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After life (3 saisons)

Ricky Gervais est-il drôle ?

 

Ricky Gervais est un phénomène. Cet artiste aux multiples casquettes (il a aussi été chanteur) s’est fait véritablement connaître du monde du petit écran pour avoir lancé, avec son compagnon de route Stephen Merchant, la série « The office » en 2001. Cette sitcom corrosive, pionnière du mockumentary, mettait aux prises des employés de bureau lambda sous les ordres d’un boss (Ricky Gervais en personne) odieux et méprisant. De la bassesse de son comportement émanait un sentiment de consternation que le rire pouvait en partie exorciser. Quelques années plus tard, Gervais se mettait dans la peau d’un acteur de seconde zone amené à fréquenter quelques grands noms d’Hollywood. Une fois encore, la farce tournait rapidement au carnage. En effet, la plupart des réalisateurs ne s’attarde pas quand une blague consiste à mettre à mal un personnage. Ils passent simplement à la suite pour en extraire son pouvoir comique. Mais Gervais, lui, se plaît à étirer ces situations jusqu’à ce que le rire se fasse jaune, puis profondément embarrassant. Ira-t-on jusqu’à dire qu’il maltraite voire humilie les marionnettes qu’il met en scène ? Sûrement, mais elles sont consentantes. Sa vraie cible, c’est le spectateur. C’est lui qu’il convient de déranger, de lui poser la question frontalement : « Comment vas-tu réagir à ce que je te propose ? ». Alors, on peut fuir cette mise à l’épreuve un brin masochiste ou au contraire accepter d’y faire face pour s’en amuser. Par ailleurs, il suffit de visionner ses discours hilarants de présentation des Golden Globes pour constater qu’il est préférable de ne pas se trouver directement dans son viseur. Les patrons d’Apple et Disney, victimes impuissantes de son humour caustique, peuvent en témoigner. A force de pointer ce que l’humain a de plus méprisable dans son rapport aux autres, son humour divise devant la malaise qu’il procure. Cependant, malgré tous ses méfaits, il se dégage du personnage de Ricky Gervais quelque chose de profondément humain et sympathique, que sa misanthropie ne parvient pas totalement à dissimuler. Alors, en commençant à regarder « After life », il était bien difficile d’anticiper la sauce à laquelle on allait être mangé...

 

 

Emploi du temps surchargé

 

Tony vit dans la petite ville anglaise de Tambury où il travaille en tant que journaliste pour la gazette gratuite locale. Il menait une vie heureuse jusqu’à ce que sa femme Lisa, son amour, meure d’un cancer. Depuis, il ne parvient pas à trouver une raison qui le pousserait à se lever le matin si ce n’est qu’il doit nourrir puis aller promener sa chienne, l’unique rescapée des sempiternels sarcasmes qu’il assène désormais à son entourage. Pour le reste, il se contente de prendre un petit déjeuner avec ce qu’il reste dans les placards (au pire, de la pâtée pour chiens, ça passe !), envoie balader son facteur, se rend au bureau à l’heure qui lui chante, raille ses collègues pour un oui et pour un non, clame haut et fort son envie de se suicider, visite son père sénile à la maison de retraite, se recueille sur la tombe de sa femme et rentre chez lui pour picoler jusqu’à ce que sommeil s’ensuive. Tout cela entrecoupé par moult visionnages des séquences filmées qu’il faisait de sa femme avant sa mort.. Tout un programme donc pour une bonne partie de rigolade en perspective !

 

 

Le début était presque parfait

 

Et bien figurez-vous qu’en dépit de ce tableau peu réjouissant, les premiers épisodes relèvent presque de la perfection ! En effet, la situation tragique de Tony nous le rend d’emblée plutôt sympathique. De fait, Gervais l’autorise à exhiber sans filtre son désintérêt total pour le monde. Ainsi, il parvient à rendre hilarante une série dont le thème ne portait initialement pas à sourire. En l’occurrence, l’humour poil-à-gratter dont Gervais raffole trouve sa justification au travers du regard piquant et désenchanté de son personnage. Celui-ci ne fait pas preuve de méchanceté envers les autres mais il se fiche de tout et de tout le monde. C’est cathartique pour lui et disons-le franchement, ça l’est aussi grandement pour nous. En effet, qui n’a jamais eu l’envie de se soustraire de toute obligation morale et d’agir comme bon nous semble sans se soucier du qu’en dira-t-on ? Alors, avec un calme olympien et une mine désabusée, Tony se prive rarement de fustiger la manière d’être et de penser de ses proches, et en premier lieu, de ses collègues de travail ! Car pour Gervais, quoi de mieux que le contact de personnes avec qui on n’a pas choisi de vivre pour dépeindre les relations entre les êtres. Connaissant le passé de Tony, Lenny accepte sans broncher les remarques délicates que son physique enveloppé et plus particulièrement le gras de son cou lui inspirent. Kath soupire d’indignation et d’incompréhension  devant les sarcasmes auxquels elle doit faire face dès qu’elle évoque l’interprétation de ses rêves ou l’astrologie… Son chef Matt, (le frère de Lisa) désespère d’entendre que l’humanité est un fléau, que son journal est pourri et qu’il est hors de question de faire des efforts pour se rendre aimable… Quant à Sandy, la nouvelle venue censée s’initier au journalisme à son contact, elle ne dit que peu de choses mais son rôle dans le récit s’avère primordial. En tant qu’observatrice, elle semble dans un premier temps étourdie par les discussions ubuesques auxquelles elle assiste. Mais rapidement, sa bienveillance envers les tirades drôles mais pleines d’esprit de Tony se fait de plus en manifeste. Cette jeune femme semble comprendre la détresse de son mentor et l’injustice du malheur qui le frappe. Son regard est doux et compatissant. Elle nous rappelle régulièrement à quel point celui-ci est dénué de méchanceté. Il est juste triste. Très triste… Et nous le sommes également au moment de constater que cette figure féminine si attachante ne fait pas partie du casting de la dernière saison.

 

 

Plus dure sera la chute

 

Indépendamment de son ton presque « rafraîchissant », on se plaît aussi à ressentir la délicatesse des liens que Tony tisse avec certains sans-grades de notre société (chers à Gervais) : la prostituée du coin, le facteur.... Mais malgré cette humanité apaisante, la noirceur de son état psychique transparaît parfois, comme le prouve son rôle funeste dans la destinée du pauvre livreur de journaux… Par ailleurs, il fait la connaissance d’Anne, une femme rencontrée au cimetière auprès de la tombe de son défunt mari. Tous deux partagent le même banc et conversent sur le sens à donner à la vie quand on est en deuil. Leurs échanges, empreints de douceur et de bienveillance, constituent pour Tony la thérapie bienfaitrice que son odieux psychologue est incapable de lui fournir (il semble d’ailleurs que la rancœur vouée par Gervais à cette profession soit bien profonde !). Mais c’est malheureusement à son contact que le magnifique château de cartes, jusqu’ici superbement agencé, s’effondre brutalement. Le dernier épisode de la première saison, par son excès de bons sentiments, appuyés par une bande-son catastrophique, vient en effet briser l’harmonie du bel édifice. De manière générale, la pertinence des choix musicaux reste sujette à caution tant ils viennent, la plupart du temps, alourdir la narration en lui insufflant la teneur des émotions qu’elle est censée provoquer.

 

 

Douces relations

 

Fort heureusement, suite à cette bourrasque imprévisible dont la série se relèvera difficilement, les bonnes résolutions entrevues par Tony ne se révèlent pas simples à tenir en l’absence d’une réelle raison de vivre. C’est désormais cette voie qu’« After Life » nous incite à suivre. Alors, l’humour grinçant reste présent mais s’avère toutefois moins efficace qu’à ses premières heures. Peut-être une sorte de routine s’est-elle installée et qu’à force de jouer la même partition, la mélodie nous est devenue trop familière ? Si on s’amuse encore des réflexions truculentes de son personnage principal, on se penche maintenant plus profondément sur les liens qu'il le lient à ses proches. Gervais réussit par exemple à rendre émouvantes et finalement assez drôles les visites que Tony effectue quotidiennement auprès d’un père qui ne le reconnaît plus. Sacrée performance tant il ne semble jamais simple de trouver le ton juste pour confronter le spectateur à la maladie et au vieillissement. De manière générale, on sent Tony plus apaisé malgré le mal-être qui ne cesse de le ronger. La gentillesse et la tendresse finissent par prendre le pas sur le cynisme, en témoigne la teneur des compte-rendus auxquels il se livre après chaque passage chez les énergumènes qui narrent leurs exploits dans l’espoir de figurer en une du journal. Et quels exploits ! Gervais adore se moquer du caractère grotesque voire vulgaire de ses personnages, surtout quand celui-ci est involontaire exhibé avec le plus grand sérieux ! Il en profite donc pour mettre en scène (notamment lors d’une représentation théâtrale malaisante) quelques « freaks » qui s’adonnent en toute naïveté à un mauvais goût assumé dont ils n’ont absolument pas conscience… Mais cette fois, on ressent l’affection que Gervais leur porte tant ceux-ci paraissent adopter des attitudes plus inadaptées que foncièrement provocatrices.

 

 

Bonne route moussaillons !

 

Finalement, même si les deux dernières saisons d’«After life» ne possèdent plus le caractère jubilatoire de son entame (mais Gervais devait narrativement faire évoluer son histoire), on suit avec plaisir la difficulté qu’a ce tendre misanthrope à se reconstruire et donner un nouveau sens à sa vie. Certes, la vision idéalisée de sa relation avec Lisa, rendue visible par les tranches de vie filmées qu’il ne cesse de visionner, est parfois caricaturale tant aucune fausse note semble entacher leur complicité. Mais tout ici respire la sincérité et les dernières images, au message doux-amer, finit de nous en persuader. Il réussit également la prouesse de faire de la mort de l’être chéri(e) une leçon de vie propre à redonner un sens à ses journées quand on n’a plus rien à se raccrocher. Il est juste dommage qu’à force de naviguer dans des eaux allant de la noirceur désespérée à un excès manifeste de bons sentiments, Gervais nous perde quelquefois en route. C’est sans doute ce qui fait son charme mais le bateau dans lequel il nous embarque tangue parfois un peu trop. Alors certes, on ne passe jamais par dessus bord, mais on ne profite pas toujours pleinement du voyage et c’est terriblement frustrant !

 

Disponible sur Netflix

 

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