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The good mothers

Une vie non choisie

 

Comme l’a chanté Maxime Le Forestier, on ne choisit pas sa famille. Mais il aurait pu ajouter que dans certaines, il est préférable de naître, ou simplement d'être, garçon. De fait, Lea Garofalo a vite compris qu’en restant vivre auprès d’un important chef mafieux de Calabre, ni elle, ni sa fille Denise ne pourraient sentir souffler dans leur cou le doux parfum de la liberté. Alors, plutôt que d’endurer les sévices auxquels les femmes de ce milieu sont quotidiennement confrontées, Lea a choisi de devenir témoin sous protection. Son rôle ? Livrer à la justice toutes les informations susceptibles de favoriser la capture de son ancien conjoint Carlo Cosco et de sa bande. Mais le prix à payer pour ainsi oser défier la ‘Ndrangheta, la mafia locale, est loin d’être léger. Il leur est ainsi impossible de couler des jours heureux dans un endroit fixe sous peine d’être repérées,voire agressées, par ceux qui ont fait de la « loyauté » une principe inaliénable. Pour cette raison, elles se doivent de se plier à une étouffante mais indispensable surveillance policière. Alors, malgré l’amour et le soutien indéfectibles de sa mère à son égard, Denise souffre de cette vie sans attaches. Pourtant, le temps aidant et à ce stade de son histoire, Lea ne constitue plus une menace pour quiconque. Le moment peut-être de s’en retourner auprès de Carlo qui, tout à la joie de retrouver une fille dont il a été longuement séparé, pourrait faire fi de ses vieilles rancœurs. Mais après que celui-ci les a reçues chaleureusement, Lea disparaît et Denise n’a d’autres choix que de venir vivre avec lui sur ses terres calabraises.

 

 

Une histoire de femmes...

 

Outre l’histoire de Denise et de sa vie de recluse dans un environnement qui lui étranger, « The good mothers » concentre également son récit sur Guiseppina et Concetta, deux femmes d’une trentaine d’années, elles-aussi filles de chefs mafieux. Et si ces jeunes mères et épouses d’hommes sous les barreaux aiment se raconter leur vie, c’est qu’elles ont en commun de partager un statut similaire au sein de leur famille respective. Un statut qui consiste à élever leurs enfants et à soutenir le clan contre vents et marées, qu’elles soient ou non privées des droits fondamentaux dévolus à tout être humain. Arrivées à un tel degré d’invisibilité, leur existence ne devrait donc susciter l’intérêt de personne. Pourtant, la jeune procureure de Calabre Anna Colace a bien compris que les femmes constituaient justement le tendon d’Achille de la ‘Ndrangheta. Qu’elles se portent témoins comme le fut Lea Garofalo en son temps, et c’est toute une organisation qui se voit menacée par leurs éventuelles révélations.

 

 

à la juste tonalité

 

Dans beaucoup de séries actuelles, il n’est pas rare que soit évoqué le sort réservé aux femmes dans la société. Mais aussi noble soit cette initiative, l’aspect opportuniste, voire mercantile, de son exploitation fait parfois grincer les dents. Par ailleurs, il arrive que cette thématique fasse ombrage à la narration en elle-même, capable de s’éclipser pour laisser transparaître des messages dénués de toute nuance. Bref, c’est parfois maladroit et trop visible pour être totalement honnête. Il restait donc à savoir comment cette histoire de mafia, perçue essentiellement au travers de regards féminins, allait être mise en scène pour commencer à se faire un avis sur cette série. Et de ce point de vue, « The good mothers », une série italienne comme son nom ne l’indique pas, parvient à ne jamais s’éloigner du récit qu’elle nous relate sans en tirer la moindre conclusion. Elle se contente de nous narrer des faits inspirés d’une histoire vraie. Des faits terrifiants qui se passent de tout commentaires superflus.

 

 

Une violence quotidienne

 

Contrairement à ce qu’il nous est souvent donné à voir de la mafia, il n’est pas question ici d’exécutions sommaires, ou d’extorsions brutales de biens. D’ailleurs, aucun coup de feu ne se fait entendre lors de ces 6 longs épisodes d’une heure ! Non pas que les armes à feu ne fassent plus partie du quotidien du grand banditisme mais au sein de la famille, elles n’ont simplement pas leur place. Dans ce cadre, les problèmes se règlent différemment. De même, à l’exception d’un seul, les mafieux portés à l’écran ne correspondent guère à l’image stéréotypée que le monde du cinéma a longtemps colportée à leur sujet. On a là un père de famille qui passerait inaperçu dans une foule d’anonymes, ici un grand-père ventripotent au visage buriné par l’alcool et le tabac... Cependant, ce manque de prestance n’enlève rien à la violence dont ils sont capables de faire usage. Une violence moins cinégénique que terriblement réaliste. Qu’elle soit d’ordre physique ou psychologique, ce qui frappe surtout est l’archaïsme de sa fonction. Elle se résume en effet à soumettre encore et toujours la femme à l’autorité des hommes qui l’entourent : le mari, le frère… Et bien sûr le patriarche, ce tyrannique garant des valeurs quasi féodales qui régissent les liens inter et intrafamiliaux de la société mafieuse. Quoi qu’il en soit, les femmes sont les premières à payer le tribut de cet héritage éducatif et culturel : les mariages forcés restent monnaie courante et les coups pleuvent pour peu qu’une effrontée ose sortir du chemin qui a été balisé pour elle. Dans ce contexte, on pourrait penser que l’alternative la plus évidente serait de prendre la fuite et de dénoncer ces maltraitances aux autorités. Mais là où le récit devient particulièrement passionnant, c’est lorsque qu’il retranscrit subtilement la difficulté qu’ont les victimes à s’extirper des griffes de leurs oppresseurs.

 

 

Il n’est jamais simple de fuir

 

La force de cette série émouvante tient essentiellement à sa capacité de retranscrire les émotions qui traversent l’ensemble des protagonistes qu’elle met en scène et en premier lieu, les femmes. A travers elles, on ressent la volonté pugnace de ne pas s’incliner devant les désirs de ceux qui, dans un narcissisme incommensurable, se convainquent que leur contentement suffit au bonheur de leurs proches. Mais pour la plupart, on perçoit les doutes et les tiraillements auxquels les exposent leur situation. Car quitter sa famille revient non seulement à abandonner ses enfants mais aussi à laisser derrière soi les quelques marques d’affection qu’il leur a été possible de recueillir au cours de leur existence. Par là-même, la série parvient à nous transmettre le sentiment de solitude dévorant qui pousse certaines de ces « traîtresses »à rebrousser chemin au péril de leur santé. Par ailleurs, elles doivent également résister aux tentatives de manipulation auxquelles se livrent les femmes du clan qui, à force de discours éplorés et culpabilisateurs, usent de tous les moyens à leur disposition pour ramener auprès d’elles les brebis égarées. Des discours à forte résonance chez des êtres désemparés et dont on constate, impuissants, les effets destructeurs. Et si les actrices qui les incarnent sont particulièrement brillantes, les hommes, eux-aussi, savent se montrer nuancés : certes, la sourde colère qui les anime prédomine. Mais elle aussi teintée d’incompréhension devant les affronts dont ils se sentent sincèrement victimes. Et puis il y a ceux qui perçoivent trop tard qu’ils ont œuvré bon gré mal gré sans mesurer les conséquences de leurs actes. Pris un engrenage dont ils ne peuvent sortir, ils sont les premiers témoins de la disgrâce dans laquelle leurs actes les a condamnés. Et à cela, les regrets n’y peuvent rien changer.

 

 

Une lenteur efficace

 

Si ces émotions font si efficacement écho en nous c’est que la série sait fixer son attention sur les visages des êtres qui en sont dépositaires. Certains la trouveront lente et ennuyeuse. Il est clair qu’on est une nouvelle fois loin des standards proposés par les œuvres qui situent leur récit au cœur de la mafia. Ici, on prend le temps de trembler quand l’une de ces femmes croise le regard désapprobateur de son géniteur. On enrage de les voir si malheureuses alors que la plupart cherchent juste à vivre décemment. On prend conscience du temps qu’il faut pour craquer devant tant d'humiliations et on trouve insupportable l’utilisation des enfants comme arme contre leur propre mère. Le temps n’est jamais trop long pour s’imprégner des pensées qui peuvent alors les traverser et dont quelques unes seulement franchissent le seuil de la parole. On en voudrait presque à la série de parfois tomber dans le piège d’une mise en scène un peu facile et d’une bande-son un rien ronflante. Mais heureusement, le récit nous renvoie inéluctablement à la lancinante et inquiétante mélopée qui conclut chacun de ces épisodes. Que ferions-nous si nous devions ainsi nous retrouver dans la gueule du loup ? Difficile de répondre mais il ne nous est pas possible de juger ces femmes qui n’ont pas demandé à vivre cela. Alors, on ne peut faire autre chose que d’être avec elles, de serrer les dents comme elles le font et espérer que tout finisse par s’arranger.

 

Disponible sur Disney+

 

 

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