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Hippocrate (saison 1)

La goutte d’eau

 

Un événement imprévu va chambouler le quotidien déjà agité du service de médecine interne d’un hôpital parisien : le chef de service doit rester en quarantaine dans une chambre d’hôtel car il a été en contact avec un virus potentiellement transmissible. Le service est donc pris en charge par Chloé, une interne brillante plutôt expérimentée et d'Hugo, moins capé qu’elle et fils de la chef du service de réanimation que Chloé aurait dû intégrer. De même, Arben d’origine albanaise et détaché de son poste de légiste, vient aussi prêter main forte à ses collègues. Nous prenons nous aussi place au sein de l’équipe par l’intermédiaire d’Alyson Lévêque, toute jeune interne venue faire son premier stage en hôpital.

 

 

Une réalité clinique

 

Ce qui frappe d’abord est l’authenticité des scènes médicales qui sont montrées sans détour avec ce qu’elles contiennent de violence et d’âpreté. Les cas cliniques semblent crédibles dans leur traitement et rejoignent une réalité de terrain : ici pas de cas extraordinaires à la Dr House. Les traits des praticiens sont tirés, la fatigue n’est pas masquée et la tension, palpable. Bref, bienvenue à l’hôpital, le vrai, celui qui n’est pas toujours aimable. Thomas Lilti, l’auteur de cette série et médecin lui-même, nous dépeint les facettes les plus sombres du quotidien hospitalier. Il faut dire qu’on est plongé dans un service au bord de la crise de nerfs suite au coup du sort imposé par le scénario. Car dans cette situation, le déficit de moyens et de personnel, déjà présent en temps normal, tend inévitablement à épuiser des équipes qui passent leur temps à combler les manques. A ce titre, on en arrive à confier des tâches médicales à des personnes qui ne sont pas censés les pratiquer, ce qui renforce le risque d’erreurs. Il faut d’ailleurs espérer que l’amateurisme inquiétant des jeunes internes soit mis à l’écran pour mettre en avant ce dysfonctionnement car si ce n’est pas le cas, cela pose question. Dans le même temps, et en raison du manque de lits, il faut « inviter » certains malades à rentrer chez eux tout en sachant que chaque place libre sera convoitée par le service voisin, lui aussi en souffrance. Heureusement, au milieu de cette réalité compliquée, on assiste à de vrais moments de décompression comme ces repas passés dans un réfectoire au décor surréaliste où parler médecine est interdit. Et bien sûr les fameuses soirées entre internes avec leurs rites étranges.

 

 

Pas le temps !

 

Sur le plan humain, l’auteur nous dépeint un monde où la solidarité est de mise quand il s’agit de défendre ses collègues devant une institution assez prompte à la sanction. On constate aussi que l’implication psychique et chronophage de leur travail est telle qu’elle devient vite une barrière entre eux et leur entourage. Et si les liens amoureux qui se créent dans la série semblent convenus et remplissent les critères standardisés de ce genre d’histoire, ils sont symptomatiques d’une difficulté à nouer des relations en dehors du monde du travail, les collègues étant les seuls avec qui ils peuvent partager leurs expériences professionnelles parfois douloureuses.

 

 

Un minimum de manichéisme

 

La relation avec les patients est aussi traitée et de manière moins caricaturale que dans la plupart des séries hospitalières qui ont une vision souvent angélique de la profession médicale. Car dans l’imaginaire des gens, le médecin reste celui qui défie la maladie et détient la clé de la guérison. Il porte la souffrance de ses malades et la soulage. Mais la vérité est que celui-ci est souvent quelqu’un qu’on aperçoit quelques minutes, qui pose son diagnostic et s’en va. Non pas qu’il ne se soucie pas des personnes qu’il a en charge, mais pour obtenir du soutien moral, les infirmières et les aides-soignantes restent souvent les plus sollicitées. Dans la série, ces professions, au statut moins prestigieux, restent encore trop dans l’ombre. Malgré la volonté de l’auteur d’échapper au manichéisme, on assiste quand même à quelques excès empathiques sans doute présents pour fournir de l’émotion. Mais a-t-on jamais vu un interne, aussi dévoué soit-il, fouiller des poubelles toute une après-midi pour venir en aide à des patients ? Dans ce cas, cela entame forcément la crédibilité de certaines scènes. La série montre aussi deux médecins remplaçants forts intéressants. Si le premier nous rappelle à quel point ce métier demande de l’humilité, le second, joué par un Jackie Berroyer excellent, est un « simple » généraliste de ville. La manière d’être de ce praticien semble complètement désuète et inappropriée pour affronter la frénésie d’un tel service. Mais à sa manière, il prend sa place. Il semble alors être un peu l’image paternelle et bienveillante d'une profession qui se déshumanise parfois par manque de moyens et de temps.

 

 

De la difficulté de gérer de lier véracité et fiction

 

Tout cela est très intéressant mais pour que cet aspect documentaire soit recevable par le spectateur, il devait être porté par une histoire avec des personnages bien campés. Et à ce niveau, malgré la qualité du jeu des acteurs, tous convaincants, on peut dire que la narration est très conventionnelle. Histoires amoureuses attendues, remises en questions, doutes, petites victoires et drames internes, le tout sur un ton grave de circonstances… On a tout le panel. Et à mesure que la trame narrative avance, la crédibilité des situations s’amoindrit. Vers la fin, les protagonistes, enlisés dans leurs problématiques personnelles, sont en roue libre et plus personne ne gère le service. De la difficulté de concilier réalisme et narration. Mais mener une autopsie complète du milieu hospitalier en racontant une histoire plausible et accrocheuse sans tomber dans les clichés hollywoodiens du genre était une mission très complexe et finalement, Lilti s’en est plutôt bien sorti !

 

Disponible sur Canal +

 

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