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The Crown (saisons 1 à 4)

Réaliser un biopic de la famille royale anglaise en sachant que certains personnages présentés à l’écran sont encore en vie était une sacrée gageure. En effet, il paraît plus simple de narrer les faits et gestes de figures historiques quand celles-ci sont passées de vie à trépas, que les historiens ont fait leur travail et que l’on a le recul nécessaire pour relater les répercussions des événements passés. Cela ne veut pas dire que, dans ce cas, le point de vue du réalisateur soit objectif. L’Histoire est sujette à de multiples interprétations, mais le temps ayant fait son œuvre, l’artiste est libre de se la réapproprier selon sa sensibilité. On pourrait arguer que « The Crown » n’est pas un biopic mais «une fiction inspirée de faits réels». Cela signifie que certains personnages, dont les noms et les statuts ont été conservés, peuvent effectuer des actions ou avoir des pensées qui ne leur correspondent pas. Celles-ci les enjolivent ou, à l’inverse, les dévalorisent. On voit bien que déontologiquement, cette manière de procéder est plus que scabreuse. En fait, elle est intenable. Les auteurs se sont clairement lancés dans une entreprise qui, malgré toutes les qualités dont elle pourrait faire preuve, n’est pas cautionnable car elle ne respecte pas la temporalité nécessaire à sa réalisation. Ainsi, la déformation de la réalité devait logiquement aboutir à controverse et cela n’a pas manqué, la saison 4 ayant fait couler beaucoup d’encre.

  

 

Le sujet est donc simple : à partir de la fin du règne du père d’Elizabeth 2 en 1950, « The Crown » nous retrace les déconvenues et les joies de la famille royale au fil du temps, en lien avec l’évolution sociétale et politique de la Grande-Bretagne. Ainsi, chaque épisode traite d’un événement particulier qu’il soit historique ou intime… ou les deux. La saison 4 se conclut à la fin du règne de Margaret Thatcher en 1984. La suite est encore dans les cartons mais ne saurait tarder à en sortir.

 

 

Disons-le tout net, les premières heures de visionnage ressemblent fort à une purge. Heureusement, ce sentiment négatif se dilue lentement au cours du récit mais sans disparaître complètement. Car il y a dans cette série la volonté de raconter une saga avec tout ce que cela implique de grandiloquence. Ainsi, même si parfois l’intrigue ne tient qu’à un fil (qui deviendra le principal conseiller de la Reine ? Quel suspense !), les auteurs n’hésitent pas à utiliser une musique semblable à la conquête du « Trône de Fer » par Daenerys et ses dragons. Cette impression de vacuité de certaines situations est renforcée par la longueur des épisodes dont on ne voit pas le bout. Au final, si la mise en scène est très soignée, son manque de retenue contraste fortement avec les enjeux souvent mineurs de la narration … mais les auteurs semblent vouloir absolument nous prouver le contraire.

 

 

Il faut attendre qu’un événement historique en décalage avec le thème principal de la série apparaisse pour qu’une certaine magie opère. En effet, en 1952, un épais brouillard recouvre la ville de Londres, plongeant ses habitants (et nous avec) dans une atmosphère où Jack l’Éventreur pourrait faire son apparition. Cet épisode suffocant transpire la dramaturgie en délaissant pour un temps les pages les plus glamours de la revue « Gala ». De manière générale, les photographies historiques que la série présente chronologiquement constituent l’un des aspects les plus intéressants de « The Crown ». Se déploie ainsi sous nos yeux la lente régression économique et sociale d’un pays où la politique sociale suicidaire de Mme Thatcher succède à la crise du canal de Suez.

 

 

Sur ces différents points, la série échappe au manichéisme en insistant bien sur le fait que l’impact de la Reine en matière de politique est inexistant. Elle a pour unique rôle de rester à jamais une icône se situant hiérarchiquement entre le simple mortel et Dieu. Image de la Grande-Bretagne dans le monde entier, elle symbolise les valeurs chrétiennes de son pays et la grandeur d’un peuple qui la sacralise malgré le gouffre social qui les sépare. Et en cela, jamais son image statufiée ne se doit d’être écornée. Cette fonction, qu’Elizabeth se force à remplir coûte que coûte, engendre une rigidité de fonctionnement dont toute sa famille pâtit. Ses prises de position parfois cruelles procurent au spectateur une vraie empathie envers son entourage, particulièrement Margaret, la sœur d’Elizabeth. A ce titre, on a souvent entendu que la série rendait humaine une dynastie aux mœurs bien éloignés des nôtres. C’est en partie vrai mais c’est le propre d’un récit que de rendre ses personnages humains. Or, si on analyse chaque personnage à la loupe, on constate qu’ils sont au final assez peu sympathiques et qu’à force de les regarder vivre, on en oublie qu’ils ne savent plus ouvrir une porte par eux-mêmes. Que Philip, le mari de la reine, est d’une dureté archaïque envers son fils. Que les enfants du couple royal, coupés de la réalité du monde, érigent comme valeurs premières les privilèges héréditaires issus de leur « éducation ». (Ils font d’ailleurs penser aux héritiers pervers et désorientés de Logan Roy, magnat des médias dans la série « Succession »). Que Margaret se plaint de sa situation mais qu’elle est totalement dépendante de sa vie mondaine. Et qu’enfin, Elizabeth se plie aux traditions quitte à provoquer le malheur d’une bonne partie de ses proches. (Et lorsqu’à la fin d’un épisode, celle-ci verse quelques larmes, on ressent surtout un désir artificiel des auteurs à humaniser leur héroïne.) En cela, la série est fine et intelligente. Mais dès qu’il s’agit de la Reine, elle se base trop sur un schéma narratif qui oppose la volonté du cœur au respect de la tradition quel qu’en soit le coût. A tel point que les dénouements de certains épisodes en deviennent souvent trop prévisibles.

 

 

Cette manière de nuancer la psychologie des personnages est une vraie qualité mais elle nous empêche tout de même de nous attacher à eux. Il faut attendre l’arrivée de Lady Di pour qu’une once de drame s’esquisse et nous apporte une émotion plus viscérale. Car oui, Lady Di est un vrai personnage dramatique. Elle est celle qui ne se satisfait pas de son statut et essaie maladroitement de trouver une issue supportable à la vie que sa condition lui impose. La relation qu’elle noue avec le prince Charles est en ce sens superbement traitée, bien aidée en cela par le jeu des acteurs (magnifique Josh O’Connor !). L’ensemble de la distribution est d'ailleurs de qualité avec une mention spéciale pour Gillian Anderson qui campe une Margaret Thatcher troublante de réalisme et d’expressivité. Elle en deviendrait même touchante.

 

 

On ressort donc de cette 4ème saison, plus intimiste que les précédentes, plutôt émus. Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser, au vue de la direction artistique générale, que la véracité du portrait du couple Prince Charles / Lady Di est sûrement plus complexe et moins caricaturale que ce qui nous est montré à l’écran. Et le malaise né de cette possible déformation de la réalité resurgit de nouveau. Et il y a fort à parier que plus la série avancera dans le temps, plus celui-ci deviendra grandissant. Et pourrait gâcher une production plaisante malgré ses longueurs. 

 

Disponible sur Netflix.

 

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Commentaires: 1
  • #1

    Guitton (dimanche, 29 août 2021 10:01)

    Je ne peux pas en dire grand chose car j’ai abandonné avant la fin du premier épisode tellement je m’ennuyais. Laborieuse, stéréotypée, m’est apparue cette série. J’aurais dû aller jusqu’au bout si je comprends bien ton propos puisque l’affaire Diana valait le coup.