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The Shield (7 saisons)

Je ne me suis intéressé aux séries qu’au début des années 2010. Avant cela, je n’en regardais tout simplement pas. Mais, à force d’entendre parler de la richesse de productions telles que « six feet under », « the wire » ou « les sopranos », j’ai fini par me laisser tenter. Et c’est peu dire que j’ai été séduit ! J’ai tout de suite été subjugué par ces drames au long cours qui usaient d’une temporalité proche de celle rencontrée en littérature. Le soir, je retrouvais avec une réelle gourmandise les personnages et l’ambiance que j’avais, à regrets, délaissés la veille. De fil en aiguille, je me suis ainsi intéressé à la série « The shield » (2002-2008) dont le blog de Pierre Sérisier, « le monde des séries » faisait éloge. Et fatalement, cette sombre, très sombre tragédie policière longue de 7 saisons m’a littéralement happé…

 

 

Farmington

 

« The shield », c’est d’abord un parti pris de mise en scène qui peut en rebuter plus d’un car tout est filmé façon "caméra à l’épaule". Pour couronner le tout, le matériel argentique utilisé procure à l’image un grain qui la rend plus rugueuse qu’avenante. C’est âpre mais particulièrement efficace quand il s’agit de rendre compte de manière quasi documentaire des situations auxquelles nous confronte la série. Shawn Ryan nous plonge en effet au cœur d’un quartier fictif de Los Angeles appelé « Farmington » où il ne fait pas forcément bon vivre. Les trafics en tout genre et les guerres de gangs constituent le quotidien d’une population essentiellement issue de l’immigration qui ne connaît ni la paix ni la prospérité (loin s’en faut). Pour rendre compte le plus fidèlement possible de cet état de faits, la caméra ne se défile jamais. Alors, quand une descente de flics doit avoir lieu, on la vit de l’intérieur. Autrement dit, âmes sensibles, s’abstenir !

 

 

La « Strike Team »

Dans ce contexte, une brigade de choc (la « Strike Team »), menée par le redoutable et redouté Vic Mackey, n’hésite pas à utiliser des moyens à la limite de la légalité pour rétablir l’ordre. Avec une indéniable réussite d’ailleurs ! Cependant, leur supérieur hiérarchique espère percer au grand jour les malversations de ces « cow-boys » urbains en leur collant dans les pattes un nouveau collègue censé faire état de leurs agissements. Celui-ci n’en aura malheureusement pas le temps : dès la fin du premier épisode, Vic résout le problème en l’abattant de sang-froid. A présent unis dans le crime, les quatre membres de cette équipe jusque là soudée entameront une lente mais inexorable descente aux enfers.

 

 

Un monde à la loupe

Durant deux saisons, on voit donc se dessiner une gigantesque toile d’araignée découlant du méfait originel. Par la suite, la menace d’être découverts planera sur le groupe de manière continue ce qui constituera un axe à suspense terriblement efficace. En même temps, une multitude d'intrigues secondaires viendront alimenter et enrichir la trame principale. Celles-ci dressent surtout une peinture sidérante d’un quartier en déshérence et de la faune qui l’habite, sans pour autant porter le moindre jugement à son égard. Par là même, on appréhende les mécanismes d’une institution policière totalement gangrenée par la course à la performance. Dans ce cadre, les plus beaux discours dissimulent souvent une hypocrisie opportuniste particulièrement nauséabonde. De manière plus anecdotique (mais tout aussi passionnante), on assiste à la mise en pratique de deux techniques d’interrogatoires où la force d’intimidation de Vic s’oppose à la finesse du profilage de son homologue Dutch. Leur affrontement presque idéologique est autre point captivant de ce récit tentaculaire.

 

 

Vic Chiklis

Outre ses qualités formelles et descriptives, la série prend une toute autre dimension lors d’une saison 5 monumentale qui voit l’étau se refermer de plus en plus sur une « Strike team » au bord de l’implosion. Et la présence de Forest Whitaker dans le rôle d’un Jon Kavanaugh désireux de se débarrasser des brebis galeuses qui corrompent son service y est pour beaucoup. L’affrontement qu’il livre alors avec Mackey et la tension qui en découlent vont atteindre des sommets d’intensité. Mais contrairement à ce que l’on pourrait penser, le spectateur ne peut faire autrement que de prendre fait en cause pour le corrompu tant la haine qui émane de Kavanaugh semble démentielle. Et c’est ici que la série est particulièrement forte. Le monde des séries nous a habitués à mettre en scène des anti-héros. Mais aucun ne possède la puissance charismatique de Vic Mackey. Oui, c’est un meurtrier. Oui, il est en cela indéfendable. Mais son personnage est d’une telle complexité qu’il nous est impossible de le détester. A côté, Walter White de "Breaking bad" paraît schématique dans son évolution. Et si cela est rendu possible, c’est que l’interprétation de Michael Chiklis, qui tout du long a porté à bout de bras le projet de Shawn Ryan, est juste phénoménale. Celui qui était jusque là un inconnu dans la monde télévisuel ne retrouvera d’ailleurs aucun rôle mémorable après « The Shield ». Car Chiklis est Vic Mackey et il ne peut être quelqu’un d’autre. Il faut scruter l’intensité de son regard et de son jeu corporel pour comprendre qu’il s’agit là du rôle de toute une vie. Quoi qu’il en soit, le dénouement de cette saison d’anthologie laisse le spectateur pantois, groggy par un uppercut final ahurissant.

 

 

Un final époustouflant

On reprend son souffle au cours d’une saison 6 nerveusement plus supportable. Mais vient ensuite l'épilogue tant attendu ; et que dire de lui si ce n’est qu’il constitue un monument comme seules certaines séries cultes ont su en produire. La destinée des âmes esseulées qui tentent de survivre au chaos atteint un niveau de dramaturgie rarement égalé. Car si Vic reste LA figure emblématique de la série, celui-ci ne dévie jamais de sa ligne de conduite initiale. Pour les doutes, le mal-être voire les regrets, il faut se tourner vers ses compagnons de route. Ceux-ci sont loin d’être des faire-valoir dispensables à la narration. Tous participent même grandement de la puissance narrative de l’ensemble, en particulier son « ami » Shane Vendrell (joué par l’excellent Walton Goggins). Rarement on aura vu une telle évolution dans les émotions que nous procure un être aussi détestable que Shane ne l’était au commencement de la série. Globalement, on ne peut pas qualifier ces personnages d’ « aimables », mais ils finissent malgré tout par nous entraîner dans leur chute...

 

 

Le début d’une longue histoire

Alors je ne sais pas si « The Shield » est ma série référence. Peut-être que si je la revoyais maintenant, je lui trouverais toutes sortes de défauts. Je sais juste qu’elle a su toucher, à ce moment de ma vie, une corde qui a continué de vibrer plusieurs jours durant. Une fois le dernier épisode terminé, je me levais le matin en ayant l’impression d’être encore imprégné de toutes les émotions qu’elle m’avait procurées. Jamais je n’avais autant pleuré devant une série. Jamais je ne m’étais autant impliqué dans le parcours de personnes encore inconnues de moi quelques semaines auparavant. Plus qu'une simple série policière, "The Shield" est un avant une puissante tragédie, de celles qui vous prennent aux tripes et ne vous lâchent plus. Dix ans plus tard, elle garde toujours le parfum de sensations inoubliables. Elle est le shoot ultime, celui que l’héroïnomane cherche en vain à revivre, même s’il avait semblé bien éreintant sur le moment. Depuis, si j’ai parfois eu l’impression de m’approcher de cet état, l’éprouvé de l’époque semble toutefois hors d’atteinte. Alors, je continue à chercher. Encore et encore…

Disponible sur Amazon prime video

Un peu moins aboutie et surtout postérieure à "The Shield" dont elle reprend les codes (style "caméra à l'épaule" et immersion dans le quotidien de la vie de policiers), la série "Southland" est un bijou méconnu qui ne fait aucunement redite avec sa grande sœur !  A découvrir absolument ! 

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