NTM dans les années 90
« Le monde de demain », c’est avant tout un titre de NTM sorti en 1990 avant leur premier L.P. intitulé Authentik en 1991. Cette chanson, l’une des toutes premières composée par le duo
Kool Shen/Joey Starr (les deux rappeurs à l’origine du groupe) suffit à appréhender l’état d’esprit d’une partie de la jeunesse des banlieues dont ils deviendront les porte-parole. On y comprend
à quel point la violence institutionnelle dont celle-ci se sent victime serait à l’origine des incivilités auxquelles bon nombre de jeunes se livrent dans les quartiers. Privés de perspective
d’avenir et livrés à eux-même, ces derniers semblent n’avoir plus rien à perdre au regard de l’indifférence que leur cas suscite dans l’opinion et du mauvais traitement que la police française
réserve à une population souvent issue de l’immigration. A l’époque, plutôt que de tendre l’oreille et de se pencher sur le contenu du message et des cris de détresse dont le groupe se faisait
l’écho, politiques et médias se contentèrent de dénoncer certaines paroles incitant à la haine anti-policière. Pour beaucoup, Joey Starr et Kool Shen avaient une mauvaise influence sur la
jeunesse, à l’image de l’acronyme délibérément provocateur (NTM = Nique Ta Mère) qu’ils s’étaient attribués comme étendard. De plus, la difficulté du duo à user efficacement des codes de
communication pour faire entendre leur voix sur les plateaux télés les fit rapidement passer auprès du grand public pour des « racailles » mal-élevées à la prose grossière. Même sur la
forme, NTM peinait à convaincre le gotha du monde de la musique. En effet, de sérieuses réserves furent émises quant à la valeur artistique du rap, ce nouveau mode d’expression perçu comme
simpliste dans sa composition. Cependant, en dépit des critiques et porté par une jeunesse trop heureuse de se sentir enfin représentée ou simplement curieuse de se confronter à des sonorités et
un ton nouveaux, le succès de NTM fut grandissant au cours des années jusqu’à leur séparation en 2001.
Une histoire du hip-hop en France
Si cette petite introduction s’avère nécessaire pour rendre compte de l’ampleur des réactions suscitées par l’apparition du groupe dans l’univers musical français et plus globalement au sein de
la société, la série baisse le rideau à l’aube de leur notoriété naissante. Exposer la réussite et les rançons de la gloire n’est pas son but. En concentrant essentiellement son récit sur les
années 80, elle met en scène les individus qui ont permis le développement d’un mouvement artistique dont Didier Morville (Joey Starr) et Bruno Lopes (Kool Shen) ont été partie prenante au même
titre que le mythique DJ Dee Nasty ou la graffeuse puis danseuse Lady V. Certes, le duo reste le point d’ancrage auquel le spectateur peut se référer car on a forcément en ligne de mire le succès
rencontré par NTM par la suite, mais ils sont intégrés dans un ensemble avant tout historique et pédagogique. Et sur ce point, la série est indéniablement une réussite. Du voyage de Daniel
Bigeault (Dee Nasty) aux États-Unis à la signature de NTM chez Sony, on voit comment le hip-hop s’est inspiré de la musique noire américaine pour intégrer la danse, puis le graffiti et enfin le
rap dans sa culture. On se surprend ainsi à constater qu’il ne correspond en rien aux clichés machistes et misogynes que beaucoup se plaisent à lui coller (même si, comme dans de nombreux
milieux, il est toujours plus ardu pour une femme d’exister). Bien loin du luxe indécent que certains rappeurs aiment désormais exhiber ad nauseam sur les écrans télés, il s’enregistre dans la
grange de mémé pour ensuite être diffusé sur Radio Nova ou se produire illégalement sur de pauvres terrains vagues avant de terminer sa course dans les studios d’enregistrement d’une major. Mais
pendant ce temps, son esprit originellement festif, tolérant et érudit (pour les DJ’s) évolue inexorablement, se faisant peu-à-peu plus combatif voire vindicatif.
La représentation des quartiers
S’il est un défaut que l’on peut adresser à la série, c’est justement de ne pas suffisamment se pencher sur le contexte social qui a participé à ce progressif changement de ton. Certes, les
principaux protagonistes de cette histoire vivent dans des conditions peu enviables. Les barres d’immeubles en partie délabrées sont bien présentes, les jeunes errent et se droguent
occasionnellement avec leurs potes… Mais on peine à ressentir l’état de tension dans laquelle ils évoluent. Les trafics illégaux, les rixes entre bandes rivales ou les conflits avec les forces de
l’ordre semblent finalement presque inexistants dans ces quartiers ; sans tomber dans la caricature, la série aurait gagner à assombrir la description d’un microcosme censé alimenter un
sentiment de colère et d’injustice légitime. Dans ce contexte, difficile de ressentir dans nos tripes le venin dont les paroles de « le monde de demain » sont empreintes. Si Joey Starr,
après avoir vu la série, s’est montré aussi circonspect quant à sa qualité, c’est peut-être qu’il n’a pas, lui non plus, retrouvé le lourd climat social qui a pu motiver ses textes. Argument
d’autant plus plausible qu’il semble en revanche avoir apprécié le film « Suprêmes » d’où émane un ressentiment bien plus palpable envers les représentants de l’État et leurs
symboles.
Daniel, Didier, Bruno...
Alors, si colère il y a dans la « le monde de demain », elle découle directement de la vie personnelle des protagonistes ou de leur difficulté à exister artistiquement dans un monde qui
ne partage pas encore leur passion dévorante pour le hip-hop. Car que ce soit Dee Nasty, Kool Shen ou Joey Starr, chacun porte en lui le besoin viscéral d’exercer son art envers et contre tous.
Le premier le ramène dans sa valise et ne vit dès lors que pour transmettre la sainte musique au plus grand nombre. L’intégrité inébranlable avec laquelle il s’enquiert de sa mission, quitte à
délaisser les chemins prometteurs qui s’offrent à lui, le rend particulièrement sympathique. Par ailleurs, Andranic Manet qui interprète ce pionnier des platines insuffle à son personnage une
naïveté et une sensibilité troublante de sincérité. Kool Shen « le sage » aurait pu lui aussi se contenter de suivre les voies toutes tracées qui se dessinaient devant lui si sa volonté
farouche de se consacrer au hip-hop et d’en faire son quotidien ne coulait pas dans ses veines. Quant à Joey Starr « le dilettante », la foi qu’il a en son étoile mêlée au désir
puissant de prouver au monde (et à son père) qu’il n’est pas un bon à rien constituent un frein à son envie naturelle de prendre l’oseille et de se tirer. Trois personnalités fortes donc,
incarnées par trois formidables acteurs impeccables dans leur faculté à nous impliquer dans la destinée de ces valeureux combattants.
… et les autres
Cela dit, la place centrale occupée dans le récit par ces ambassadeurs du hip-hop ne fait nullement ombrage à la finesse des nombreux portraits de personnages qui composent leur entourage.
Béatrice, Lady V, Chino… Tous confèrent à la série une étonnante fraîcheur. Chacun à sa manière prend naturellement place dans la narration et impose sa présence sans jamais forcer le trait. Les
répliques fusent, les accolades franches et sincères succèdent aux coups de gueule. On s’émeut de leurs réussites, de leurs déboires, de leurs amours (la relation entre Daniel et Béatrice est à
ce titre particulièrement touchante). Ils nous deviennent si attachants que l’on est simplement heureux de partager ces quelques moments de vie en leur compagnie. Et comme la mise en scène semble
vouloir préserver au mieux les liens unissant le spectateur à ses nouveaux compagnons de route, sa sobriété permet aux acteurs d’occuper entièrement l’espace qui leur est dévolu. Même l’aspect
tronçonné du récit servant à exposer chronologiquement les destinées parallèles des différents protagonistes ne parvient pas à briser l’harmonie globale de la série tant les transitions entre
chaque séquence paraissent fluides.
Une juste reconnaissance
In fine, « le monde de demain » est une incontestable réussite largement
accessible à ceux qui ne se sentent pas d'affinités particulières
avec ce genre de musique. Au regard des critiques élogieuses qui ont suivi sa sortie, NTM
peut se targuer d’avoir progressivement réussi à redorer un blason terni à l’époque par ceux-là même qui placent dorénavant le groupe comme une référence incontournable du patrimoine artistique
français. Un sacré pied de nez ! Mais pendant ce temps, rien ou presque n’a été fait pour les banlieues toujours délaissées par des politiques volontairement aveugles. Quant au rap hexagonal
mainstream, s’il s’est ouvert à des univers nouveaux et ne se cantonne plus uniquement à porter la voix des quartiers défavorisés, la couleur de l’argent l’a rendu largement perméable à un
individualisme bien éloigné du parfum de poudre qui émane encore aujourd’hui des productions de ses illustres ancêtres.
Disponible sur Netflix
Et du "côté séries", ils en pensent quoi ?
Le monde de demain (le clip)
Conseils "musique" : Si un groupe de rap a su reprendre à son compte la "rage" de NTM, c'est sans conteste le crew parisien de "La rumeur" au début des années 2000. Plus sombre, plus implacable, ces enfants d'immigrés à leur plume acérée devinrent en leur temps les meilleurs chroniqueurs de l'état de la banlieue. Une claque salvatrice !
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