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Babylon Berlin (saisons 1 à 3)

Magnifique reconstitution d'une époque

 

Non, toutes les séries policières allemandes ne ressemblent pas à « Derrick » ! La preuve en est cette production au coût exorbitant pour un pays jusque là plutôt discret en ce qui concerne l’exportation de ses productions télévisées à l’étranger. Mais depuis 2016 et « Deutschland 83 » qui avait remporté l’International Emmy, les choses bougent outre-Rhin, en témoigne le succès de la série « Dark » sur Netflix. Quoi qu’il en soit, que « Babylon Berlin » ait nécessité un tel budget semble logique quand on sait que la série se veut une peinture fidèle de l’entre-deux-guerres allemand et de son expressionnisme débridé. Et à ce titre, elle réussit formidablement sa mission : de la mode à la musique, la retranscription est formidable !

 

Une période troublée

 

Mais politiquement et socialement, cette période s’avère moins flamboyante que le mouvement artistique qui lui associé. En effet, en 1929, date du début de cette histoire, la république de Weimar, à tendance sociale-démocrate, tente tant bien que mal de gouverner un pays sans repères stables depuis la fin de la Grande Guerre. Parmi les agitateurs, le mouvement communiste est sans conteste le plus bruyant. Très actif quand il s’agit de soutenir la cause des plus démunis, il constitue une menace permanente pour le régime en place qui ne veut pas voir son pays tomber sous l’influence de l’Union Soviétique. Cependant, même les forces rouges en présence sont divisées, les Stalinistes au pouvoir cherchant à annihiler les dissidents Trotskystes. Quant aux royalistes, beaucoup plus discrets, ils usent de leur influence pour, à court terme, restaurer la puissance de l’ancien empire Prussien démantelé après la guerre. Cette fichue guerre responsable pour beaucoup de l’ensemble des maux de leur patrie. Endettée auprès de ses vainqueurs et dans l’impossibilité de créer une armée à son nom, l’Allemagne vit dans le doute et la nostalgie de son aura passée. De Hitler, il est  finalement assez peu question. Pendant longtemps, il reste un simple figurant au milieu de ces guerres de pouvoir, même si on pressent déjà (car on connaît la sombre issue de ces jeux de pouvoir) qu’il parviendra à sortir sournoisement son épingle du jeu.

     

 

Destins croisés

 

C’est donc dans ce contexte plutôt mouvementé que Gereon Rath, un inspecteur de Cologne, débarque sur Berlin au sein de la brigade de mœurs. Chargé de démanteler un réseau clandestin de films pornographiques, son attention démesurée pour quelques clichés sadomasochistes impliquant des « puissants » nous amène rapidement à penser que son enquête n’est en aucun cas désintéressée. Pour lui venir en aide, il peut heureusement compter sur le soutien de son collègue Bruno Wolter. Un soutien particulièrement bienvenu quand on sait que Gereon est un ancien combattant de la guerre 14 en proie à des conflits intérieurs dévastateurs... En premier lieu, il entretient une liaison avec la femme de son propre frère, ce qui complique un peu la vie. Surtout quand il faut lutter au quotidien contre des traumas qui le forcent à se droguer pour apaiser ses crises d’angoisse. Mais comment pourrait-il en être autrement quand on a assisté à la disparition sous le feu ennemi du frère en question ? Par ailleurs, Gereon va également trouver une aide inattendue en la personne de Charlotte Ritter, une jeune femme sans emploi qui rêve de faire carrière dans la police. En attendant, elle dépend de petits boulots (dont la prostitution occasionnelle fait partie) pour subvenir aux besoins de sa famille. Ainsi, tous trois devront se pencher sur une affaire qui, de fil en aiguille, les conduira à étudier de près le contenu d’un mystérieux convoi ferroviaire empli de gaz toxique à visée militaire… à moins que celui-ci ne cache un trésor propre à attiser une convoitise générale plus que dangereuse.

 

 

Une narration parfois paresseuse

 

Pour un spectateur français, se retrouver au sein d’un tel imbroglio politique ne facilite pas la compréhension de l’intrigue tant il est malaisé de percevoir les enjeux auxquels les différentes factions en présence se trouvent confrontées. Et si l’aspect confus du scénario s’avère assez stimulant, l’exigence attentionnelle qui en découle a sa contrepartie. En effet, il arrive que des indices ressortent du placard sans qu’on se souvienne du contexte dans lequel ils nous ont été apportés. Tout cela nuit partiellement à la fluidité de l’ensemble. Il faut attendre le milieu de la seconde saison pour que les pièces du puzzle finissent pas s’assembler. Celle-ci se termine alors de façon séduisante nous laissant apprécier le rythme soutenu de l’ensemble malgré des incohérences parfois gênantes. De plus, la tension dramatique plutôt limitée sur l’ensemble du récit incite le spectateur à modérer son enthousiasme. Lors d’un épisode pourtant, la tournure prise par les événements nous laisse sans voix. Malheureusement, par une pirouette scénaristique des plus improbables, (presque) tout finit par entrer dans l’ordre. La claque espérée ne viendra pas et on comprend alors que la série se contentera de suivre les codes imposés par le genre dans lequel elle s'inscrit. Et même lorsque le drame tant attendu pointe le bout de son nez, il se trouve plombé par une mise en scène assez grossière. Que ce soit par un étirement temporel annihilant le suspense tant désiré ou par le choix répétitif de rendre inaudibles les hurlements de témoins impuissants, les effets mis en œuvre dans ces situations manquent clairement de simplicité. Dommage.

 

 

Mauvaise surprise...

 

De plus, à l’entame de la saison 3, on espérait que la problématique des deux premières soit encore approfondie. Et bien non… C’est une nouvelle enquête qui se propose à nous, bien plus classique que la précédente. On retrouve heureusement la plupart des protagonistes mais certains sont (à ce stade du récit) laissés en plan. Tant pis…Nous voilà donc rendus à tenter de démasquer l’identité et les mobiles d’une mystérieux meurtrier masqué qui sévit sur le tournage d’un film… On a déjà connu plus inventif...

 

 

1929 : une année noire...

 

Heureusement, « Babylon Berlin » a d’autres atouts à faire valoir que ceux de ses simples intrigues. La principale tient évidemment à la qualité de la retranscription d’une époque. La pauvreté nous apparaît prégnante tout comme le désarroi d’un pays touché profondément dans sa fierté. Et si le premier mai 1929 a réellement été une horreur en Allemagne, il nous est montré sans retenue. Les communistes restent les bouc-émissaires tout désignés quand il s’agit pour le gouvernement de se dédouaner de la violence de sa politique. Les jeunesses hitlériennes commencent à voir le jour sans que cela semble poser de problèmes à une population qui a tout simplement d’autres chats à fouetter. Quant au krach boursier, les images hallucinées, presque dystopiques, auxquelles il donne lieu sont particulièrement efficaces.

 

 

La danse de l’oubli

 

Mais là où la série est vraiment formidable, c’est dans le rendu tout simplement exceptionnel des scènes musicales au sein du club « Moka Efti ». Le temps d’un soir, chacun se déleste de sa parure quotidienne pour devenir une Cendrillon que seule la lumière de l’aube ramène à la réalité. D’ici là, les auteurs filment avec brio le lâcher-prise de tout un peuple. Plus question de genre ou de classe sociale, la foule dansante ne fait qu’une, unie dans la transe et la démesure. On replonge avec délice dans les heures les plus folles des Ziegfeld Follies, le sexe et la débauche en plus. Car au Moka Efti, tabous et morale ont aussi été déposés au vestiaire. Pas question ici de juger. On est là pour vivre, intensément, jusqu’à l’oubli de soi... Moments sulfureux, magiques et colorés, en alchimie avec des chansons à la puissance vénéneuse incontestable. De même, certaines scènes de violences sexuelles ritualisées nous apparaissent esthétiquement envoûtantes (sans être « belles » pour autant). Cela reste glauque mais c’est simplement formidablement mis en scène. De même, la photographie se révèle par séquences d’une grande beauté, particulièrement quand une usine désaffectée se nimbe d’une atmosphère que les éclairages nocturnes parsèment d’ombres inquiétantes et de dorures trompeuses.

 

 

Des personnages vivants mais superficiels

 

Reste les personnages. Si Gereon ne parvient pas à se délester du visage grave propre aux détectives névrosés maintes fois portés à l’écran, ses prises de décisions non manichéennes ne permettent pas de le classer de facto dans la catégorie des « gentils quoi qu’il en coûte ». Il n’hésite pas par exemple à mentir au détriment de la justice pour ne pas faire ombrage à la déontologie pourtant douteuse de sa corporation. En revanche, toutes les séances d’hypnose qui, à l’instar des scènes musicales, tendent à envelopper la série d’une aura légèrement énigmatique, s’avèrent inutilement pompeuses sur la forme. Elles aboutissent en plus à incorporer dans le récit une problématique familiale difficilement crédible mais aux conséquences non négligeables. En revanche, on peut louer la formidable interprétation de Peter Kurth dans le rôle de Bruno Wolter dont l’attitude ambivalente ne cesse d’osciller entre paternalisme bienveillant et froideur intrigante. Quant à Charlotte Ritter, sa soif de vie liée à une farouche volonté de se sortir de la misère dans laquelle elle et sa famille évoluent, font de ce personnage pétillant le plus sympathique du récit. Elle est également celle qui nous donne accès à la réalité la plus sombre d’un Berlin désenchanté. Pour le reste, il ne semble pas que les auteurs aient fait du traitement des relations entre les personnages et de leur évolution psychologique une priorité tant celles-ci apparaissent superficielles.

        

 

Conclusion

 

De tout cela, il ressort de « Babylon Berlin » une série plutôt agréable à suivre. Les auteurs ont délibérément choisi de ne pas se démarquer des romans de Volker Kutscher dont elle est inspirée. Il faut donc accepter que la peinture très aboutie des années 20 en Allemagne ne serve que de toile de fond à des intrigues, certes assez bien ficelées, mais qui suivent les codes stéréotypés du genre policier. On aurait tout de même aimé que les intrications entre les enquêtes menées et le contexte social de l’époque soient plus présentes, ce dernier apparaissant comme un terrain de jeux idéal pour les manigances politiques et autres coups-fourrés. Au travers de personnages engoncés dans des problématiques personnelles plus ou moins intéressantes, on assiste à la description haute en couleurs d’une époque méconnue et troublée. Mais plus encore, il y a ces fabuleux moments, hors temps et même hors récit, où seules ne comptent que la liberté de danser et l’envie farouche de vivre envers et contre tout.

 

Disponible sur MyCanal

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Commentaires: 1
  • #1

    Laurent Outan (lundi, 24 octobre 2022 20:31)

    Pertinent. Un bon polar historique , effectivement.