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Barry (saison 4)

Une nouvelle vie ? Vraiment ?

 

Regarder « Barry », c’est se confronter à une œuvre inclassable où humour et violence se côtoient avec une maestria exquise. On nous y raconte la volonté farouche d’un homme de s’extirper de sa condition de tueur à gage pour entrer dans le monde de l’art (le théâtre plus précisément) par l’intermédiaire de Gene Cousineau, un professeur tyrannique et prétentieux mais d’une certaine manière, assez brillant. Il pousse en tout cas l’apprenti acteur à chercher au fond de lui des émotions dont il se pense dépourvu. Cette ouverture sur le monde, Barry s’y accroche alors que son passé continue de le poursuivre inlassablement, contrariant ses projets de vie nouvelle. Entre son ancien ami Fuches qui ne le laisse pas en paix et la mafia tchétchène qui le sollicite continuellement, il navigue entre le crime et une vie plus paisible auprès de ses nouveaux amis artistes parmi lesquelles figure la belle Sally. Sally, il l’aime. Et ce sentiment, il veut en exploiter tout le potentiel. Alors il compte bien se donner les moyens de le vivre pleinement. Mais malgré tous ses efforts, le monde de violence qu’il ne cesse de fréquenter contre son gré empiète progressivement sur celui dans lequel il place désormais ses espoirs. Et à force de s’accrocher, il finit par nuire à ceux dont il souhaite le meilleur, se rendant coupable d’actes monstrueux dont il cherche maladroitement à s’amender.

 

 

Que c’était bien !

 

Pas de quoi rire à priori. Mais derrière l’aspect tragique de ce synopsis se cachait un humour noir dévastateur porté par des personnages à la loufoquerie particulièrement communicative. Qu’il s’agisse de Fuches, l’ « ami » de toujours ou de Hono-Hank, le chef du clan tchétchène, la plupart permettait à la série de se distinguer des traditionnelles épopées meurtrières généralement pourvues de règlements de compte sanglants et d’une histoire d’amour contrariée. De plus, Hader usait de malice en empruntant les codes des différents genres auxquels il se référait. Que chacune de ses tentatives d’appropriation soit couronnée de succès relevait déjà d’un savoir-faire hors-norme. Mais là où cet ancien du Saturday night live a su faire preuve de génie, c’est dans la manière qu’il a eu de mélanger allègrement tous ces éléments pour insuffler à « Barry » une tonalité unique. Car une course poursuite ou une scène burlesque qui font mouche, c’est déjà bien. Mais quoi de plus jouissif qu’une course poursuite pimentée de burlesque ? Alléchant sur le papier mais terriblement risqué car aussi bonnes soient ces intentions, l’équilibre à trouver entre les ingrédients utilisés n’est pas chose aisée et il aurait suffi d’un rien pour que le récit pâtisse de ces successifs excès de zèle. Or, il se trouve que l’ensemble était réalisé avec une telle minutie, un tel souci du détail, que jamais l’absurdité justement dosée des situations ne nuisait à la cohérence du récit. La série en profitait même par nous dresser un tableau du monde théâtral et télévisuel aussi plausible que corrosif. Bref, que ce soit d’un point de vue formel et esthétique ou qu’elle se veuille plus réflexive, « Barry » était dotée d’un nombre considérable d’atouts qui la rendait particulièrement addictive.

 

 

Aimera ou aimera pas ?

 

Cela dit, derrière la farce, on ne peut nier que le récit n’a cessé de s’assombrir et, à l’orée de cette ultime saison, la plupart des protagonistes de cette histoire sont confrontés au même dilemme que celui qui taraude le spectateur : faut-il bannir Barry ou lui accorder un pardon dont il ne se sent pas digne ? Posée en ces termes, apporter une réponse définitive à cette question s’avère délicat. En effet, quoi qu’il ait fait, on ressent toujours de la compassion pour cet homme déboussolé qui cherche désespérément l’amour dans les yeux de ses proches mais se trompe dans la manière de l’attiser. Il n’est pas simple de détester quelqu’un que l’on a aimé pour de bonnes raisons. Et c’est cette constante ambiguïté des ressentis qui va influer sur le parcours de ceux qui ont croisé son chemin. De fait, jusqu’au bout, on ne parvient pas à anticiper leurs choix et au travers de cette incertitude, le plaisir que l’on a à suivre leurs multiples péripéties se trouve indéniablement décuplé.

 

 

Un épisode parmi tant d’autres

 

Finalement, s’il y en a un qui sait exactement où il va, c’est Bill Hader. Lui continue son travail d’orfèvrerie sans se préoccuper outre mesure des considérations existentielles de ses personnages. Le temps d’un épisode dont il prend seul la direction, il enchaîne les séquences magistrales. Le discours hilarant auquel se livre Fuches devant un auditoire carcéral circonspect ou la retranscription théâtrale des événements passés par un Cousineau obséquieusement imbu de lui-même nous donnent une idée de la qualité d’écriture de la série et de celle de ses interprètes. Qu’Hono-Hank et Cristobal expliquent à des mafieux patibulaires (mais qui aiment les peluches Pikachu) la teneur de leur nouveau projet en un ballet étourdissant et on s’ébahit de la virtuosité de sa réalisation. Et quand Sally veut savoir ce qu’il est advenu de son chien, l’échange poignant qu’elle entretient avec Barry fait la part belle à la sincérité mais aussi à l’ambivalence des émotions qui les traversent sans pour autant verser dans la surenchère larmoyante. L’onirisme frappe même à la porte lorsque des mariés et leurs convives courent vers nous dans l’immensité plane du désert pour pénétrer dans une salle des fêtes où nos deux amoureux vieillissants dansent tendrement. Ici on pense à du Kusturica, là à du Tarantino… Mais cela reste clairement du Bill Hader.

 

 

8 ans plus tard...

 

Mais alors qu’on se satisfaisait grandement de la direction prise par cette histoire, une nette cassure temporelle intervient en plein milieu de saison, rebattant des cartes avec lesquelles on avait plaisir à jouer. Mais une nouvelle fois, on peut faire confiance à Hader pour nous envoyer dans une direction palpitante et bien pensée. Quoi qu’il en soit, nous voilà désormais plongés dans un environnement aride où seul le vent semble avoir élu domicile. Rien alentour si ce n’est les vestiges d’une vie passée qui continue de hanter les résidents d’une modeste demeure perdue au milieu d’une terre brûlée par les éléments. Dès lors, à l’instar du lieu qu’ils occupent, l’ambiance se fait plus âpre ; même l’humour décalé s’est définitivement perdu dans cette immensité désertique. Les images, elles, restent magnifiques… Hader aime les grands espaces et se plaît à les filmer. Quant à Sally, Barry, Hono Hank, Fuches, Cousineau… eux-aussi, ont bien changé, tous ayant tracé leur chemin en fonction de ce que la vie leur proposait et de l’état psychologique dans lequel on les avait laissés. Pour le spectateur, c’est un peu déconcertant mais à bien y réfléchir, on a vite fait d’acquiescer au destin que leur créateur a élaboré pour eux. Surtout que tout doucement, les circonstances vont les réunir afin de clore définitivement le chapitre de leurs relations passées. Ce qu’Hader va s’employer à faire avec le brio dont il a toujours fait preuve.

 

 

Un regard toujours acerbe

 

Si narrativement, la série est une franche réussite, une saison de "Barry" sans réflexion sur le monde du spectacle ne serait pas vraiment une saison de "Barry". Avant de s’exécuter, Hader avait déjà pris soin d’égratigner la religion en précisant que celle-ci légitimait le meurtre dans de multiples circonstances. Un avis radical qui pourrait faire grincer des dents s’il n’était magistralement inclus dans le récit et qu’il s’inscrivait dans le processus d’action d’un des personnages. Puis vient enfin la charge tant attendue. Et cette fois-ci, elle est adressée contre les « true crime », coupables selon lui d’établir sans scrupules de fausses vérités en plus de ne pas respecter les victimes (ou les coupables) quand celles-ci tiennent à ce que leur vie ne soit pas exposée publiquement. Cet élément de réflexion constitue même le cœur du dénouement de « Barry ». Mais une nouvelle fois, en intégrant cette accusation peu dissimulée au sein même de son intrigue, Hader la rend vivante et stimulante, quel que soit l’avis que l’on porte sur le sujet.

 

 

Que c’est bien !

 

Au final, il ne serait pas exagéré de dire que « Barry » est une série parfaite tant le nombre d’adjectifs qui lui sont associés sont légions : originale, drôle, violente, innovante, intelligente… sans oublier que sa réalisation et son écriture sont particulièrement ciselées et qu’elle se permet de s’exprimer sur le milieu qu’elle met en scène. De fait, elle est de celle que l’on pourrait prendre plaisir à visionner une seconde fois tant elle fourmille de détails scénaristiques et visuels incongrus. Histoire de rire et de frémir encore en compagnie de Barry et de ses drôles d’acolytes. Bravo M. Hader !

 

Disponible sur Prime Video

 

 

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