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Polar Park

Un écrivain dans le Doubs

 

en « Orange balsamique », « Vegan psycho »… David Rousseau est connu dans le monde littéraire pour créer des polars dont le titre à lui seul suffit à en refléter l’excentricité. Et quelle qu’en soit leur teneur, Rousseau charge son enquêteur attitré, Magnus Horn, d’en percer les mystères. Mais ce dernier se retrouve au chômage technique suite au désir longtemps contenu de son créateur de situer le cœur de son nouveau projet bien loin de son champ d’investigation, sur les terres mêmes du Klu-Klux-Klan. Indépendamment de ces considérations créatrices, David entreprend de se rendre à Mouthe, la ville la plus froide de France, pour y rencontrer un moine ayant connu sa défunte mère du temps où elle s’était rendue au monastère afin d’y effectuer une courte retraite. David est bien sûr au courant de cet épisode datant d’avant sa naissance. Il s’en était même emparé pour faire de cette petite bourgade du Doubs le décor de son premier roman. Mais les révélations du Frère en question relèvent sans doute de la plus haute importance puisque celui-ci a réclamé sa présence pour lui en faire part. Malheureusement, le temps pour lui de faire le voyage et il apprend la mort de son mystérieux informateur. Il s’apprête alors à faire demi-tour mais un étrange homicide mettant en scène un auto-portrait de Van Gogh a lieu dans la commune, ce qui, en tant qu’auteur de polars patenté, éveille naturellement sa curiosité. De fait, David ne peut s’empêcher de fureter sur les lieux de l’enquête quitte à s’attirer les foudres de l’adjudant Louvetot qui en a la charge. Survient peu après un second meurtre représentant lui aussi un tableau de maître. De fait, comment un auteur, qui a fait son gagne-pain des modus operandi de tueurs en série imaginaires, peut-il sincèrement renoncer à tirer au clair une telle affaire ?

 

 

A quoi s’attendre ?

 

L’idée d’un « Fargo » francophone avait déjà été évoquée lors de la diffusion cette année de « Des gens bien » dans la manière qu’elle avait de mettre en scène des anti-héros dépassés par l’atrocité des actes dont ils se rendaient coupables. Tout ça sur un fond de ruralité qui faisait le sel de sa grande sœur américaine. Malheureusement, elle pêchait par là où elle voulait séduire, à savoir un excès d’exubérance qui se ressentait jusque dans ses dialogues et le jeu de ses acteurs poussés au cabotinage par un scénario délibérément outrancier. « Polar Park », largement inspirée du long-métrage « Poupoupidou » déjà réalisé par Gérald Hustache-Mathieu avec les mêmes Jean-Paul Rouve et Guillaume Gouix en interprètes principaux allait-elle tomber dans les mêmes travers ?

 

 

Brrrr...

 

Une oreille découverte par une enfant terrifiée dans un parc animalier, une petite ville d’où émane un parfum de bout du monde, un monastère à l’écart de la société et de la neige. Beaucoup de neige. Dès l’entame du premier épisode, la série instaure ainsi un climat dominé par le mystère, l’isolement et le froid. Un froid cinglant qu’aucune cloison ne semble en mesure d’apaiser, s’invitant même dans la chambre de l’hôtel où David a, pour l’occasion, élu domicile. Dans ce contexte, l’atmosphère aurait pu s’avérer pesante, pour ne pas dire glaciale. Pourtant, il n’en est rien. Et cela, on le doit en premier lieu à la personnalité de son personnage principal. En règle général, les polars aiment se doter d’un détective sérieux et désabusé, soit qu’il ne croit plus en l’Homme, soit qu’il a été brisé par la vie. Là, on a affaire à un écrivain, certes en panne d’inspiration, mais visiblement satisfait de son existence. Son enquête, il la mène avec un enthousiasme communicatif, n’hésitant pas à faire preuve de malice et d’inventivité pour la mener à bien. Les crimes, tels qu’ils nous sont dépeints, s’inscrivent dans la même logique fantaisiste.En effet, si l’esthétique qui accompagne leur mise en scène éveille à bon escient notre curiosité, elle amoindrit également la cruauté des actes commis. A vrai dire, dans « Polar Park », la violence n’est guère de mise. Alors oui, il y fait froid,ce qui lui procure un charme certain, mais il n’y fait pas sombre.

 

 

Des personnages, et des bons

 

Outre David Rousseau, l’ensemble des personnages amenés à croiser sa route insufflent à leur manière un peu de cette douce folie qui fait de Mouthe une ville vraiment à part. A ce titre, ne pas évoquer l’inénarrable Aurélie Poulidor serait faire offense à l’interprétation délicieusement décalée d’India Hair, déjà aperçue dans « Des gens bien ». Avec sa figure pouponne et sa diction si singulière, elle incarne une professeur de français subjuguée par l’œuvre (et la personne) de David. Sa manière de tomber en pâmoison devant son idole nous ravit autant que cette admiration démesurée embarrasse son destinataire. L’amusement est également de mise à la vue de la mine déconfite de l’adjudant Louvetot, exaspéré de voir systématiquement revenir à la charge cet encombrant romancier qui l’abreuve de théories farfelues. Dans la pure tradition des nombreux duos ayant jalonné l’histoire du cinéma, le sel comique de cette relation repose sur l’antagonisme de leur personnalité. Ainsi, au pragmatisme de l’un vient s’opposer l’imagination débridée de son comparse. Ces liens tumultueux, on les retrouvait déjà à l’époque où Gérard Depardieu devait supporter la présence de Pierre Richard à ses côtés dans « la Chèvre » de Jacques Veber. Mais si accointances il y a entre ces deux œuvres, elles se situent surtout au niveau du schéma qu’emprunte ces couples à priori dysfonctionnels pour parvenir à leurs fins. En effet, dans un cas, le postulat était que seul un homme particulièrement malchanceux aurait la faculté (involontaire) de retrouver une femme qui, elle aussi, avait pour habitude de cumuler les catastrophes. De la même manière, il devient rapidement évident que l’explication des meurtres de Mouthe trouveront leur réponse quelque part dans les méandres des raisonnements soumis par David Rousseau à son compagnon de fortune.

 

 

L’équilibre était presque parfait

 

A l’instar de « Des gens bien » qui avait exploité la voie de la surenchère, il était sans doute tentant de verser dans le burlesque ou l’absurde. Mais ici, le dosage des ingrédients semble avoir été plus minutieusement étudié. L’humour y est distillé avec une truculente parcimonie tandis que la cocasserie dont la série est empreinte n’empiète jamais sur la logique intrinsèque du récit. A vrai dire, Hustache-Mathieu semble jusqu’au bout garder à l’esprit que « Polar Park »se réclame avant tout…du polar. Ainsi, il n’hésite pas à parsemer son récit de fausses pistes savamment intégrées à une intrigue dont on ne peut que vanter la finesse d’écriture.

La preuve en est la manière toute naturelle avec laquelle l’histoire personnelle de David trouve sa place au sein du récit sans jamais lui faire perdre de son équilibre. Par ailleurs, bien malin celui ou celle qui parviendra à identifier le coupable de ces crimes énigmatiques. Et même une fois que son identité et ses motifs aient été révélés, l’auteur continue de jouer avec ses personnages avec un plaisir évident dans un final particulièrement abouti. Il aurait eu bien tort de se priver.

 

Disponible sur Arte

 

 

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