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No man's land (saison 1)

Les forces en présence

 

2014. Daech autrement appelé État Islamiste est à son apogée et proclame le califat. Son essor s’est étendu dans de nombreuses villes d’Irak et de Syrie. Ce faisant, il a imposé la charia de manière totalitaire semant la terreur parmi la population. Il faut dire qu’à cette époque, la Syrie est elle-même très déstabilisée par une guerre civile née des révolutions arabes. Différentes factions tentent ainsi de renverser le pouvoir en place dans un pays que le dictateur Bacher El-Assad dirige d’une main de fer. Profitant du chaos, l’EI s’empare cette année-là de nombreuses villes dont Raqqa, qui deviendra sa capitale syrienne. Mais pour se faire, il trouvera sur son chemin quelques unes des organisations en guerre contre le régime en place, dont le mouvement d’origine kurde, « les unités de protection du peuple », plus connu sous le nom de YPG. Une des branches de cette organisation se nomme le YPJ et est uniquement composé de femmes. Vraies combattantes, elles sont en soi une arme redoutable dans un conflit armé contre l’EI car pour un soldat du Jihad, mourir de la main d’une femme le priverait du paradis.

 

 

Histoire d'un doute

 

Difficile de comprendre ce préambule quand on voit qu’au début de la série, Antoine vit tranquillement en couple à Paris et travaille dans la société de bâtiments de son père. Pourtant, quelques années auparavant, cette famille a connu un vrai drame. En effet, Anna, la sœur d’Antoine a été victime d’un attentat à la voiture piégée au Caire. Et si les parents d’Antoine ont réussi tant bien que mal à faire leur deuil, ce dernier ne s’est jamais convaincu de la mort de sa sœur, trouvant des éléments troublants dans les différents comptes-rendus de l'enquête qu’il a pu lire. Alors, le jour où au détour d’un journal télévisé, des images provenant de Syrie montrent en arrière-plan une femme se recoiffant comme le faisait sa sœur, les doutes ressurgissent. Ne voulant rester dans l’ignorance, il fait le voyage qui le conduira au bout de l’Enfer.

 

 

On en reste bouche bée

 

Car c’est bien ce qui est nous montré durant les 5 premiers épisodes qui frôlent la perfection. Ce qui frappe en premier lieu est le rythme très soutenu de la narration. Le fait qu’ Antoine se retrouve aussi rapidement au bout du monde paraît finalement logique au vue de son histoire et de son impulsivité. Pour le reste, le but est clairement de nous attraper à la gorge et de ne plus nous lâcher. En effet, on ressent vite que dans ces contrées désertiques, trop arides pour être apaisantes, une balle peut vous couper la jugulaire n’importe quand. Et lorsque la mort n’apparaît pas au détour d’un chemin ou d’un buisson, le bruit lointain des détonations des Kalachnikov nous rappelle qu’elle n’est jamais loin. Parfois, elle ne prend la peine de se manifester par surprise et survient lors de combats où on regarde effarés les hommes (et surtout les femmes) tomber. On assiste ainsi à une hallucinante bataille nocturne dont le dénouement, d’une cruauté folle, nous laisse sans voix. Tout du long, on vit la tension qui règne dans les rangs du YPJ qui voient affluer en nombre toujours croissant les camionnettes aux drapeaux noirs de l’EI. Mais alors, que viennent faire des étrangers tels que Sarya (qui est celle par qui on entrera dans le YPJ) dans cette galère ? Si chacun d’eux a son parcours parfois évoqué, ce que l’on retient surtout, c’est qu’ ils sont là et que cela ne se discute pas. L’heure n’est pas aux épanchements de sentiments. D’ailleurs, même l’histoire d’amour (de rigueur) n’édulcore en rien le tableau et réussit à se fondre dans l’ambiance générale. Mais visiblement, même si on n’en parle moins, les occidentaux qui partent en Syrie ne vont pas tous gonfler les rangs de Daech.

 

 

Des Occidentaux au service de Daech

 

Afin de permettre au spectateur de respirer, le récit, extrêmement bien ficelé, alterne intelligemment les moments in situ avec des éléments du passé permettant de mieux appréhender les liens qui unissent Antoine à sa sœur et ce qui a poussé cette dernière à se rendre en Égypte. Mais on va également suivre le parcours de trois jeunes Britanniques qui ont choisi de rejoindre Daech en Syrie. Issus d’une banlieue pauvre d’une ville comme il y en a tant, on les voit grandir avec l’amour du Coran. Leur radicalisation n’est pas expliquée. Ce n’est pas le but et cela aurait pu être une entreprise scabreuse. Non. On constate juste que pour ces enfants à l’horizon bouché par les tours d’immeubles insalubres qui peuplent leur quotidien, le combat qu’ils s’apprêtent à mener et dont ils ne mesurent pas la réalité, est appréhendé comme une aventure formidable, une entreprise qu’ils vivront entre amis. Une fois sur place, le sentiment d’appartenir à une élite soudée et fraternelle conforte ces jeunes en quête de repères dans l’idée qu’ils agissent pour la bonne cause, ce qui augmente leur dangerosité et leur violence. Par leur intermédiaire, on aura ainsi à subir les exactions de leur mouvement et leur cruauté : pendaisons, décapitations, violences en tout genre. Et, que des jeunes, plutôt sympathiques et jusqu’ici dociles dans leur environnement, cautionnent ces actes sans que cela ne nous étonne, nous amène à penser qu’on ne doit pas être loin de la vérité.

 

 

Place à la famille

 

Malheureusement, par le suite, le soufflet va retomber. La force des premiers épisodes résidaient essentiellement dans la description d’un monde, dans sa percussion et son aspect suffocant. A partir de l’épisode 6, finis les combats à couper le souffle et la tension ! Les auteurs vont délaisser ces éléments pour se concentrer sur la logique de la narration. Qu’est devenue Anna, quel lien a-t-elle entretenu avec ce conflit? C’est intéressant mais l’aspect relationnel entre les différents protagonistes va prendre le dessus, faisant basculer la tonalité de la série du côté du psychodrame amical et familial. Ainsi, Sarya, que l’on a appris à aimer et qui incarne à nos yeux le YPG, va disparaître de notre champ de vision. L’histoire d’Anna deviendra centrale, mettant en scène une Mélanie Thierry impeccable quand il s’agit de jouer la Parisienne, mais abusant ensuite d’attitudes de femme aux mâchoires serrées, constamment sur la défensive.

 

 

Une fin ratée

 

Même à l’intérieur de Daech, c’est la relation entre les trois amis qui est désormais mise en avant. Définitivement, la petite histoire prend le pas sur la grande. Si tout cela aboutissait à une fin stimulante, ce côté « deux salles, deux ambiances » aurait pu s’entendre malgré le manque d’équilibre qu’il procure à l’ensemble. Mais la série se termine sur deux cliffhangers improbables et absurdes qui essaient de nous rendre alléchante la saison 2 à venir. C’est clairement l’inverse qui se passe et on se dit que tout cela ne présage rien de bon pour la suite. Dommage, car pendant plus de la moitié du visionnage, on a été estomaqué par l’intensité (peu courante dans les productions françaises) de cette mise en images de l’horreur. Durant un temps, on aura ainsi goûté au sang et à la peur. On aura ressenti dans nos tripes ce climat oppressant et hostile. Et c’était fort !

 

Disponible sur Arte

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Ferré (dimanche, 09 mai 2021 12:21)

    je suis très bluffée par la description si fine et précise du commentaire.... Qu'on aime ou qu'on aime pas cette série, ce que je trouve interressant c'est le partage d'un pt de vue, avec la recherche de justesse....