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Des gens bien (saison 1)

Un meurtre en guise d’introduction

 

Une femme gît inanimée sur le siège passager d’une voiture tandis que des soubresauts la secouent de manière régulière. La nuit, personne ou presque ne s’aventure sur cette route dangereuse de la frontière belge. Située dans les bois sombres des Ardennes, non éclairée et dépourvue de rambardes de sécurité, elle avait déjà causé la mort de la femme de Roger, le commissaire de la gendarmerie française la plus plus proche. Mais quand il s’avère que ce tohu-bohu émane de la volonté acharnée d’un homme à pousser le véhicule dans le ravin, il fait peu de doute qu’il ne s’agit pas là d’un banal accident. Une fois sa mission accomplie, ce dernier se frappe alors délibérément le visage pour simuler des blessures puis met le feu au véhicule, réduisant en cendre le corps qu’il contenait. Après qu’il a appelé les secours, les gendarmes, Roger à leur tête, ne peuvent que constater les dégâts et compatir à la douleur pourtant modérément expansive du coupable. Mais comment douter de la bonne foi d’un collègue irréprochable tel que Tom ? Il n’est simplement pas pensable qu’il ait volontairement tué Linda, sa propre femme ! A vrai dire, dans le milieu, cela ne traverse l’esprit de personne ! Seul Philippe trouve étrange le déroulé des événements tels que son homologue belge les expose et commence à douter de leur véracité. De son côté, Stéphane porte peu de crédit aux hypothèses un brin délirantes de son ami qui, de surcroît, lui annonce qu’il a entretenu une liaison avec cette fameuse Linda… Pour autant, malgré les recommandations de Roger, Philippe décide de pousser plus loin ses investigations…

 

 

Un « Fargo » franco-belge ?

 

Tout commence donc comme une histoire policière dont on connaît le coupable. Les images le prouvent : les faits sont graves malgré le profil atypique des personnages mis en scène. Sur ce point, on perçoit rapidement que la série mise sur le contraste entre le sordide de certaines situations et l’apparente incongruité des êtres qui en sont les auteurs pour s’attirer les faveurs des spectateurs.Ainsi, avec sa petite moustache un brin rétro et son allure proprette, Tom paraît tout droit sorti de la série « Fargo » de laquelle « Des gens bien » semble s’inspirer, tant son profil correspond à celui d’un type capable de tuer maladroitement sa femme pour peu qu’elle lui tape sur les nerfs. Un quidam qui n’a tellement pas l’étoffe d’un meurtrier qu’il passerait inaperçu auprès de fonctionnaires plus habitués à se poster dans les fourrés du bord des routes qu’à se frotter à des affaires de meurtres. Quant aux décors, si les grandes étendues enneigées du nord des États-Unis cèdent la place aux champs de blé des Ardennes, il se dégage de ces vastes productions agricoles le parfum d’une ruralité âpre et déserte que ne renierait passa grande sœur américaine. Dans ce contexte, il ne manquait plus qu’un agent soupçonne ce comploteur du dimanche pour que les enjeux du récit se dessinent nettement. Avec une telle référence dans un coin de notre tête, l’espoir était grand de voir se dérouler devant nous une histoire au ton original qui s’autorise, dès la fin du premier épisode, un twist surprenant et prometteur. On était donc en territoire connu mais plaisant jusqu’à ce que les auteurs fassent le choix de nous replonger quelques mois en arrière, au temps où Linda et Tom formaient un couple uni et amoureux. De fait, « des gens bien » se sort des ornières qui semblaient tracées pour elle et s’autorise à changer brutalement de direction. Une direction qui va petit-à-petit s’apparenter à un chemin de croix.

 

 

Un ton décalé qui fonctionne jusqu’à ce que…

 

A partir de ce moment, on fait la connaissance de nouveaux personnages aux profils variés, à commencer par la gentille et vivante Linda dont l’incapacité à tenir l’alcool s’avère problématique au moment de faire bonne figure lors du baptême de sa belle-sœur. On ne se ridiculise pas ainsi devant les paroissiens de l’église évangélique du village dont la représentation peu originale se résume à être composée d’individus forcément aveuglés par leur foi, forcément coincés, forcément généreux... Par ailleurs, le chiffre d’affaires de son solarium est au plus bas et son cousin tout juste sorti de prison insiste lourdement pour qu’elle lui retrouve du travail. Bref, pour Tom et Linda, tout ne fonctionne pas comme sur des roulettes. De cette situation délicate découlent des événements aboutissant au drame initial. Les personnages, gentiment déjantés, apportent cette petite dose de folie à un récit qui base son efficacité sur l’aspect ludique de ses péripéties. Durant un temps, tout cela fonctionne plutôt bien. On n’y croit pas mais ce n’est plus le but. On apprécie le ton et l’ambiance gentiment décalés de l’ensemble... jusqu’à ce que de nouveaux rebondissements viennent s’ajouter à d’autres plus anciens qui venaient auparavant de s’ajouter… Bref, à force de verser dans la surenchère, la série finit par faire le saut de trop. De loufoque, elle passe le stade rédhibitoire du gentiment balourd. Il suffit parfois d’une bouchée pour que des pâtisseries dont on avait jusque là apprécié le goût nous paraissent soudainement écœurantes.

 

 

Les acteurs n’y peuvent rien

 

C’est dommage car entre la gouaille souvent malvenue de Linda, la mine mi-renfrognée, mi-pouponne de Stéphane et les coups de sang de Serge, le cousin psychopathe à tendance paranoïaque, la série nous proposait donc une galerie de personnages vivifiants et bigarrés. Avec ce dernier, « Des gens bien »tenait d’ailleurs là un beauf en or bien mis en valeur par la performance détonante de Peter Van Der Begin à l’accent tranchant comme un rasoir. De même, le plaisir était réel de retrouver Dominique Pinon, toujours épatant de naturel, en chef de brigade pragmatique et bienveillant ! Mais malgré leur bonne volonté évidente, tous finissent par couler avec le navire qui les a recueillis. Abasourdi par les multiples rebondissements d’un récit qui n’en finit pas de vouloir surprendre, Tom semble tellement hébété par la tournure des événements que Lucas Meister qui l’interprète ne sait plus quels expressions de visage lui attribuer. Ainsi affublé d’un air hagard dont il ne se départit jamais, il en devient particulièrement irritant. On aurait pu espérer que les dialogues contrebalancent cette défaillance. Mais au contraire, au fur et à mesure que la tension s’accroît, Linda et Tom ne parviennent plus à s’adresser la parole sans qu’un « putain » ne ponctue leurs échanges braillards… L’apparition tout en finesse de François Damiens ainsi que quelques incrustations horrifiques bienvenues essaient d’agrémenter le récit d’une fantaisie constructive. En vain… On sent que les auteurs se sont faits plaisir et n’ont pas délaissé la cohérence de leur récit. Mais à vouloir trop en faire, ils ont noyé leur histoire sous une frénésie narrative qu’ils n’ont pas voulu endiguer, assumant clairement d’exploiter des ficelles de plus en plus énormes. Certains trouveront ce parti-pris amusant (certaines scènes prêtent à rire, c’est vrai), d’autres, franchement lassant.

 

 

Une envie d’ailleurs

 

Finalement, plus que « Fargo » avec qui elle est souvent comparée, « Des gens bien » fait surtout penser à une autre production francophone qui, bien que leur histoire n’ait rien en commun, a elle aussi usé de personnages hauts en couleur au milieu de paysages campagnards « exotiques » pour s’exercer à des élucubrations scénaristiques de haut vol : « OVNI(s) ». L’occasion pour ceux qui ne la connaissent pas de découvrir une œuvre hilarante et espiègle, dotée d’une poésie et d’une qualité d’écriture autrement plus développée que celle qui nous est donnée de suivre ici. Une œuvre dont le seul défaut est finalement de ne pas avoir trouvé son public et de s’être ainsi vue privée d’une fin à la hauteur de sa folie créatrice.

 

Disponible sur Arte

 

 

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