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Euphoria (saison 2)

Pas destinée à la seule jeunesse

 

« Euphoria », c’est la série portée aux nues par des adolescents qui ne cessent de dresser ses louanges… ce qui peut sembler inquiétant tant elle brosse le portrait d’une jeunesse perméable aux drogues et à toutes les addictions qui s’offrent à elle. Mais peut-être qu’indépendamment d’une certaine identification aux personnages, il est juste permis aux jeunes d’avoir bon goût.

 

 

Rappel

 

Rue, une lycéenne de 17 ans, prête sa voix à cette histoire pour nous narrer sa vie ainsi que celle de ses amies proches : Cassie, la sensible, qui cherche dans le regard des hommes un remède à ses carences affectives, Maddy, la sulfureuse, qui entretient avec Nate une relation amoureuse un brin destructrice, Kat, la rondelette, qui a recours à des réseaux sociaux sadomasochistes pour se sentir exister, et Lexi, l’anonyme, qui a la mauvaise manie de regarder les autres vivre sans prendre part au spectacle. De son côté, depuis la mort de son père, Rue pallie son mal-être dans la consommation de drogues dures qu’une cure de désintoxication n’a pu endiguer. Mais l’arrivée dans son établissement de Jules, une transsexuelle charismatique, change subitement son quotidien. Une relation assez intense naît entre ces deux jeunes femmes qui vont tenter de s’apporter l’une l’autre une tendresse qui, jusque-là, ne leur a pas tendu les bras. Mais au moment de fuir et d’espérer prendre un nouveau départ, Rue ne parvient pas à se libérer des chaînes qui la retiennent prisonnière de son environnement. Jules se retrouve ainsi seule dans un train qui emmène avec lui le rêve envolé d’une vie qu’elles ne connaîtront jamais.

 

 

Une série de plus sur la jeunesse ?

 

La première saison d’« Euphoria », sortie en 2019, avait donc marqué les esprits tant le sexe, la drogue et tout ce qui fait partie du quotidien de ces jeunes américains de classe moyenne, étaient filmés sans tabou. Ce manque de retenue flagrant, un peu choquant, retranscrivait bien l’état d’esprit d’adolescents en total manque de repères. D’autres séries comme « 13 reasons why », « sex education » ou « I may destroy you », avaient déjà fait la part belle à cette jeunesse élevée dans le monde des réseaux sociaux et de la pornographie. A chaque fois, il ressortait clairement que cet environnement aboutissait à une construction psychique défaillante lorsqu’il s’agissait de gérer des émotions ou des pulsions nouvelles pour cette tranche d’âge. Ajouté à cela une mauvaise estime de soi potentielle, une pression imposée par la mode ou les codes sociaux du milieu en question et vous obtenez ce mélange détonant maintes fois porté à l’écran. Mais malgré ces similitudes, « Euphoria » se distinguait déjà de ses concurrentes par la qualité esthétique de sa mise en scène que cette seconde saison ne fait que confirmer.

 

 

En quête de repères

 

Toujours narratrice de cette histoire, on y retrouve Rue, autour de qui gravitent les personnages évoqués précédemment. Celle-ci, toujours en proie à ses problèmes d’addiction, ne parvient pas à entretenir des relations « normales » avec ses proches. Elle tue donc le temps auprès d’un camarade de lycée, Eliott, avec qui elle se drogue allègrement alors même que son entourage la pense clean. Quant à Jules, elle tente malgré tout de reprendre contact avec celle qui l’a abandonnée et qui fait désormais tout pour l’éviter. De son côté, à l’insu de son amie Maddie, Cassie fait le nécessaire pour obtenir les faveurs d’un Nate toujours aussi glacial et dont les sentiments contradictoires qu’il éprouve envers un père l’ayant exposé très tôt à sa vie sexuelle débridée ne cessent de le tourmenter. Kat vit un amour avec Ethan que ses copines lui envient. Et Lexi se prend d’affection pour Fezco, le flegmatique dealer et ami de Rue, qui, pour la protéger, avait refusé de lui fournir les doses qu’elle lui réclamait. En somme, les tribulations de ces quelques représentants de l’espèce humaine continuent de se déployer sous nos yeux. Mais plus qu’une description exhaustive de la jeunesse actuelle, « Euphoria » nous expose avant tout les affres d’individus qui se cherchent, se fourvoient et parfois, entrevoient de la lumière.

 

 

Une mise en forme élaborée

 

Et en cela, la série réussit merveilleusement bien son pari en esthétisant les déboires de ces êtres à fleur de peau, souvent au bord d’un gouffre d’autant plus perceptible qu’il se trouve au pied de jeunes adultes à la merci d’émotions dont ils découvrent la puissance. Alors, pour illustrer ce bouillonnement furieux qui les habite, la musique constitue indéniablement un élément central. Qu’elle soit jouée par les personnages (superbe Elliot’s song), écoutée dans une voiture ou un bar (de Theolonius Monk à Philippe Sarde, d’INXS à Westside Connection, le panel musical est d’une extraordinaire diversité), ou composée par Labrinthe, elle gratifie l’ensemble de tonalités variées, sans jamais faire double emploi avec la narration. La photographie se veut également sophistiquée. Elle n’hésite pas par exemple à inonder de spots multicolores certains lieux qui, même ainsi fardés, ne parviennent pas à masquer la solitude de ceux qui les fréquentent. Ou à l’inverse, au milieu de l’obscurité, elle peut envelopper des personnages d’un halo lumineux, comme s’ils se retrouvaient soudainement projetés sous les feux de la rampe. Ce dernier procédé s’avère finalement assez logique tant l’ensemble de la réalisation nous renvoie constamment au fait que Cassie, Maddie et ses amis sont en réalité les acteurs d’une pièce, celle de la vie, dont ils ne maîtrisent pas le scénario. Ils ne semblent d’ailleurs pas réaliser qu’ils ont été soumis à notre regard voyeur par des concepteurs qui ne se privent pas de nous exposer leurs faiblesses. Parfois consciente du jeu dans lequel elle se trouve impliquée, Rue se retrouve ainsi travestie en maîtresse d’école le temps d’une scène drôlissime où elle explique pourquoi on en vient à se droguer et « comment le faire sans se faire choper ». Ce faisant, son regard se tourne essentiellement vers nous, les spectateurs privilégiés de cette farce cynique. Les auteurs poussent même le vice jusqu’à mettre en scène le vécu de leurs créatures sur les planches d’une salle de spectacle, prenant ainsi conscience du rôle parfois cruel qu’elles ont délibérément composé. Cette mise en abîme assez délicieuse entremêle la représentation théâtrale avec la réalité qui lui est associée. Brillant et assez audacieux… quoiqu’un peu long sur la durée. Finalement, seul un épisode échappe totalement à cette stylisation : c’est lorsque Rue subit les effets du manque. Là, point de musique, point de sophistication. C’est dur, violent… bouleversant aussi. Visiblement, durant un temps, il ne s’agit plus de jouer la comédie.

 

 

Des personnages étoffés

 

Alors oui, « Euphoria » parle de la jeunesse et de la diversité des individus qui la composent, mais elle est surtout un phénomène « pop » qui parvient, par son intelligence d'écriture et au travers du regard distancié qu’elle entretient avec ses personnages, à ne jamais être racoleuse. En dépit de ses pirouettes stylistiques parfois excessives et d’une narration quelque peu boursouflée, la série réussit même à émouvoir, alors que bon nombre de ses protagonistes nous apparaissent assez antipathiques. Rue, bien sûr, nous gratifie de scènes étonnantes dont la plus marquante, au sein d’une église fictive, évoque le désir d’en finir quand la lassitude l’emporte sur un combat qui semble perdu d’avance. Fezco et Lexi auront aussi leur heure de gloire. Même Cal, le père de Nate, prendra une consistance inattendue et l’épisode qui lui est consacré est particulièrement réussi. La série a ainsi le mérite de ne jamais caricaturer ses personnages en leur procurant une réelle profondeur psychologique. Certains regretteront que Jules ou Kat soient un peu délaissées dans cette saison. Mais rien ne dit qu’elles ne reviendront pas sur le devant de la scène le moment venu. Car celle-ci est un lieu ouvert et tout le monde y a sa place pour peu qu’on accepte de jouer son jeu et d’en subir ses tourments.

 

Disponible sur OCS

 

Et du "côté séries", ils en pensent quoi ?

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