· 

Inside n°9 (saison 7)

Préambule

 

Voilà maintenant 9 ans qu’est apparu à l’écran le premier volet de la série portée par Steve Pemberton et Reece Shearsmith et son principe n’a de toute évidence rien perdu de sa fraîcheur. Chaque saison se voit attribuée 6 récits de 30 minutes bricolés par leur soin où ces deux formidables acteurs se griment pour se donner la réplique. Seul les relie le lieu marqué du chiffre 9 où se situe l’action, que celui-ci soit cloué sur la porte d’une maison ou sur le banc d’une église. Pour le reste, ces histoires indépendantes possèdent la volonté de nous faire voyager à travers les époques tout en empruntant les codes cinématographiques des genres auxquels elles se réfèrent. C’est ainsi qu’« Inside N°9 » s’était fait connaître grâce à un épisode succulent où deux cambrioleurs tentaient de pénétrer dans une villa luxueuse afin d’y dérober un tableau. Or, commettre un tel délit en présence des occupants de ladite demeure nécessite une discrétion à toute épreuve. A partir de cette trame narrative, le duo nous gratifiait d’un jeu de cache-cache sans paroles absolument irrésistible dans sa capacité à nous faire rire alors même que le scénario virait progressivement au tragique/absurde. Ces allers retours entre le drame et le burlesque constituent d’ailleurs l’une des principales qualités de la série. En effet, qu’elle emprunte les codes du fantastique, du policier, du drame familial ou même de l’épouvante, elle n’en oublie jamais de doter ses histoires d’un humour british absolument délicieux. Quoi qu’il en soit, il convient de juger chacune d’elles selon des critères proches de ceux auxquels sont soumises les nouvelles dans le domaine littéraire. Ainsi, une fois le décor planté, elles se doivent d’être parsemées de rebondissements inattendus ou de questions dont il nous tarde de connaître les réponses. A ce titre, l’épilogue constitue souvent le point vers lequel converge l’ensemble des détails d’un récit qui cherche avant tout à surprendre le spectateur. Dès lors, difficile pour ce dernier de prononcer un avis tranché sur la cohérence et la qualité d’écriture du spectacle proposé tant que le rideau n’est pas définitivement tombé.

 

 

Ohé, ohé

Laurence a donné rendez-vous à d’anciens compagnons de lycée afin de renouer avec eux le temps d’une ballade en pédalo. L’idée aurait de quoi séduire si le ciel n’était pas aussi bas et que sa couleur grisâtre ne se confondait pas avec celle du lac sur lequel ils entreprennent de voguer. Mais bon gré mal gré, tous se prêtent au jeu des retrouvailles en dépit du froid et de l’humidité que l’on devine saisissants. Une fois sur les flots, chacun se remémore les souvenirs du passé (ou du moins ce qu’il en reste) avec son lot de secrets inavoués. Mais à l’évidence, le cœur n’y est pas. L’ambiance est lourde et les occasions de se crêper le chignon ne manquent pas. Pendant qu’ils discutent ainsi, une mystérieuse silhouette semble les observer depuis la rive.

La force de ce premier chapitre réside évidemment dans l’atmosphère pesante qui émane de cette virée entre anciens camarades de classe. Parallèlement, au-delà de l’humour décalé dont Pemberton et Shearsmith sont coutumiers, les dialogues contribuent à humaniser des personnages tantôt grotesques, tantôt émouvants. Mais ces échanges plutôt anodins ne parviennent pas à dissiper la tension générée par leur situation, comme si un danger les guettait sans que l’on puisse en discerner l’origine. Peut-être est-ce dû à l’attitude bougonne de Laurence dont on devine qu’il n’a pas planifié cette escapade dans le seul but de parler du bon vieux temps ? Ou alors à la présence de cet étranger, là-bas sur le virage, que les auteurs n’ont sans doute pas posté là pour faire de la figuration ? Dans tous les cas, ces derniers ont eu l’idée géniale d’enfermer tout ce beau monde dans ce qui se fait de plus exigu en matière d’embarcation, séparés du monde extérieur par une eau au calme mortifère. Le final de cette histoire à la poésie inattendue apporte bien sûr les réponses espérées. D’un point de vue strictement narratif en revanche, il peine à convaincre tant le sort qu’il réserve à l’un de ses protagonistes paraît tout de même improbable. Cette restriction mise à part, on obtient un épisode d’une excellente facture pour le climat oppressant qui s’en dégage et pour ses répliques délicieusement ciselées.

 

 

 

 

M. Leroy

Alan Curtis effectue sa rentrée scolaire dans une petite ville de province, loin de la capitale et de son effervescence. Ce professeur des écoles, comme on les appelle en France, veut du calme et il souhaite bien le trouver dans cette petite école de campagne. Pourtant, au moment de faire la connaissance de ses nouveaux élèves, ceux-ci ne lui réservent pas un accueil des plus chaleureux. Non pas qu’ils soient bruyants ou indisciplinés. Au contraire ! Ils sont presque mutiques. Il faut dire que leur ancien professeur, M. Leroy, était très apprécié de l’ensemble du personnel. Du temps leur est donc nécessaire pour se familiariser avec sa manière d’être et d’enseigner. Pourtant, au fil des semaines, le comportement de certains de ses élèves ainsi que celui du directeur de l’établissement à son égard se révèle particulièrement étrange, pour ne pas dire malsain. Sur ces entrefaites, aussi désagréables soient-il, il est temps de s’atteler au spectacle de fin d’année portant sur « la cause environnementale ».


Autant le dire d’emblée, cet épisode est de loin le moins réussi de la série. Certes, on comprend que les auteurs jouent avec la notion de perversité et que celle-ci se veut particulièrement dérangeante quand des enfants en sont les auteurs. N’oublions pas que dans l’imaginaire collectif, ces derniers sont souvent perçus comme des êtres innocents aux âmes non perverties par les pensées impures des adultes. Mais parce que ni la mise en scène, ni les dialogues ne viennent apporter une quelconque plus-value à un scénario manquant cruellement d’originalité, cette histoire nous laisse globalement de marbre. Quant aux jeux humiliants auxquels se livre le directeur d’école auprès du pauvre Alan Curtis, dans la mesure où ils n’apportent rien à l’intrigue, difficile d’y trouver un intérêt autre que celui de vouloir nous mettre gentiment mal à l’aise. Oui, on a affaire à des pervers. Non, cela ne les rend pas intéressants pour autant.

 

 

 

Les neufs vies de Kat

Kat se réveille en sursaut, se lève et avale des céréales trempées dans de la vodka. Un homme l’attend dans sa cuisine et discute avec elle d’une enquête concernant un enlèvement d'enfant. Enquête qui lui a été retirée mais qu’elle tient malgré tout à résoudre. Puis, alors qu'elle se tient au chevet de sa fille endormie, la voilà qui, à nouveau, se réveille brutalement. L’homme est toujours là, prêt à échanger sur cette affaire qui l’obsède tant. Jusqu’à ce que, une fois encore, Kat s’extirpe de son lit avec le même mouvement de frayeur que les fois précédentes. Que lui arrive-t-il donc ? Et qui est cet homme qui occupe sa maison alors même qu’elle n’est pas encore réveillée sans que cela éveille en elle le moindre sentiment de surprise ?


Tout d’abord obscur et intriguant dans son déroulé, l’explication des phénomènes qui parsèment la vie de Kat nous parvient en cours d’épisode, alors que le temps imparti à celui-ci est loin d’être écoulé. Les auteurs se permettent ensuite d’ouvrir de nouveaux tiroirs à leur récit sur le principe de la mise en abîme. S'ensuit un jeu de manipulation entre les personnages d’autant plus délectable qu’il est, une fois n'est pas coutume, parsemé de petites touches d’humour savamment distillé. A ce cocktail déjà stimulant vient s’ajouter un soupçon de thriller psychologique relativement angoissant trouvant lui aussi sa place au sein d’une trame narrative où aucun détail n’est négligé. La morale de cette histoire se serait cantonnée à un « tel est pris qui croyait prendre » assez formidable si la dernière scène ne venait, pour notre plus grand bonheur, mettre un terme au spectacle machiavélique auquel on était en train d’assister. Si pour certains, il n’est pas aisé de terminer une histoire, ce n’est pas le cas pour Pemberton et Shearsmith qui signent là un petit bijou d’écriture.

 

 

 

Enlèvement


Alors que Lara attend tranquillement chez elle l’arrivée d’un colis par la poste, un pauvre bougre vient la kidnapper. Celui-ci réclame alors auprès de son richissime mari une coquette somme d’argent contre sa libération. La police se met alors sur le coup pour tenter de… de… de quoi au juste ?


L’intérêt de cette histoire de prise d’otage ne tient pas forcément à son scénario. Non pas qu’il ne réserve aucune surprise, bien au contraire. Il fait état de revirements de situation dont un s’avère bien amené tandis que le second pêche par son manque de crédibilité. Mais dans l’ensemble, on est en présence d’un épisode axé sur un humour généré par le caractère grotesque des personnages qui le composent. Entre un kidnappeur un brin limité intellectuellement jouant au « Ni oui, ni non » avec sa détenue, des flics prompts à intervenir dès lors qu’il n’y a plus rien à faire et un mari qui espère faire baisser le prix de la rançon si « la marchandise est endommagée », on a affaire à une belle brochette d’abrutis bien mis en avant par des dialogues toujours aussi savoureux. D’un point de vue formel, nos deux auteurs se font plaisir en usant de la technique dite du « split-screen » qui consiste à couper l’écran en plusieurs parties afin de visualiser différents lieux au même moment. On pourrait alors s’attendre à ce qu’ils manient leur joujou avec une désinvolture un peu gratuite. Mais il n’en est rien ! Dès la scène inaugurale, ils mettent en avant leur talent d’écriture en décrivant parallèlement les préparatifs qui suivent le réveil des deux principaux protagonistes du récit. Un moment hilarant à l’image de cet épisode léger et revigorant.

 

 

 

Un bienveillant hasard

Entre Zach et sa mère, les rapports ne sont pas franchement à l’apaisement. Elle souhaite échanger avec son fils tandis que lui tient en premier lieu à ce qu’elle lui fiche la paix. Et lorsqu’un semblant de conversation s’engage, elle ne peut se finir sans tourner inévitablement au vinaigre. Il faut dire que le père de l’adolescent a quitté le giron familial pour aller vivre à Singapour, laissant femme et enfant se regarder en chien de faïence. Durant une bonne partie de l’épisode, on assiste aux rapports conflictuels qui jalonnent la vie de ces deux êtres à l’évidence malheureux. Leurs prises de bec sonnent justes, jamais surjouées. On ressent le désespoir de cette mère qui ne sait plus quoi faire pour obtenir l’affection de son enfant. Par ailleurs, s’il est impossible de ne pas trouver injuste l’attitude de Zach à son égard, on perçoit sa colère. Une colère incontrôlée qui s’abat inéluctablement sur celle dont l’erreur consiste à être là, présente aux côtés d’un fils qui imagine que l’herbe est plus verte ailleurs.


Leur vie va cependant prendre un tournant inattendu le jour où un Monsieur ramène à la maison un oiseau s’étant heurté à leur baie vitrée. Celui-ci, absolument charmant, se propose d’aider Zach dans ses études de physique, domaine dans lequel il est particulièrement doué. Sa présence et les tics de langage délicieux que les auteurs espiègles n’ont pu s’empêcher de lui attribuer autorise à faire descendre un peu la tension. Il permet surtout à chacun de trouver un espace de parole salutaire qui ne leur était jusque-là pas accessible. Sauf que la question de l’identité exacte de cet individu surgi de nulle part finit fatalement par se poser. Dès lors, l’épisode bascule dans une direction qu’il nous était bien difficile de prévoir, rendant les rapports entre la mère et son fils encore plus intenses et émouvants qu’ils ne l’étaient déjà. Un mélange de genres au service de l’humain et de ses fragilités qui, une nouvelle fois, fait mouche. L’histoire aurait pu s’arrêter là qu’on l’aurait trouvé particulièrement sensible. Mais le final, mettant un jeu un personnage qu’on pensait figuratif, vient chambouler encore la donne, rendant incertaine la destinée de ceux que l’on croyait à l’abri du malheur. Du grand art.

 

 

 

Pas fou-fou le hibou

Le temps d’un court dessin animé que l’on devine daté au vue de son graphisme, un hibou dispense la bonne parole auprès d’enfants inconséquents prêts à aller chercher un cerf-volant en haut d’un pylône électrique. Parallèlement, un homme cherche à se suicider dans la salle de bain d’une maison dont il est l’unique occupant avant qu’un voisin ne vienne contrarier ses plans en sonnant à la porte. Mais hors de question pour Ronnie d’ouvrir. On lui a bien appris qu’il ne fallait pas s’adresser à des inconnus. En appliquant de manière aussi craintive ce conseil prodigué par un hibou s’adressant en premier lieu à des enfants, on se dit que Ronnie ne possède pas les codes lui permettant de vivre sereinement en société. A partir de là, on le voit errer dans une maison emplie d’animaux empaillés, pesant chacun de ses gestes comme constamment sous la menace d’un danger à la teneur inconnue. Tout cela entrecoupé par les messages de plus en plus péremptoires de Monsieur Hibou.

Difficile dans un premier temps de comprendre la direction empruntée par cet étrange épisode. On se laisse porter par ce génial mélange où les séquences animées d’un autre âge alternent avec les déambulations de Ronnie qui finit par nous communiquer son sentiment d’insécurité. Mais au fil des minutes, sous l’effet d’une construction magistrale de son déroulé, le récit nous amène à reconstituer le puzzle de sa vie. Le lien qui la relie à Monsieur Hibou devient de plus en plus concret et malaisant. Et plus on en apprend, plus cette histoire nous plonge dans l’horreur. Ici, point d’humour pour venir nous soulager d’un spectacle qui ne cesse de se noircir. Auteur d’une performance absolument magistrale, Reece Shearsmith parvient au travers d’un regard apeuré et de postures défensives incontrôlées, à rendre palpable la réalité des angoisses qui traversent cet homme brisé par la culpabilité. Le dialogue qui clôt ce terrifiant moment de cinéma ne fait que rajouter une couche à la dose d’injustice et de maltraitance subies par Ronnie au cours de son existence. Il faut attendre les dernières secondes de ce cruel échange pour qu’enfin, une lueur d’espoir apparaisse, laissant entrevoir un avenir potentiellement moins sombre que celui qui lui semblait destiné. Et le pire, c’est que jamais ce drame humain ne nous paraît improbable, le rendant par là-même d’autant plus effrayant !

Disponible sur Arte

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0