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Le tour du monde en 80 jours

Série visionnée avec des enfants de 9 à 12 ans.

 

 

 

Dans le célèbre roman de Jules Verne, Phileas Fogg se lance dans un pari assez insensé pour l’époque (fin du 19ème siècle) : réaliser avec son valet Passepartout et le détective Fix un tour du monde en 80 jours. Et si Fogg y apparaît sûr de lui et maniaque, c’est qu’il doit confronter la rigidité de ses valeurs et de son éducation aux aléas d’un voyage semé d’embûches au sein de populations dont il ignore les coutumes. Mais dans cette version télévisée, c’est une mystérieuse carte postale le traitant de « lâche » qui le pousse à relever ce défi auprès de Bellamy, un « ami » d’enfance qui se moque allègrement de lui. Phileas nous est présenté avant tout comme un aristocrate sans envergure dont le seul exploit est de n’avoir jamais quitté le fauteuil du Reform-Club. Et les circonstances vont en effet l’amener à effectuer ce périple avec un dénommé Passepartout qui, dans la série, a la particularité d’être français et noir. De même, le détective Fix présent dans le roman laisse ici sa place à Miss Fix*, fille du rédacteur en chef du prestigieux journal « The Daily Telegraph» et vieil ami de Fogg. Et si ces acolytes de fortune ne se posent aucunement la question de savoir si Fogg a les épaules suffisamment larges pour réussir ce challenge, c’est que chacun d’eux a des raisons toutes personnelles pour tenter l’aventure. Ainsi, malgré leurs différences, ils auront à surmonter ensemble les nombreuses épreuves qui se dresseront sur leur chemin.

 

 

Mais pourquoi de tels changements ? L’œuvre originelle, pourtant mondialement connue et à la qualité jamais démentie, nécessitait-elle de tels remaniements ? Pas forcément ! Mais ce ne serait pas faire offense à M. Verne que de souligner que le contexte social entourant la création du roman n’est en rien comparable à celui dans lequel nous vivons. La trame principale de l’histoire a donc été conservée, mais a intégré dans sa narration des problématiques contemporaines plus à même d’intéresser le téléspectateur. En bref, il s’agit d’une « adaptation » et non d’une trahison. Alors, en mettant en scène une femme et un valet de chambre noir, le récit s’ouvre volontairement aux notions de racisme, d’égalité des sexes et de classes sociales. En résumé, si vous espériez retrouver l’esprit « véritable » du récit de Jules Verne, passez simplement votre chemin.

 

 

Dans le même ordre d’idée, si Philéas Fogg nous est au départ présenté comme un être doté d’une hardiesse toute mesurée, c’est qu’il faut voir ce « tour du monde » comme une sorte de quête initiatique. En effet, les protagonistes de cette histoire, tous préalablement fragilisés par leur environnement, se sentent prisonniers de leur condition, et ce, quel que soit leur statut social. Il leur faudra s’extraire de leur milieu en sautant dans l’inconnu et se confronter à l’altérité pour que le rapport qu’ils entretiennent au monde s’en trouve chamboulé. Au travers de leurs aventures, tout un tas de questions se bousculeront dans leur crâne en invitant par là-même le spectateur à la réflexion. Qu’est-ce que le courage véritable, l’honneur, la loyauté, l’amitié ? La place qu’est la nôtre dans la société en temps que femme, Noir, valet de chambre ou même aristocrate anglais endimanché est-elle vouée à l’immuabilité ? Dans cette situation, le voyage n’est pas forcément synonyme de fuite, mais peut au contraire amener à la découverte de soi et de ses aspirations profondes. Il les amènera également à surmonter leurs préjugés et à s’affranchir des barrières sociales.

 

 

En évoquant des valeurs dites universelles, le risque de verser dans la démagogie ou d’emplir le récit d’une naïveté caricaturale semblait réel. Mais les péripéties s’enchaînent harmonieusement sans qu’aucun discours pompeux ne vienne les alourdir. Les messages s’incorporent à merveille dans les différentes intrigues et apportent une âme à ce qui n’aurait pu être qu’un sympathique divertissement familial. De cette manière, même les relations amoureuses, souvent abhorrées par les plus jeunes, prennent sens à leurs yeux alors que les adultes salueront à raison la volonté des auteurs de nous exposer des rapports humains jamais mièvres, toujours pudiques.

 

 

Car oui, « le tour du monde du monde en 80 jours » est tout à fait à la portée d’enfants de 9 ans et plus. Il s’avère même que les valeurs véhiculées dans le récit correspondent assez bien à ce qu’il semble important de leur transmettre. Par ailleurs, ils auront la possibilité de « vivre » pleinement un voyage dont les étapes sont efficacement découpées en épisodes ayant leur propre trame narrative. Chacun d’eux les embarquera dans des ambiances et des cultures variées propices à l’évasion dans de superbes paysages. Enfin, le 19ème siècle fantasmé de Jules Verne finira sans doute de les transporter sans que la série n’oublie toutefois d’en citer ses travers. Ainsi, en accompagnant les enfants dans cette aventure, les adultes auront la possibilité d’évoquer avec eux l’émergence du Ku-Klux-Klan en Amérique, le combat du peuple parisien lors de la Commune ou encore des méfaits d’une colonisation peu soucieuse de respecter les traditions et le patrimoine des pays dans lesquels elle s’est implantée. Mais d’une manière générale, on peut espérer qu’ils prendront tout simplement plaisir à retrouver leur âme d’enfant par l’intermédiaire d’aventures au charme désuet mais enthousiasmant. Quoi qu’il en soit, petits et grands devraient profiter du jeu d’acteur impeccable de David Tennant dans le rôle de Philéas Fogg. Tour-à-tour malicieux, circonspect, désespéré ou jovial, il insuffle de la fantaisie et de l’humour bienvenus à un tour du monde qui n’en demandait pas tant !

 

 

* Si aucune Miss Fix n’a réellement accompli ce défit de voyage autour du monde, en revanche, une autre femme, Nellie Bly a réalisé ce formidable exploit en 1789 et ce … en 72 jours !

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Guitton G (mercredi, 23 février 2022 20:15)

    La vraie réussite, c'est que les enfants ont apprécié la série. Et tu as raison sur le jeu des acteurs qui est sans reproche. Personnellement j'ai calé dès le début du deuxième épisode quand j'ai réalisé qu'on voulait m'embarquer dans un téléfilm style "service public" avec ses dialogues convenus et son humour de circonstance. Aucune surprise à attendre de ce flux vraiment dormitif.

  • #2

    pierric (samedi, 26 février 2022 14:27)

    En effet, pas surprenant et dans l'air du temps, mais suffisament bien équilibré pour que ce tour du monde ne possède pas défauts à mon sens.