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La chute de la maison Usher

De quoi ça parle ?

 

A l’origine, « La chute de la maison Usher » est une nouvelle littéraire d’Edgar Allan Poe. Dans celle-ci, Roderick Usher et sa sœur jumelle Madeline souffrent d’un mal étrange, proche de l’hypocondrie, qui les fait atrocement souffrir. Tous deux vivent reclus dans un sinistre manoir où se rend, à la demande de Roderick, le narrateur de l’histoire. Ce dernier fait alors part au lecteur des tragiques et angoissants événements auxquels il se trouve confronté. Si Mike Flanagan, l’auteur de la série, conserve l’identité de ses principaux protagonistes, il s’écarte largement du sujet originel pour concevoir une de ces fables modernes à tendance horrifique dont il a le secret. Ici, Roderick et Madeline, loin d’être atteints de démence, sont à la tête de Fortunato, un empire pharmaceutique qui a fait sienne la vente d’opioïdes dans le monde. Dorénavant en possession d’une fortune colossale,ils se voient assignés en justice par Auguste Dupin qui les accuse d’avoir fait fructifier leur commerce létal alors même qu’ils connaissaient les risques élevés de dépendance à leur anti-douleur. Pourtant, aidé en cela par Arthur Pym, leur redouté avocat, le clan Usher n’avait jamais eu à payer de ses crimes. Mais contre toute attente, Dupin laisse entendre qu’un témoin issu de la famille témoignerait en son sens. Les enfants de Roderick, nés de différentes unions, ont à peine le temps de se suspecter les uns les autres qu’ils décèdent tous dans des circonstances absolument terrifiantes.Accablé par tant de malheurs et voyant sa santé décliner, Roderick convie Dupin à s’entretenir avec lui dans la demeure où sa mère avait jadis connu une fin tragique. Devant la promesse faite par le patriarche de se confesser de ses crimes, Dupin accepte cette invitation afin d’y entendre la terrifiante et ténébreuse histoire de la famille Usher. Avec une question : que s’est-il donc passé cette fameuse nuit du nouvel an 1980 ?

 

 

C’était mieux avant

 

Les conséquences dramatiques induites par la libre commercialisation des opioïdes sur le marché pharmaceutique ? « Painkiller », déjà sur Netflix, et surtout la glaçante « Dopesick » ont fait de ces candale le cœur de leur propos. Un puissant chef d’entreprise ayant engendré des rejetons dénués de tout état d’âme ? Comment occulter de son esprit la vénérée« Succession » à laquelle « La chute de la maison Usher » semble même emprunter certaines de ses envolées musicales ? Du point de vue du timing, remettre ces sujets sur le tapis sent tout de même le réchauffé, surtout que celle-ci n’use pas de la même finesse d’écriture que ses consœurs pour les illustrer. Les enfants Logan étaient souvent odieux mais il y avait quelque chose d’humain en eux qui nous empêchait de les détester complètement. Ici, ils sont tellement exécrables qu’on est plus que satisfait de les voir disparaître. Ce manque de nuances dans la description des personnages sonne comme une volonté didactique, pour ne pas dire outrancière, de nous faire abhorrer le milieu qui nous est dépeint. Par ailleurs, on peut arguer que Flanagan ne cherche pas à entrer dans les détails du scandale des opioïdes comme cherchait à le faire « Dopesick ». Toutefois, cette problématique n’en demeure pas moins centrale, en témoigne l’ultime conversation entretenue par Roderick et Madeline au moment de clore le récit. Et si celle-ci est loin d’être inintéressante, la manie qu’a son auteur d’user de la dissertation pour exposer ses idées plutôt que de les incorporer à la narration constitue une signature stylistique certes unique, mais parfois empesée.

 

 

Un hommage sincère

 

Évidemment, là où « La chute de la maison Usher » se démarque de ses prédécesseures, c’est sur la volonté d’incorporer ces sujets au genre fantastique qui caractérise autant l’œuvre de Flanagan que celle du célèbre écrivain auquel le réalisateur tient à rendre hommage. Et sur ce plan, il faut reconnaître que ce dernier use d’un savoir-faire indéniable, à commencer par la manière dont il se réfère constamment aux classiques du dramaturge américain. Il semble ainsi avoir pris un malin plaisir à créer un jeu de piste qui ravira instantanément les inconditionnels de Poe tant les détails empruntant à ses différentes nouvelles sont nombreux. Pour les autres qui en prendront connaissance au détour d’une conversation ou au gré de leurs lectures, ils pourront à rebours constater à quel point elles s’intègrent harmonieusement dans le récit, allant même jusqu’à servir d’ossature narrative dans le sort attribué par Flanagan aux enfants Usher. Ce dernier pousse même le vice jusqu’à mettre en mots les pensées de certains protagonistes par le biais de vers écrits par Poe lui-même. Toutefois, la sobriété de leur élocution ne parvient pas totalement à débarrasser ces instants poétiques, au demeurant assez pertinents, de leur caractère légèrement prétentieux et ampoulé. Cette réserve mise à part, le talent avec lequel Flanagan puise dans l’ensemble du répertoire de Poe sans se limiter à la simple nouvelle de « La chute de la maison Usher » est tout de même remarquable.

 

 

Le mieux est l’ennemi du bien

 

Du talent, Flanagan en a aussi lorsqu’il s’agit de manier la caméra. Sur ce plan, on pourrait même dire qu’il fait partie de la catégorie des virtuoses. Avec comme point d’ancrage une photographie qui se joue de la lumière pour tutoyer le baroque, chaque plan brille par la qualité de sa mise en scène. Ici, point de hasard tant le soin apporté aux détails et à l’ensemble du montage semble primordial. Il émane de cette réalisation impeccable une beauté vénéneuse qui voit la modernité de notre monde se teinter d’un symbolisme romantique volontairement appuyé. Paradoxalement, on en vient à penser que c’est parfois un peu trop. Il manque par exemple à l’image ce petit grain d’imperfection qui confère à une œuvre le supplément d’âme lui permettant de pleinement émouvoir le spectateur. De là à penser que ce léger manque d’aspérités dans la production se rapproche de la ligne éditoriale de Netflix, il n’y a qu’un pas.

 

 

Une narration simple mais captivante

 

De son côté, la narration adopte un schéma simple mais à l’efficacité éprouvée. Chaque épisode se plaît en effet à identifier les événements qui aboutissent in fine au décès d’un des membres de la fratrie Usher. Une fratrie qui, soit dit en passant, exerce son pouvoir de nuisance sur à peu près tous les pans de la société américaine : bien-être, médecine, divertissement, médias... Quoi qu’il en soit, il est plaisant de voir progressivement se dessiner les sentences qui leur ont été attribuées. Par ailleurs, l’intérêt porté à l’intrigue tient aussi au fait que, jusqu’au bout, on ne connaît pas la teneur de la malédiction qui pèse sur cette famille même si on se doute qu’elle est liée à la femme intrigante présente sur les lieux des différents drames. Toutes ces interrogations ainsi que la retranscription de l’avènement de Roderick et de sa sœur à la tête de Fortunato maintiennent efficacement le spectateur en haleine. S’il est un regret cependant, c’est de ne pas ressentir la dose de frissons tant espérée, la faute à une mise en scène qui s’appuie trop souvent sur les apparitions subites de figures horrifiques pour nous effrayer. Un effet systématiquement agrémenté d’un bref mais puissant accord musical qui finit par perdre de son impact au fur et à mesure qu’on y est confronté.

 

 

Bilan

 

Au final, « la chute de la maison Usher » porte indéniablement le sceau de son auteur. Pour les bons points, on évoquera évidemment une réalisation époustouflante accompagnée d'une photographie magnifiques qui procurent à la série une esthétique à laquelle il est difficile de ne pas succomber. Mais à force de viser la perfection, elle en oublie parfois de se montrer sensible et touchante. Trop soignée, trop didactique… D’aucuns diront que ces excès assumés font partie de son charme. Ils n’en demeurent pas moins gênants pour une œuvre dont le plus grand tort est peut-être tout simplement de se prendre trop au sérieux.

 

Disponible sur Netflix

 

 

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