait pas de n’importe quelle relation sexuelle ; il s’agissait de fellation. Or, cet acte constitue une sorte de « don » qui, dans ce cas précis, semblait nous apprendre beaucoup sur leurs auteurs. Qu’il soit « offert » par une jeune stagiaire amenait à penser qu’on avait potentiellement affaire à une arriviste ou une femme un peu cruche (ou les deux) prête à donner plus que de raison pour s’attirer l’attention de l’homme politique le plus puissant du monde, qu’il se nomme Golum, le Grand Schtoumpf ou Bill Cinton. De l’autre côté, cela suggérait que ce dernier abusait de sa fonction pour recevoir, tel un empereur sur son trône, les faveurs de femmes d’âge et de condition bien inférieurs aux siens. Bref, on était en présence d’un être concupiscent et profiteur. Cette image médiatique leur a dès lors collé à la peau. Mais si Clinton a pu faire partiellement diversion en terminant son mandat, Lewinsky n’a eu d’autres choix que de disparaître du paysage, souillée et humiliée…

 

 

Murphy + Lewinsky

 

Après s’être attelé au procès d’O.J. Simpson puis à l’assassinat du couturier Versace dans ses deux premiers opus (eux-mêmes excellents !), Ryan Murphy poursuit donc son anthologie consacrée aux faits divers symptomatiques de la société américaine. Mais si celui-ci se permet cette nouvelle gageure, c’est aussi qu’il a pris soin de relater les faits avec l’approbation de la principale concernée. Alors, si Murphy exerce tout son savoir-faire pour disséquer les rouages d’une histoire devenue affaire d’état, il est évident que Lewinsky en profite pour offrir sa version des faits. La sienne et uniquement la sienne. En dépit de ce postulat, elle n'est jamais complaisante avec elle-même ce qui est tout à son honneur.

 

 

 

1 homme, 2 femmes

 

En effet, durant plusieurs heures, on y voit la détresse d’une jeune femme qui se désespère de ne pas avoir plus de nouvelles de son amant depuis qu’elle a quitté l’aile ouest de la Maison Blanche pour les sombres locaux du Pentagone. Car oui, Monica Lewinsky, incarnée ici par Beanie Feldstein, était amoureuse. Mais des crises de larmes découlant de sa situation à l’excitation démesurée lorsque résonne la sonnerie du téléphone, ces manifestations amoureuses nous dépeignent une Monica sincère dans ses sentiments mais d’une immaturité exaspérante. De son côté, Clinton, joué par l’excellent Clive Owen, ne s’avère pas être le goujat auquel on aurait pu s’attendre. Certes, si la présence de cette stagiaire à ses côtés lui paraît accessoire, son affection pour elle n’en semble pas moins sincère. Malheureusement, le hasard aimant chambouler les cartes, Monica commet l’erreur de se lier d’amitié avec celle qui deviendra sa meilleure ennemie : Linda Tripp, campée pour l’occasion par une Sarah Paulson physiquement métamorphosée. Or, pour avoir aussi servi dans l’aile ouest avant de connaître la disgrâce en étant mutée au Pentagone, cette femme hait Bill Clinton. Selon elle, sa seule faute aurait été de ne pas correspondre aux goûts de l’ancien président en matière de femmes. Il est vrai qu’avec sa démarche disgracieuse, son dos voûté, et la manière qu’elle a de secouer imperceptiblement la tête pour remettre en place une mèche imaginaire, Tripp ne possède pas les atouts des canons féminins traditionnels. Loin de ces considérations physiques, elle offre également au spectateur l’étendue de sa condescendance et de son aigreur envers ses collègues en plus d’afficher une bonne part de mauvaise foi quand il s’agit de s’exonérer de toute culpabilité au moment de trahir sa plus fidèle confidente. D’un autre côté, cette femme, déjà déshonorée dans le cadre de son travail,a vu sa vie maritale tourner au fiasco tandis que ses propres enfants semblent se désintéresser d’elle. Tripp, Lewinsky, Clinton… Certes, durant ces premiers épisodes, notre sympathie n’est pas partagée en parts égales entre ces trois personnages, mais Ryan parvient à décrire leurs liens et surtout, à dresser d’eux un portrait d’une juste complexité mettant à mal la caricature médiatique dont ils ont hérité. Cette première victoire, Ryan la doit à la pertinence de ses choix narratifs, mais aussi à la performance de ses trois interprètes qui parviennent, par leur finesse de jeu, à rendre crédibles les figures qu’ils incarnent.

 

 

Didactique puis étouffant

 

Par ailleurs, comme à son habitude, Ryan nous décrit, avec la précision qui le caractérise, les mécanismes sous-jacents ayant contribué à ce que cette histoire se transforme en drame humain. Qu’il s’agisse de francs-tireurs profitant des débuts d’Internet pour faire le buzz (quitte à violer toutes les règles déontologiques du journalisme), d’éditeurs voulant tirer profit du moindre scandale ou de Kenneth Starr, ce procureur républicain qui s’est donné comme mission de poursuivre en justice le chef d’état américain, tous apportent leur pièce à l’édifice… Et bien sûr, il y a ce procès contre Clinton intenté pour harcèlement sexuel par Paula Jones, sur les conseils mal avisés d’une avocate obscène et manipulatrice qui espère connaître son heure de gloire en participant à la destitution du Président. Tout cela est formidablement dépeint mais apparaît parfois un peu trop didactique. Pour les grands frissons, il faut attendre de rester avec Lewinsky et des membres du FBI, tous armés jusqu’aux dents, dans une chambre d’hôtel durant tout un épisode. Dès lors, la petite enfant gâtée pleurnicharde laisse place à une bête traquée impuissante à se sortir des griffes du piège qu’on lui a tendu. D’un point de vue formel, c’est étouffant à souhait ! D’un point de vue émotionnel, Monica nous transmet sa terreur légitime et le désespoir qui, subitement, la saisit. Mais il se dégage également d’elle une farouche énergie : celle de se battre, de ne pas trahir, de rester digne… A ce stade du récit, quelle que soit l’opinion que l’on porte sur elle, la série prend une tournure dramatique que l’on n’avait pas forcément anticipée.

 

 

Un épisode et une actrice exceptionnels

 

L’empathie du spectateur à son égard atteint son apogée au moment où Monica se trouve face au Grand Jury qui réclame de connaître la vérité. Il suffit qu’elle demande en toute innocence à ses membres si un tour de table peut s’avérer utile pour que la gentillesse de cette jeune femme nous saute à la figure. Il ne s’agit plus de naïveté inadaptée, mais d’une gentillesse sincère auquel il semble impossible de rester insensible. Une intense émotion nous parcourt alors l’échine durant un long témoignage d’une pudeur pacifique exceptionnelle … Avant d’être saisis d’effroi devant la séance de torture où il lui est demandé d’exposer en détail les pratiques auxquelles les amants se sont adonnés dans leurs moments d’intimité. C’est cette fois le malaise qui s’empare de nous devant l’indécence de ce qu’on lui impose. En nous contraignant à un voyeurisme nauséabond, Murphy nous confronte à la violence subie par Lewinsky mais aussi à sa dignité inébranlable. Deux moments immenses de cinéma portés par une actrice en état de grâce !

 

 

Les femmes en disgrâce

 

Outre le cas Lewinsky, il semble indéniable que les femmes dans leur ensemble sont celles qui ont le plus pâti de cette affaire et Murphy ne se prive pas de nous le faire savoir. Il offre ainsi à Hillary Clinton et à Edie Falco, son interprète, de belles scènes mettant à l’épreuve son sens du pardon envers un mari dont l’honnêteté du repentir reste difficilement mesurable. Malgré tout, devant son apparente sincérité, le puissant et intouchable personnage de Bill Clinton parvient à nous attendrir. Même Linda Tripp, dans ses tentatives désespérées de faire entendre sa voix, attire notre compassion. Quant à Paula Jones, honteusement manipulée, la situation injuste dans laquelle elle se retrouve ne peut que nous faire de la peine… Finalement, Murphy est parvenu à nous raconter cette histoire sans mettre en scène des bourreaux et des victimes. Juste des humains.

 

 

Du pain et des jeux

 

Mais si Murphy signe une œuvre sensible et percutante malgré une certaine froideur due à sa description parfois trop étayée, s’il réussit à réhabiliter l’intégrité et l’image de Monica Lewinsky, quid du rôle du peuple américain dans tout cela ? On a beaucoup parlé de celui des médias qui ont trouvé dans cette affaire de quoi contenter leur public en ne se privant pas de tourner en dérision les malheureuses qui n’avaient pas demandé à faire partie de ce triste spectacle. Mais une scène montre en quoi la population a impacté le déroulé des événements. En effet, suite à ce scandale dont la foule s’est délectée, une autre femme accuse le Président de l’avoir violée. Accusation d’une gravité extrême relayée à la télévision. Mais, alors que cela aurait pu soulever une indignation populaire retentissante, une personne dans un bar demande à changer de chaîne. Le spectacle était passé. Y ajouter des éléments aggravants ne comportait plus d’intérêt. Quand on a du pain, il convient de régulièrement changer de jeux. Bref, on a les médias que l’on mérite.

 

Disponible sur Disney+

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