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Ted Lasso (saisons 1 et 2)

La vengeance est un plat qui se mange froid

 

Rebecca Welton est une femme salie. Cette riche quinquagénaire ne digère pas les unes des différents tabloïds anglais exposant les infidélités incessantes de son ex-mari Ruppert à son encontre. Maintenant propriétaire du club anglais de soccer de Richmond, elle décide d’engager un nouvel entraîneur dans le seul but de faire couler l’équipe de cœur de son ancien compagnon. C’est ainsi que Ted Lasso, à la base coach de football américain aux États-Unis, débarque à Richmond accompagné de son assistant Beard, alors même que ces deux hurluberlus n’ont aucune connaissance des règles d’un sport qui leur est totalement étranger. Malheureusement pour Rebecca, la tournure des événements ne va pas prendre la direction qu’elle aurait espérée...

 

 

Le football peu mis à l'honneur

 

Une comédie sur fond de sport, voilà qui était intrigant sur le papier, d’autant qu’il est difficile au vu de son résumé, de ne pas penser à la mythique « Friday nights light » qui avait presque réussi à nous faire aimer le football américain. Pourtant, très vite, on se rend compte que cette comparaison n’a pas lieu d’être. Certes, dans ces deux séries, il n’est pas nécessaire d’être un adepte des sports évoqués pour les apprécier. Mais « Friday nights light » transpirait la discipline qu’elle mettait en scène. On éprouvait émotionnellement les moments de tension que contenaient des matchs aux enjeux, à nos yeux, capitaux. On tremblait pour les protagonistes et on redoutait les conséquences d’une défaite. A l’inverse, « Ted Lasso » ne nous montre presque rien du foot et de la frénésie qui l’accompagne, particulièrement en Angleterre. Il y a si peu d’images des différentes rencontres qu’il nous est impossible de vibrer et transpirer avec les joueurs. Ceux-ci reviennent au vestiaire le maillot aussi immaculé qu’avant de pénétrer sur le terrain. Même l’ambiance du pub local, représentée par la tenancière et trois supporters aussi patibulaires que sympathiques, reste si bon enfant qu’aucune électricité ne se dégage de ce lieu. De plus, l’aspect tactique du football, normalement fondamental dans ce sport, est mis de côté. Alors, si la série n’a pas vocation à être crédible, un peu plus de réalisme n’aurait pas été superflu. Car finalement, il s'agirait ici de water-polo que la donne aurait été la même et c’est fort dommage.

 

 

Très (trop ?) feel good

 

Il reste donc la gestion humaine d’une équipe composée d’égos bien difficiles à manœuvrer. La capacité de ce coach si particulier à unifier son groupe semble ainsi être au départ le fil conducteur du récit. Mais rapidement, les aspérités et les conflits s’effacent pour ne laisser place qu’au goût sucré et gentillet que la série veut distiller. Certains sujets sensibles liés au monde du football auraient pu être développés puisque évoqués dans sa narration : la difficulté à vivre loin des siens dans un environnement éloigné de sa terre natale, la responsabilité morale de faire la promotion de sponsors à l’éthique douteuse, la pression imposée par ses proches quand on vient d’un milieu défavorisé… Mais tel n’est pas l’objectif d’une série qui fuit l’introspection (celle esquissée par Lasso n’est de fait qu’anecdotique et ne cherche qu’à nous livrer une explication simple et efficace de son perpétuel enthousiasme), pour simplement insuffler à son histoire un climat de bien-être apaisant et rassurant. C’est à prendre ou à laisser bien sûr mais ce parti pris prive tout de même « Ted Lasso » d’émotions autres que celle de se sentir chaleureusement entouré.

 

 

Des personnages attachants

 

On va donc essentiellement passer du temps aux côtés de Ted bien sûr mais aussi de Rebecca, Roy, Keeley et les autres. On va les voir douter, s’enthousiasmer, gérer leurs amours, pleurer… On sera auprès d’eux dans leurs petits tracas du quotidien. Et sur ce point, on peut reconnaître que la série fait preuve de sensibilité. Elle ne parle de presque rien mais parvient à rendre attachants des personnages que la présence de ce drôle de coach va humainement bonifier. Car si celui-ci n’y connaît rien en football, il a la capacité d’entraîner dans son sillage le plus bourru ou le plus égocentrique des êtres humains. Sa joie de vivre, ses logorrhées enjouées et parsemées de références contemporaines croustillantes, sa gentillesse et son positivisme ont la capacité de rendre caduques toutes les bassesses dont l’homme peut faire preuve. Et pour communiquer au spectateur une telle énergie revigorante, la prestation de Jason Sudeikis, incapable de se départir de son sourire satisfait quelle que soit la situation, est assez bluffante. On ne peut pas dire que celui-ci aie volé son Grammy de meilleur acteur dans une comédie tant cet ancien membre de l’emblématique « Saturday Nights Live » maîtrise à la perfection la créature qu’il a inventé il y a de cela une décennie, à l’occasion du tournage d’une publicité. Mais outre celui qui apparaît comme la clé de voûte de la série, d’autres personnages sortent également leur épingle du jeu. C’est particulièrement le cas de Roy Kent, ancienne star sur le déclin incapable d’exprimer ses émotions autrement que par des grossièretés ou des grognements bourrus que sa voix rocailleuse tend à rendre menaçants. La profonde humanité que masque son caractère entier est joliment mise en scène au travers de la relation qui le lie à sa nièce Phoebe : où comment un ours essaie de transmettre de l’affection à une enfant capable de déceler de la tendresse dans des jurons. De même, les liens que Ted entretient avec la thérapeute du club est l'occasion d'intégrer dans la série une once de pudeur bienvenue. Quant à Beard, le langage non-verbal qu'il utilise pour communiquer son mécontentement ou son approbation contraste à merveille avec la propension qu’a Ted à ne jamais s’arrêter de parler, ce qui entraînera quelques situations comiques réussies.

 

 

Trop de sucre

 

Toutefois, ne vous attendez pas à rire à gorge déployée devant cette comédie qui mise avant tout sur ses dialogues et son climat chaleureux pour séduire. Malheureusement, on a parfois le sentiment que les auteurs ont voulu nous faire avaler par la contrainte plusieurs dizaines des fameux gâteaux que Ted offre quotidiennement à sa patronne, de sorte qu’on frôle bien souvent le mal de ventre (le point culminant de cette démonstration indigeste de bons sentiments arrivant logiquement à Noël...). Et si d’ordinaire, le risque de diabète n’est pas aussi élevé, il reste suffisamment présent pour avoir parfois envie de changer de menu et engloutir aussi sec un appétissant « Walking Dead ». Lors d’un épisode toutefois, le ton change brusquement pour glisser subitement dans l’absurde. On ne comprend tout d’abord pas bien le sens (il n’y en a pas), puis on accepte de se laisser aller… sans que l’on morde à l’hameçon. Opération décalage volontaire loufoque ratée. On pense alors à certains épisodes conceptuels que quelques rares productions se sont autorisées au sein de leur arc narratif, notamment ce génial moment télévisuel intitulé « Barry/Lily » de la formidable série « Barry ». Mais ce genre d’exercices de style réclame un sens aigu de la narration, alors même que les auteurs sont suspendus dans le vide, prêts à chuter au moindre faux pas. Malheureusement, dans ce registre, la marche s’est avérée un peu haute pour un « Ted Lasso » qui a certainement manqué d’humilité. Peut-être réussira-t-elle plus tard à nous surprendre mais d’ici là, elle doit accepter d’endosser le modeste rôle de sucrerie agréable en bouche mais qu’il convient de consommer avec modération.

 

 

Ça suffit !

 

Impossible de terminer cette chronique sans émettre un léger coup de gueule : il faut que les séries  "sentimentales" arrêtent d'agrémenter leurs scènes à vocation émouvante, de passages chantés larmoyants en fond sonore... Ceci constitue une atteinte au bon goût qui devrait être bannie de l'univers sériel.

 

Disponible sur Apple TV+

 

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